Le premier bureau de poste... et les premières boîtes aux lettres

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 362, avril 2012

Au Moyen Âge, les personnages importants disposent de leurs propres « courriers » pour porter missives et paquets. De son côté, la bourgeoisie des villes universitaires utilise les services des messagers établis par l’université pour permettre à ses étudiants de correspondre avec leur famille. En 1479, Louis XI juge bon d’organiser une « poste royale », à l’origine de la poste aux chevaux, avec un réseau de relais de quatre en quatre lieues, mais à son service exclusif. Les municipalités, comme Angers, recourent à leurs « serviteurs », archers, huissiers, greffier… pour porter lettres et présents.

Organisation d’une poste aux lettres

A partir de 1603, l’organisation d’une poste aux lettres se précise et se détache de la poste aux chevaux. Des « maîtres des courriers » sont créés par édit royal de mai 1630. Ce sont des charges vendues à leurs titulaires qui perçoivent les taxes sur les lettres et bénéficient d’exemptions fiscales. Le 13 novembre 1630, l’administration royale écrit à la municipalité d’Angers pour ordonner la création d’un bureau de poste aux lettres :

« Chers et bien amez, l’establissement des offices de maistres des courriers et controlleurs provinciaulx de nos postes en la pluspart des principalles villes de nostre royaulme, que nous avons ordonné par nostre eedict du moys de may dernier, ayant esté jugé nécessaire pour le bien de nostre service et la commodité particullière de noz subjectz, nostre intention est qu’il soit exécutté aux villes désignées par ledict eedict et particullièrement en celle d’Angers […] » (Arch. mun. Angers, BB 73, f° 102 v°-103 r°).

Cet édit a-t-il été suivi ? On ne sait. Célestin Port signale, dans son annotation de la Description d’Angers de Péan de La Tuillerie, que le bureau de poste se trouvait à l’angle des rues de la Serine (actuelle rue de Crimée) et de la Roë en 1658. Mais il n’indique pas ses sources et il a été impossible de les retrouver. En 1672, la poste est vendue à la Ferme générale, qui assure aux finances royales des revenus fixes. Les messageries de l’université et autres messageries particulières subsistent néanmoins jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, malgré le monopole du transport du courrier instauré en faveur de la Ferme générale, à son troisième bail, en 1681. L’Almanach d’Anjou de 1752 rappelle encore qu’il est défendu à toutes personnes de se charger d’aucune lettre pour quelque endroit que ce puisse être.

Le premier almanach angevin conservé, Le Véritable Almanach angevin, publié en 1690, ne donne pas l’adresse du bureau de poste, mais note seulement en dernière page les jours de départ et d’arrivée « des postes ». Il y a quatre départs pour Paris, mercredi et dimanche par Le Mans, mercredi et samedi par la levée de la Loire ; et quatre arrivées, lundi, mardi, vendredi et samedi. Pour Nantes, la poste part également quatre fois par semaine. Chacune des principales villes de l’Ouest – Rouen, Rennes, Laval, Tours, Cholet, Thouars… - est desservie par un messager qui loge dans un hôtel situé dans les rues les plus commerçantes de la ville, aux alentours des actuelles rues Baudrière et Plantagenêt (le quartier Cupif et de la Poissonnerie), faubourg Bressigny ou place de la Laiterie.

Premiers bureaux de poste

La première information précise sur le bureau de poste provient du plus ancien registre de la capitation, de 1694 (Arch. mun. Angers, CC 66). La poste se trouve alors rue du Cornet, où demeure le « maistre des postes », Rouillé. Sous l’Ancien Régime, le bureau de poste est fixé au domicile de celui qui le dirige. Ce Rouillé appartient-il à la puissante famille de financiers du même nom qui exploite alors avec grand profit le domaine postal ? À Angers, le nom est parfois orthographié Roullier. En 1712, la poste est tenue par la veuve Roullier et le commis Blondeau, rue Valdemaine. Le sieur Roullier mentionné en 1733 ne paraît pas avoir une grande surface financière : il n’est taxé qu’à 15 livres au registre de la capitation, à l’aune d’un petit marchand. La direction des postes se maintient dans la famille Rouillé jusqu’en 1738. Après un court intermède, la famille Baudard lui succède jusqu’en 1792. Le premier Baudard directeur des postes achète en 1748 la baronnie de Sainte-Gemmes-sur-Loire. Il n’est autre que le père du célèbre financier, trésorier général de la marine et des colonies, Claude Baudard de Sainte-James, qui fit édifier la folie Sainte-James, à Neuilly.

