Les premières pistes cyclables

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 364, juin 2012

En 1903, on ne recense dans le département que 154 « voitures à moteur » et 224 vélocipèdes. En 1921, la circulation a connu un développement considérable, non pas encore les voitures automobiles, toujours très onéreuses, au nombre de 2 877 seulement, mais les vélos qui sont 103 716 à sillonner les routes du Maine-et-Loire. Les entrées d’Angers voient passer chaque jour quelque cinq cents cyclistes, ce qui préoccupe les Ponts et Chaussées. L’ingénieur en chef Philippe conçoit donc un plan de pistes réservées aux vélos et demande au Touring Club de France sa collaboration le 27 juin 1921. Collaboration acquise par une subvention de 2 400 francs, qui couvrira l’achat de buses, de poteaux et de « tableaux indicateurs » et complétée par un versement de 100 francs accordés par le syndicat d’initiative de l’Anjou.

Le plan est modeste. Il s’agit de créer trois pistes cyclables sablées d’1,50 m de largeur de façon à permettre la rencontre de deux cyclistes : une piste sur la route de Nantes, longue d’1,5 km ; une route de Paris, de 3,5 km et une troisième route d’Avrillé, d’1,5 km. Les débuts sont modestes également, puisqu’ignorés. Le 13 juin 1922, par la voix du journaliste Jacques Bouchemaine, un Angevin réclame dans L’Ouest une piste réservée aux cyclistes, route de Paris, indiquant qu’il y existe bien une piste cavalière sur l’un des bas-côtés, qui remonte au début de l’automobile : « Pour que les chevaux fussent moins effrayés par les nouvelles machines, aux abords de la ville, où elles circulaient plus nombreuses que partout ailleurs, on s’appliqua à les en éloigner le plus possible. » La piste cavalière a été prolongée jusqu’au-delà d’Éventard, mais il demande une piste semblable de l’autre côté, au moins jusqu’à Pellouailles. Les voitures, très nombreuses, provoquent des nuages de poussière sur des routes encore peu goudronnées et les cyclistes, aveuglés, ne peuvent pas toujours éviter la chute. Le journaliste signale au passage que le département est le troisième de France pour le nombre des bicyclettes.

Le lendemain, le journal publie un rectificatif :

« La piste cycliste, qui a été réclamée par un de nos lecteurs à Jacques Bouchemaine, existe déjà route de Nantes, où elle donne pleine satisfaction. Route de Paris, elle a été également amorcée. Mais si j’en crois les fervents de la pédale, elle ne serait pas parfaite, de petits cailloux gênant le roulement des pneus. En revanche, la piste cavalière s’offre aux cyclistes sur une longue distance. »

Le programme reste probablement inachevé. Le Petit Courrier du 6 août 1927 revient sur les accidents de la circulation qui augmentent et sur la nécessité pour les cyclistes, plus exposés encore que les piétons, d’avoir des emplacements réservés pour y circuler à l’aise.

« Ces pistes existent bien sur quelques routes, en particulier aux environs d’Angers, note Sylvain Houssaye, mais elles sont insuffisamment larges et surtout trop peu nombreuses. […] Une largeur d’un mètre et demi ou deux mètres serait suffisante et après un bon goudronnage, l’entretien serait à peu près nul. »

On n’en entend plus parler pendant deux décennies. Le 10 décembre 1946, Le Courrier de l’Ouest félicite les Ponts et Chaussées pour la piste cyclable goudronnée de la rue de la Madeleine, tout le long des trottoirs, sur un mètre de largeur. Les cyclistes échappent ainsi aux pavés, sur le chemin de leur promenade favorite vers Mûrs-Érigné. C’est, comme on les dénommera plus tard, la première bande cyclable.

