Les premiers feux d'artifice

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 354, juillet 2011

Dater la « première fois » est parfois hasardeux. Depuis la découverte d’une minute d’un contrat passé par devant le notaire Macé Marays , on peut faire remonter - du moins provisoirement - le premier feu d’artifice angevin à 1568. Utilisé par les Chinois dès le VIIIe ou le IXe siècle pour embellir leurs fêtes, le feu « artificiel » arrive en Europe par l’intermédiaire des Italiens. L’artillerie d’abord s’empare de la poudre noire. Le premier traité « civil » consacré aux feux d’artifice - Pyrotechnia - est publié en 1611 par le savant médecin et mathématicien Adrien Romain.

Avant l’avènement de la chimie moderne, les feux d’artifice offrent essentiellement du jaune et du blanc. Un imposant décor en bois - des palais, des temples… - en constitue la base : les feux sont donc conçus par des peintres, les artilleurs ne venant qu’en soutien technique. À Angers, la Maine en est le principal décor, complété selon le cas par un dragon monstrueux, un fort, des embarcations empruntées aux bateliers pour simuler un combat naval.

 

Le 6 juin 1568, le peintre Adam Vandelant et Poursainct Landry s’engagent à construire pour le 17 juin suivant une « serpante » en bois et toile de la grandeur d’un fûtreau, peint de diverses couleurs. « Et feront sortyr par la gueulle et aultres endroictz de ladicte serpante feu artificiel et sang quant on frapera sur ladicte serpante ». Ils conduiront la « serpante » et devront l’éclairer de dix fusées au moins, tandis qu’ils en fourniront cinquante autres pour agrémenter le spectacle. « Et feront lesdicts Poursaintz et de Vandelant petards et aultre feu articificiel [sic] durant le temps d’une heure et demye et jusques adce que ladicte beste soyt convaincue. » Les acteurs du combat revêtiront de superbes habits à l’antique en « toille argentee et doree », à grands pans et franges, des « chappeaulx a la judaïcque » et seront armés de coutelas en bois argenté.

En 1614, lorsque le jeune Louis XIII fait son entrée dans la ville avec sa mère, la régente Marie de Médicis, la Ville leur fait l’honneur, le 10 août, de feux d’artifice dont le pont des Treilles et ses moulins forment le décor naturel. Le registre des délibérations municipales donne un court compte rendu de la fête :

« Fut pareillement faict [sic] des feux d’artiffice après ledict combat naval en présance de leursdictes majestez, lesquels feux furent dressez sur une muraille d’un des moulins de dessus les arches des Treilles, lequel moulin avoit naguères embrasé, dans lesquelz feux l’on voioit des escriptures parroistre où l’on remarquoit « Vive le roy Louis treziesme ».

Le chroniqueur Jean Louvet n’omet pas de donner lui aussi un récit de cet événement :

« Après le bruit des canonades tant du chasteau que de la ville, qui remplissoient l’air de bruit et les oreilles d’effroy, parurent sur les Treilles le feuz d’artifice composé de quinze cents fusées, huit à neuf cents pétards, et, dans l’air, ces mots redoublés : « Vive Louis, vivre Marie ». Au-dessus, les armes alliées de Leurs Majestés, le tout en feu, qui dura fort longtemps, et ravist les présents de merveilles et plaisir. »


Les échevins font de nouveau les frais d’un feu d’artifice le 16 octobre 1619, lorsque Marie de Médicis vient prendre possession du gouvernement de l’Anjou, dont son fils l’avait investie. On peut ensuite citer ce feu d’artifice offert à Charles Louet, maire de la ville, par ses concitoyens le 30 mai 1630. Cette fois, il s’agit de l’attaque d’un fort édifié sur la rivière. Au témoignage de Louvet, il y eut plus de cinquante mille personnes pour voir le combat et le feu d’artifice qui suivit :

« […] fuzées et grenades qui ont esté faictz et tirez en l’air dudit fort, lequel fort paroissoit estre tout en feu, qui estoit chose belle à voir […] et s’en sont tous ceulx qui ont tout veu allez bien contans et ont faict de grandes louaiges de ce qu’ilz ont veu… ».


Cette dépense n’a cependant pas été du goût de tout le monde, si l’on en juge par le billet trouvé le 6 juin à la porte Saint-Michel, près de l’hôtel de ville :

« Messieurs d’Angers, a quoy servent tant de réjouissances publicques, sur quoy fondées […]. » Ces feux d’artifice « ont plustost représenté le naturel de leurs autheurs, jettant beaucoup de fumée et peu de clarté, faisant beaucoup de bruit et poinct d’effect, ny de fruit. […] Telles gens se plaisent plus aux éclipces qu’aulx raions du soleil, se sont des hyènes qui imitent la voix des bons cytoiens pour les dévorer, qui cherchent le bien publicq pour y trouver le particuillier. »