Le bureau de poste vagabonde au cœur de la ville, au gré du domicile de son directeur, jamais très loin du bureau général de la messagerie, pour voyageurs et paquets, installé place Cupif (aux environs de l’actuelle place de la République) : rues Haute-du-Figuier (vers l’actuelle rue Lenepveu) en 1727, Cordelle en 1733, Saint-Blaise en 1740 (portion correspondant à l’actuelle rue Grandet). Il revient ensuite rues Cordelle (1744), Haute-du-Figuier (1760), Montauban (1768), du Puits-Rond (rue des Angles) en 1769, à nouveau rue du Cornet de 1772 à 1792. Quand Jean-Denis Évain devient directeur des postes en 1793, il s’installe 10 rue Baudrière.

Première boîte aux lettres

La première et principale boîte aux lettres se trouvait naturellement au bureau de poste. Insuffisante pour une population de 25 000 habitants, elle est complétée par une boîte secondaire, dans l’esprit de nos boîtes actuelles, mais placée chez un commerçant. La première est signalée dans le Calendrier du duché d’Anjou de 1740 : « Il y a une boëte à la porte Chapelière, vis-à-vis la fontaine [Pied-Boulet], chez M. Viot, quinquaillier ».

En 1723, le bureau de poste est ouvert de 6 heures du matin à 8 heures et demie du soir en été, à partir de 7 heures du matin en hiver. Les horaires sont à peine réduits en 1793 : 7 h du matin à 8 h du soir en été, 8 h du matin à 7 h du soir en hiver. Au début, le bureau est géré par une seule personne, le directeur lui-même. Puis il se fait aider d’un commis pour distribuer le courrier – Blondeau en 1712 – et d’un receveur. En 1740, le directeur Baudry est assisté d’un receveur, Blondeau, et d’un commis, Ragueneau. Les premiers facteurs apparaissent dans l’Almanach d’Anjou de 1772 : Terrain, place Saint-Martin ; Poirier, montée Saint-Maurice et Le Jay (ou Le Geay), rue du Puits-Rond. À eux trois, ils suffisent à distribuer le courrier pour toute la ville : au même moment, Lyon n’a que huit facteurs, et Strasbourg n’en possède que trois en 1789. Un directeur, un receveur (ou contrôleur), un commis et trois facteurs : c’est là tout le personnel de la poste jusque sous l’Empire. Un surnuméraire et un garçon de bureau s’y ajoutent en 1815.

La ferme des postes ne s’occupait que des correspondances entre localités différentes : le traitement du courrier intra-urbain ne pouvait apporter qu’un maigre profit. Les almanachs le précisent partout par la même formule. « Les lettres qui seront jetées dans la poste d’Angers pour Angers ne seront point portées à leurs adresses, elles seront mises au rebut », spécifie l’Almanach ou Calendrier d’Anjou de 1771. C’est seulement en 1759 qu’un service de « petite poste » intra-urbain se met en place à Paris, en 1777 à Nantes, en 1784 à Lille… Pour Angers, l’état actuel des recherches n’a pas permis de déterminer la date précise de création de la « petite poste ». La mention ci-dessus ne figure plus dans les almanachs à partir de 1772, mais réapparaît une toute dernière fois dans celui de 1787. Un service aurait-il été mis en place en 1772 ? La mention de 1787 est-elle due à une erreur de l’imprimeur ? Lorsque l’État reprend ses droits sur la poste, pendant la Révolution et l’Empire, ce service est définitivement institué.

Quel emplacement pour la poste ?