Le sujet redevient d’actualité en 1952-1953. La route de Paris possède certes la piste cyclable aménagée vers 1921-1922, mais elle n’existe que du côté Paris-Angers, entre le pont du chemin de fer et la route de Saint-Sylvain, si bien que les cyclistes qui montent vers Paris doivent traverser la circulation automobile très dense. Plusieurs accidents mortels s’y produisent, trois en un an selon Le Courrier de l’Ouest du 23 juillet 1952. Les riverains réclament une seconde piste dans le sens Angers-Paris. Le conseil municipal délibère de la question en juillet 1953 et se rallie finalement à la solution économique des Ponts et Chaussées : instituer un sens unique sur la piste cyclable existante…

Dix ans s’écoulent. Dans le sondage d’opinion réalisé par la Jeune chambre économique en 1962, les flux de circulation sont évoqués. On demande l’étalement des horaires de travail – déjà la politique des temps ! – comme cela est réalisé ou en voie de l’être dans les villes voisines (Le Mans, Tours, Rennes, Nantes) et l’implantation de pistes cyclables, « route de Nantes, par exemple ». Les anciennes pistes n’ont donc pas dû être entretenues.

« Tout arrive, titre Le Courrier de l’Ouest du 20 septembre 1962, Voici la seconde piste cyclable d’Angers », une piste montante, route de Paris. Les piétons l’emprunteront quand elle sera libre, afin de ne pas continuer à patauger au bord des fossés, où s’écoulent les eaux usées et des résidus de fosses non étanches. Le tout-à-l’égout est encore un grand chantier à mener. Cette seconde piste n’est qu’un petit tronçon, d’un peu plus d’un kilomètre, entre le pont de chemin de fer et l’entrée de la route de Saint-Barthélemy. En fait, elle est aménagée plus spécialement à l’usage des élèves fréquentant l’école de la Baronnerie.

La Ville reprend l’étude des pistes cyclables dans une vaste étude sur les deux-roues menée entre juin 1975 et mars 1976. Le dépouillement des 13 000 réponses à l’enquête de l’Agence d’urbanisme de région angevine (AURA) montre que 16 % des véhicules en déplacement sont des deux-roues. Un quart des personnes se rendant à leur travail emploient ce moyen de locomotion, qu’il n’est plus possible d’ignorer. Il est donc décidé de tenter une expérimentation de piste avenue du Général-Patton, route nationale 123, en profitant de la réfection de la voie prévue par l’État. De chaque côté de l’avenue, entre les deux files d’arbres, prendront place les trottoirs de 3,50 m de large, puis les 2,50 m de la piste cyclable, 2,50 m pour le stationnement des voitures et enfin les 7 mètres de la chaussée. Malheureusement la concertation avec les riverains cisaille le projet en septembre 1976. Il leur serait impossible, font-ils remarquer, d’entrer dans leurs garages sans s’immobiliser quelques instants sur la piste cyclable. Les cyclistes seraient aussi menacés par l’ouverture des portières des voitures en stationnement. Ils ne sont pas hostiles au principe d’une piste cyclable, mais à un endroit où elle ne puisse causer aucun accident. Et cet endroit se révéla introuvable…

La nouvelle municipalité de Jean Monnier reprend la réflexion en novembre 1977 dans le cadre de la définition de sa politique d’urbanisme. Mais la mise en place d’un réseau spécifique pour les deux-roues sur toute la ville a été une œuvre de longue haleine, activement appuyée par les associations d’usagers qui se sont succédé, l’Association angevine des usagers de la bicyclette créée en 1980, puis l’Association des usagers du vélo angevin (AUVA), à partir de 1997. De la première tranche dans l’ouest de la ville en 1981, entre le lycée Bergson et la Basse-Chaîne, à la présentation d’un « Plan vélo » en novembre 1999, il a fallu composer avec la topographie en acceptant le principe des bandes cyclables, là où la place faisait défaut. Aujourd’hui les usagers du vélo disposent de 83 km d’espaces cyclables, dont 12,3 km de pistes spécifiques.