Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 404, décembre 2016
La tradition sociable des Angevins se manifeste par leurs nombreuses créations associatives. Si l’on met à part les confréries dont la plus célèbre était celle de Saint-Nicolas ou des Bourgeois d'Angers, établie dans l'abbaye Saint-Nicolas au XIe siècle, puis transférée à la collégiale Saint-Laud au XIIIe siècle, les académies savantes provinciales, comme l’Académie royale des sciences et des belles-lettres d’Angers fondée en 1685, les « associations » apparaissent au XVIIIe siècle, sous la forme de sociétés d’agrément, et d’abord dans l’Ouest de la France.
La toute première, mal connue, est établie à Angers le 25 janvier 1748, sous le nom de Société d’Angers ou Grande Société. Elle regroupe 92 membres à la fin de l’année, appartenant en majorité à la noblesse et à la grande bourgeoisie d’Angers, avocats, échevins, magistrats, professeurs, grands marchands et entrepreneurs… S’y retrouvaient les Ayrault, Aubin de La Bouchetière, Béguyer de Chamboureau, Daburon de Mantelon, Darlus de Monteclerc, Dieusie, Éveillard de Livois (grand collectionneur de tableaux), Falloux du Lys, le marquis d’Andigné…
Des sociétés masculines
Les sociétés se développent dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Seuls les hommes y sont admis. Le recrutement se fait par cooptation et élection. Leur règlement est strict, droit d’entrée et cotisations sont assez élevés. On lit les journaux, on pratique la conversation, mais surtout les jeux et en particulier le jeu de boule. Certaines sociétés ont une action philanthropique. D’autres sont spécialisées, comme la Société des botanophiles, fondée en 1777, dont le but est la création d’un jardin botanique. Un recensement de 1799 signale 25 sociétés à Angers. Elles sont 51 en 1843. Selon le maire d’Angers, en 1822, « les sociétés particulières sont tellement multipliées que chaque chef de ménage, de quelque classe qu’il soit, a la sienne ». Elles prennent alors souvent le nom de « cercle », que ce soit les sociétés de boule ou les cercles plus intellectuels et mondains, comme le Cercle du Boulevard, le plus représentatif d’entre eux, qui se fait bâtir en 1854-1855 un palais sur le boulevard de Saumur (actuel boulevard du Maréchal-Foch), que l’on appellera le Grand-Cercle.
Le plus ancien règlement de jeu de boule
Le jeu de boule fait déjà fureur au XVIIIe siècle et cette passion se répand au siècle suivant. Les règlements des sociétés essayent de la canaliser, comme celui de « Pierre-Lize », au faubourg Saint-Michel, daté de 1828. C’est l’un des plus anciens d’Angers qui soit conservé. La Société se compose de 45 membres, d’un procureur, d’un sous-procureur et de deux commissaires. Toute personne qui voudrait faire partie de la Société devra être présentée par un membre et son nom sera affiché pendant huit jours, avec son état et son domicile. Nul se sera reçu sans le consentement de la majorité des membres et le payement d’un droit d’entrée.
L’article 18 indique qu’il est défendu aux sociétaires d’amener des étrangers à la Société le jour des assemblées générales. « L’épouse ou les enfants d’un sociétaire, quoique n’étant pas considérés comme étrangers, ne pourront de même assister leur mari ou leur père les jours désignés ci-dessus ». La partie de boule est toujours faite par les deux plus forts joueurs de l’assemblée. « Le sociétaire qui se trouve à la fin de la partie a le droit de faire refaire et demander la partie dans le cas où le nombre de douze n’est pas arrivé, car il est défendu de jouer plus de douze par chaque partie de boule. » Chaque joueur ne pourra miser plus de dix centimes par partie.
Le savoir-vivre minimal…
Plusieurs articles sont révélateurs des mœurs de l’époque… :
« Art. 26 - L’individu qui se permettrait de cracher dans le jeu serait condamné à cinq centimes d’amende et celui qui se fera ouvrir la porte les dimanches et fêtes, cinq centimes. […] Art. 28 – Toute personne qui se permettrait de satisfaire un besoin naturel à la distance de moins de quinze pas du jeu payerait l’amende de quatre-vingt quinze centimes, dans le jeu, ou dans la buvette serait à l’amende de dix francs. […] Art. 33 – Tout sociétaire qui ferait entrer des femmes reconnues publiques à quelque heure que ce soit, sera condamné à payer un franc d’amende, en cas de récidive du double, et exclu trois mois. […] Art. 38 – Défense est faite au concierge et aux sociétaires d’emporter du vin de la Société sous peine de trois francs d’amende et autant pour le concierge ; il est défendu au concierge de laisser coucher personne dans la Société, sous peine de responsabilité, et de n’ouvrir la porte à personne passé dix heures du soir […]. » Le règlement imprimé de la Société des Acacias (1829) stipule de même « qu’aucun sociétaire ne pourra rester à la société après dix heures du soir, sous peine d’une amende d’un franc ».
Jouer, jardiner, boire
Le règlement de la Société de Pierre-Lise est réécrit en 1846. Les articles 28, 33 et 38 n’y figurent plus… mais l’article 26 est toujours mentionné. Cette fois, il y a interdiction de fumer à plus de « trois par chaque chambre à la fois », de chanter sans le consentement des sociétaires présents. Une tenue décente est exigée le dimanche, « passé deux heures après-midi ». Il est intéressant de constater que des jardins – on les appellerait aujourd’hui jardins familiaux – ont été aménagés au siège de la Société. Il est rappelé à leur sujet qu’il est interdit de cueillir dans le jardin du voisin… Chaque sociétaire pourra d’ailleurs faire enclore la partie du jardin qui lui est échue. La question de la boisson – le vin - occupe quatre articles. Le « bar » est un pôle essentiel, source de trésorerie. Les femmes n’apparaissent que pour venir chercher un mari qui ne rentre pas facilement au foyer…
« Il est permis à la femme d’un sociétaire de venir chercher son époux honnêtement ; si elle s’emporte en injures, son mari payera cinquante centimes d’amende ; si c’est pour la seconde fois que l’épouse d’un sociétaire vient le chercher, il est obligé de s’en aller ou de payer une amende à laquelle le jury le condamnera. »
La première boule ferrée aurait vu le jour à Mazé vers 1850. On ne parle pas encore de « boule de fort », l’expression est rare avant le début du XXe siècle. La Fédération des joueurs de boule de fort de l’Ouest voit le jour en 1907, pour disputer le challenge Cointreau, offert par la maison de liqueurs.