Le premier établissement de bains chauds

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 348, décembre 2010

C’est à l’initiative du poêlier Louis Jamin-Rozé (1800-après 1876) que l’on doit le premier établissement de bains chauds spécialement construit pour cet usage.

Où se baigner, avant la diffusion de l’eau courante à domicile et l’apparition des salles de bains ? Dans la Maine naturellement : quelque polluée qu’elle fût déjà, on n’y regardait pas de si près. Un arrêté municipal du 6 juillet 1805 réglemente ces bains en rivière : ils ne pourront se prendre qu’à l’extrémité du village de Reculée, près du port Meslet ; aux abords du pré Saint-Jean, face à l’hôpital du même nom ; sur la rive de la prairie de Balzac et en face, à la Blancheraie.

 

Pour se laver, en dehors du broc et de la bassine individuelle, on peut user des services de la communauté des maîtres chirurgiens, qui a privilège de faire « poil et barbes » et de donner bains et étuves. Les maisons de bains sur la Maine se multiplient à la fin du XVIIIe siècle, avec la transformation des anciens moulins en bains publics. Rue Beaurepaire, le boisselier Potrais-Vernon ouvre des bains dans sa maison qui donne directement sur la rivière, près du Grand Pont. D’autres aménagent des bateaux.

L’hygiène corporelle reste cependant peu développée. Les établissements de bains en rivière représentent peu de chose pour une ville de plus de 35 000 habitants en 1836. Aussi la municipalité autorise-t-elle Jean Jouquet à créer en 1835 des bains publics à vapeur, rue de l’Espine. Mais l’entreprise semble tourner court.

En revanche, celle du poêlier Louis Jamin, fils de boulanger qui a épousé en 1827 une boulangère - Renée Charlotte Rozé - va pleinement réussir. C’est à lui que l’on doit le premier établissement de bains chauds construit spécialement pour cet usage. Son activité de « Poêlier-pompier » rue Saint-Laud le met à même de disposer facilement de tous ustensiles de bains, des chaudières aux baignoires. D’esprit entreprenant, Jamin-Rozé est d’ailleurs membre fondateur de la Société industrielle d’Angers et du département de Maine-et-Loire en 1830.

« Notre ville, écrit-il au maire le 21 février 1837 (Arch. mun. Angers, I 120/111), malgré l’importance qu’elle a acquise, et qu’elle tend à acquérir chaque jour, est encore privée de l’un de ces établissements si utiles au bien-être et à la santé de ses habitants : je veux parler de bains publics. Certes, on ne peut considérer comme telles les deux maisons qu’elle possède sous ce titre : on ne trouve dans ces lieux [il s’agit des bains de la rue Beaurepaire et du pont des Treilles] ni l’élégance, ni, surtout, aucun de ces accessoires indispensables qui, dans d’autres cités, d’un ordre inférieur à la nôtre, attirent et l’habitant, et l’étranger. J’ai résolu, Monsieur le Maire, de réparer cette lacune en dotant Angers de véritables bains publics. À cet effet, j’ai acquis un grand terrain dans la rue Basse-du-Mail, sur lequel je me propose de placer mon établissement […]. »

Afin de disposer d’eau en abondance, il souhaite établir une conduite qui traverserait la rue Boisnet et le pré des Luisettes pour déboucher dans la Maine et bâtir un château d’eau sur les prairies de ce quartier. La mairie l’y autorise le 27 juillet suivant, à la condition expresse qu’il rétablisse à ses frais la voirie, indemnise le fermier des prés des Luisettes et ne réclame pas d’indemnité si la Ville devait « déranger les tuyaux » pour des travaux d’urbanisme.

 

Le 29 mai 1839, Jamin-Rozé peut faire paraître l’annonce suivante dans le Journal de Maine-et-Loire :

« Nouveaux bains, rue Basse-du-Mail, près la rue Boisnet et impasse des Aix. Cet établissement, alimenté par les eaux de la Maine, prises au milieu de son cours et clarifiées, par son local et son agréable situation, se recommande aux personnes qui voudront bien le visiter. Les soins qu’a mis le propriétaire dans les dispositions intérieures sont prévus de manière à ne rien laisser à désirer sous tous les rapports. Bains de vapeur, de Barèges, sulfureux et douches, à des prix très modérés. »

Nul doute que les Angevins aient disposé là d’un établissement modèle, à en juger déjà par la noble apparence de la façade du bâtiment, donnant sur un jardin à l’intérieur d’un îlot d’immeubles. Le docteur Jean-Baptiste Renier, dans un rapport lu à la Société industrielle lors de la séance du 13 juillet 1840, se montre très élogieux à son égard :

« Le bâtiment consacré aux bains du Mail a la forme d’un fer à cheval : […] on y entre par le passage des Aix et par la rue Basse-du-Mail ; cette entrée est agréable et révèle une grande ville. En tirant tout le parti possible du terrain pour les constructions, on a cependant ménagé une large place à l’air et au soleil. Quelque peu de verdure, des fleurs, un jet d’eau s’élevant à une assez grande hauteur, ne laissent pas que de faire plaisir à la vue. Les cabinets du rez-de-chaussée et du premier étage à gauche sont réservés aux dames ; le côté droit est destiné aux hommes ; tous sont peints, planchéiés et sans humidité […] Les lits de repos, les appareils à fumigations, à bains de vapeur et d’eau médicamenteuse, à douches de différentes espèces, nous ont semblé très satisfaisants et très propres à remplir les indications du médecin. […] M. Jamin-Rozé a bien mérité de ses concitoyens […] »

Ses mérites sont d’autant plus grands qu’il s’est engagé à ne demander aux pauvres qu’une modique contribution.  Jamin-Rozé fait ainsi fonctionner ses bains, baptisés Bains Valdemaine, jusqu’en 1853. Il les loue alors à René Boireau, déjà entrepreneur des bains du Grand Pont, rue Beaurepaire.

L’ouverture des Bains Flore, rue Saint-Maurille, le 10 avril 1856, suscite une concurrence. Aussitôt, René Boireau riposte par de nouveaux tarifs. Le bain complet est annoncé à 0,75 francs, alors qu’aux Bains Flore, il est à 1 franc ! Les bains Jamin-Rozé ne sont pas tués par la concurrence, mais par le prolongement de la rue Valdemaine jusqu’à celle du Mail (portion dénommée rue Parcheminerie en 1874) qui les emporte complètement en 1869.