Les premières écoles communales laïques

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 351, mars 2011

Écoles privées ou écoles paroissiales, les petites écoles de l’Ancien Régime - qu’un édit royal de 1698 demande d’établir dans chaque paroisse - sont contrôlées ou dirigées par l’Église. Des personnes charitables ouvrent des écoles. À partir du milieu du XVIIIe siècle, la chapelle du Saint-Esprit, à l’angle de l’actuelle rue Descartes et du boulevard Descazeaux, sert d’école pour les enfants pauvres de la Trinité. Un frère des écoles chrétiennes s’y rend chaque jour pour enseigner lecture, écriture et calcul.

La Convention décide de confier les écoles primaires à des instituteurs laïcs que la loi du 29 frimaire an II - 19 décembre 1793 - place sous la surveillance des municipalités. À la tête de l’école du Saint-Esprit, Guillonneau enseigne en 1793 à 209 élèves. La réaction thermidorienne favorise à nouveau les écoles privées. Jusqu’au 1er janvier 1819, la Ville continue à salarier trois instituteurs, un par arrondissement - et de même trois institutrices - avec pour obligation d’admettre gratuitement douze élèves indigents. Ils enseignent dans les bâtiments pris en location. Après cette date, le budget de l’enseignement primaire est alloué aux soeurs de la Sagesse et de Saint-Vincent, chargées d’enseigner aux petites filles pauvres et, pour les garçons, à l’école d’enseignement mutuel ouverte aux Cordeliers en 1817.

L'enseignement mutuel

Ce type d’enseignement, découvert en Inde par l’Écossais Andrew Bell, a été introduit d’Angleterre à Paris en 1815 grâce à une société philanthropique. Face à l’enseignement individuel où le maître s’occupe successivement de chaque élève, à l’instruction simultanée où il enseigne à tous les élèves à la fois répartis par niveau, la méthode mutuelle repose sur l’aide que les plus forts apportent à l’instituteur, en instruisant les plus faibles. Dans une salle de 30 m sur 10 m, on peut admettre jusqu’à 500 élèves, répartis en huit sections. Les meilleurs d’une section enseignent au niveau inférieur. Des moniteurs généraux et intermédiaires les encadrent. Le maître unique règle l’organisation des exercices du haut de sa chaire. Au milieu de la salle sont disposés les pupitres et les bancs. De chaque côté, des « demi-cercles de lecture » accueillent chacun neuf élèves. Des récompenses, de l’argent même et l’accès aux fonctions de moniteur suscitent l’émulation.

Séduit par ce modèle, Angers l’imite. Une société d’encouragement pour l’enseignement mutuel élémentaire se crée au sein de la bourgeoisie libérale de la ville, afin de promouvoir l’enseignement gratuit pour tous grâce à un système de souscriptions. La réunion fondatrice se tient le 27 novembre 1816 autour du manufacturier Joseph-François Joubert-Bonnaire, ancien maire d’Angers, avec les négociants Tessier de La Motte, Guillory et Grille ; les médecins Chevreul père, Guépin, Lachèse, Lefrançois ; les magistrats Desmazières, Monnier et Gaultier ; Lebas, secrétaire de l’académie, fondateur et directeur de l’école normale en 1831 ; l’abbé Tardy, proviseur du collège royal ; le pharmacien Proust, le général Delaâge, l’imprimeur Mame…

Première école, dite des "Cordeliers"

La société prend en location, puis achète le 19 décembre 1821 l’ancien réfectoire du couvent des Cordeliers, dont la grande salle (environ 17 m sur 7,50 m) est idéale pour l’enseignement mutuel. L’école gratuite pour 300 garçons ouvre le 21 mars 1817. On a fait appel à Jean-Gabriel Adville, professeur reçu à l’École normale de l’enseignement mutuel à Paris, pour enseigner la nouvelle méthode à l’instituteur en titre, Jean-Baptiste Gellerat, qui obtient son diplôme d’instituteur primaire le 22 mars 1817. C’est à cette occasion qu’Adville, originaire de Dieppe, futur bibliothécaire d’Angers, s’installe dans la ville. Il y épouse Marie-Adélaïde Dimay, directrice d’un pensionnat réputé pour jeunes filles, rue Valdemaine, à l’origine de l’actuelle institution Jeanne-d’Arc.

 

L’école de filles, prévue pour 160 élèves, ouvre en janvier 1821 sous la direction de Mme Gellerat, qui a appris la méthode avec son mari. Ce dernier décède malheureusement en 1832, regretté par la société. On lui trouve un digne successeur, Auguste Chevrollier, son élève et son aide depuis quelques années. Il dirige l’école des Cordeliers jusqu’en 1843, lorsqu’il fonde sa propre maison d’éducation à la Godeline, à laquelle - suprême consécration - est réunie l’école primaire supérieure en 1845. Pendant ce temps, Jean-Édouard Gellerat, fils de Jean-Baptiste, a pris la direction des Cordeliers.

Rappel des frères des écoles chrétiennes

Ainsi est née la plus ancienne école primaire publique d’Angers, aujourd’hui dénommée Joseph-Cussonneau. Les matières enseignées couvrent tout le champ de l’enseignement primaire, mais aussi le dessin linéaire, la musique et la couture, pour les filles. Le développement de l’enseignement mutuel est aussitôt en butte à l’hostilité de l’Église et des conservateurs, qui, en plus de son origine idéologique, lui reprochent de saper chez l’enfant le respect de l’autorité en effaçant la perception des hiérarchies.

Aussi les autorités rappellent-elles les frères des écoles chrétiennes qui ouvrent en 1820 l’école du Tertre. En 1823, la Ville accepte le don du bâtiment, offert par l’évêché et le conseil général à la charge d’entretenir les frères enseignants. Une seconde école chrétienne voit le jour en 1822 dans la Cité et une troisième rue du Canal en 1836. L’école des Cordeliers est même fermée du 1er janvier 1825 à juin 1828, le comité de surveillance des écoles primaires, présidé par l’évêque d’Angers, ayant estimé que l’école ne s’occupe pas suffisamment de l’éducation religieuse.

 

Une école d'enseignement mutuel pour la Doutre

La Révolution de Juillet voit le triomphe de la bourgeoisie libérale. La société pour l’enseignement mutuel est reconnue d’utilité publique le 3 décembre 1831. Elle peut ouvrir en janvier 1834 une nouvelle école mutuelle, boulevard de Laval (actuel boulevard Georges-Clemenceau), grâce aux subventions de la Ville et de l’État. Le bâtiment est élevé par l’architecte Launay-Piau, dans un style néoclassique sévère. Son plan respecte les prescriptions de l’enseignement mutuel : deux grandes salles de 30 m sur 10 m, l’une pour les filles et l’autre pour les garçons, de neuf fenêtres chacune, enserrent le pavillon à deux étages des logements des instituteurs. C’est le premier bâtiment construit à usage d’école primaire à Angers. Quant à la première école bâtie par la Ville, il faut attendre 1869, avec l’école Saint-Michel. Aujourd’hui démolie, elle se trouvait près de la prison.