De 1793 à 1804, la poste est installée rue Baudrière, puis 11 rue Boisnet jusqu’à son transfert place du Ralliement, le 4 avril 1816. Pour le quartier de la Doutre, au-delà des ponts, un peu éloigné, « une petite boîte aux lettres » est établie le 1er septembre de la même année chez l’épicier Despré, à l’angle de la place de la Laiterie. Mais la place du Ralliement, alors informe et sans débouché commode sur les boulevards, n’était pas encore le cœur de la ville. Le bureau de poste la quitte pour la place Saint-Martin et la rue Basse-Saint-Martin en 1828, puis la place des Halles (place Louis-Imbach) de 1833 à 1838. Là se trouvaient le palais de justice et les grandes halles. Tout auprès s’ouvrait la rue Boisnet, large artère où était implantée la poste aux chevaux, et en communication avec les quais. Aussi le deuxième transfert de la poste sur la place du Ralliement provoque-t-il une levée de boucliers : malgré la décision du conseil municipal de maintenir la poste aux lettres place des Halles (délibération du 15 mai 1838), la translation est opérée place du Ralliement le 17 mai 1838, à l’angle de la rue Saint-Denis.

Ce n’est pas une réussite. L’inspecteur des Postes de Maine-et-Loire s’en aperçoit et écrit au maire le 13 avril 1842 : « L’administration des postes se propose de faire transporter les bureaux de la poste aux lettres d’Angers dans la rue Boisnet, sur le passage des malles, afin d’éviter le retard de près de quinze minutes qui résulte du circuit que ces malles font actuellement pour se rendre à la place du Ralliement et accélérer d’autant leur arrivée à Nantes, où il importe de pouvoir obtenir une distribution immédiate des correspondances de la route de Paris. » (Arch. mun. Angers).

La poste trouve donc asile rue Boisnet, de 1843 à 1853. Il faut croire qu’alors l’immeuble de la rue Boisnet ne suffit plus : le bureau de poste est à nouveau transféré… place du Ralliement, le 22 juin 1853. Troisième tentative, plus pérenne. Pourtant, l’immeuble choisi, un petit hôtel particulier faisant face au théâtre, se montre en peu de temps totalement inadapté au service du public : quelques marches donnent accès à une salle de 10 à 12 m2, pourvue de trois guichets… Un étroit espace où s’entrecroisent en se bousculant les employés de la poste, les facteurs, les porteurs de sacs de dépêches et les clients ! Mais les horaires d’ouverture s’étendent de 7 h du matin à 7 h du soir, été comme hiver. Dimanches et jours fériés, le bureau est ouvert jusqu’à 6 heures du soir. Et les Angevins bénéficient de trois distributions de courrier, matin, midi et soir.

Avec la reconstruction du bâtiment en 1886-1887 par l’architecte des Postes et des Télégraphes Jean-Marie Boussard, Angers dispose enfin d’un véritable hôtel des Postes, étendu jusqu’à la rue Cordelle… Malheureusement, il se révèle lui aussi rapidement trop exigu… et la grande poste d’Angers déménage une nouvelle fois, en janvier 1938, à son actuel emplacement, entre les rues Saint-Martin et Franklin-Roosevelt.

Transformations des boîtes aux lettres

À partir de 1834, les boîtes aux lettres « secondaires » commencent à se multiplier. En plus de celle de la place de la Laiterie, une boîte est installée chez l’épicier Grimaud, rue Saint-Aubin. À l’époque, il est préférable de les installer dans des commerces, car certains malveillants les incendient. C’est ainsi que la boîte de l’hôtel des Postes de la rue Boisnet doit être gardée de nuit par une sentinelle de la garnison. Cette garde « est utile, indique une lettre au maire du 31 octobre 1851, pour protéger la remise des dépêches, et pour empêcher les mauvais sujets de jeter dans la boîte des matières inflammables, comme cela vient d’arriver à Orléans et dans plusieurs autres villes de France. » (Arch. mun. Angers).

L’Annuaire de Maine-et-Loire fait mention des « boîtes auxiliaires » à partir de 1837. Le courrier y est levé deux fois par jour. Elles sont six en 1854 : à la mairie, rue Bressigny, caserne de l’Académie, aux corps de garde du pont du Centre (pont de Verdun actuel) et de la rue Saint-Nicolas, et rue Boisnet ; seize en 1867. Peintes en gris, ces boîtes sont en bois, puis tout de même garnies d’une porte en fer à partir de 1861 et de portes selon le système Thiéry en 1876, avec cadrans indicateurs émaillés fournissant le jour et le numéro de la levée. La couleur grise est abandonnée en 1913 pour la couleur bleu de ciel, qui cède sa place au jaune serin actuel en 1962.