Premiers monuments aux morts

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, Conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 419, novembre 2018

Les monuments funéraires remontent à la plus haute antiquité, mais c'étaient des tombeaux individuels. Le culte de la mémoire collective des morts pour la patrie est en revanche très tardif. Les premiers monuments collectifs apparaissent après la guerre de 1870-1871. À Angers toutefois, le premier monument destiné à perpétuer la mémoire de disparus n’est pas celui de la guerre contre les Prussiens, mais celui de la catastrophe du pont de la Basse-Chaîne.

Le drame de la Basse-Chaîne

Le 16 avril 1850, le pont suspendu « en fil de fer » situé au pied du château, se rompt sous les pas du 3e bataillon du 11e régiment d’infanterie légère.

223 militaires et 3 civils y laissent leur vie. La population est unanime : un monument commémoratif doit être élevé au cimetière de l’Est, lieu de leur sépulture. Il sera simple et pur : un tumulus de gazon entouré de cyprès, une colonne sur une base de granit bleu de Bécon. Le ministère de la Guerre refuse toute subvention et conteste même l’utilité du projet. Qu’importe ! L’émotion, la douleur, la justice ne permettent pas d’y renoncer. Le monument sera plus simple, mais dans le même esprit. Il est réalisé en 1852. Une lithographie de Félix Benoist en fixe l’image. C’est encore aujourd’hui l’un des monuments les plus importants du cimetière de l’Est.

1870-1871

Le premier monument dédié aux morts d’une guerre est celui de 1870-1871. Il est double. C’est d’abord une simple plaque de marbre, donnant la liste des soldats décédés, installée en 1873 dans la salle des délibérations du conseil. Elle se trouve aujourd’hui dans la galerie des Ursules de l’hôtel de ville. Le second monument est dû à l’initiative privée de la Société fraternelle et de secours mutuels des anciens militaires d’Angers. Il est érigé en 1892 au cimetière de l’Ouest, là où étaient inhumés depuis de longues années les soldats de la garnison. L’emplacement a été concédé gratuitement par la Ville. Payé par une souscription publique, il est l’œuvre d’artistes angevins.

1914-1918

Le premier monument aux morts élevé sur une place publique est celui de 1914-1918, financé par l’État, les collectivités du département et une large souscription publique. L’artiste – l’Angevin Jules Desbois – est choisi très rapidement, mais l’emplacement du monument fait l’objet d’une folle polémique et de batailles homériques, tandis que l’œuvre suscite des remarques effarouchées. En témoigne un article du journal L’Ouest du 27 mars 1921 qui publie la lettre d’un étudiant :

« Il y aurait, suivant votre correspondant, un intérêt à ne pas tourner autour du monument. Pourquoi ? Une œuvre de statuaire est faite, au contraire, pour être admirée sous n’importe quel angle… Quand on a vu le modèle du groupe de Desbois, on est justement frappé de ce que le grand sculpteur a magnifiquement atteint ce résultat : une œuvre que l’on puisse, et que l’on doive admirer « en tournant autour ». Je sais bien qu’on chuchote – on n’ose pas le dire trop haut, et c’est là le propre de la calomnie – que la Victoire, superbe Victoire ailée, serait trop nue et que ses formes, vraiment vivantes, seraient de nature à choquer certaines pudeurs. Ah çà ! Au ridicule des hésitations sur l’emplacement du monument, Angers oserait-elle ajouter l’odieux de la tartufferie ? La nudité dans les œuvres grandes et belles n’a jamais choqué que les imbéciles […]. Angers, l’Athènes de l’Ouest, ne peut se déshonorer avec de pareilles sottises et il faut bien redire au maître sculpteur que sa Victoire nue aura l’admiration de tous les gens intelligents, la seule qu’il voudra recueillir. »

Le monument de Jules Desbois, ayant enfin trouvé son emplacement à l’entrée du jardin du Mail, face à l’hôtel de ville (1), est inauguré le 29 octobre 1922 au cours d’une journée grandiose, en présence du ministre de l’Intérieur Maunoury.

(1) - En 1988, il est déplacé devant le palais de justice, place du Général-Leclerc, pour permettre aux cérémonies de se dérouler sans gêner la circulation sur le boulevard.