Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 386, décembre 2014
Georges Bykadoroff ? Nombreux sont ceux qui se souviennent du footballeur du SCO, du « gentleman sportif », de l’homme sensible et humain, surnommé « le Russe bondissant » lorsqu’il était gardien de but et, plus simplement, « Byka ». On lui doit d’avoir importé la pratique du sauna à Angers.
Cosaque
Né le 10 mai 1918 d’Isaac Bykadoroff et de Paraskeva Korolkova à Rostov-sur-le-Don, c’est le fils d’un Cosaque du Don, ces cavaliers émérites, astreints à un service militaire à vie, qui constituaient une force de réserve stratégique pour les tsars. Après la révolution russe, il faut émigrer ou mourir. La famille arrive en Grèce en 1920, gagne la Yougoslavie, la Tchécoslovaquie, puis finalement la France vers 1925-1926. Mais Georges reste à Prague avec sa sœur Nathalie jusqu’à l’obtention d’un diplôme de fin d’études secondaires, équivalent du baccalauréat. En 1937, les enfants rejoignent enfin leurs parents, qui travaillent en Normandie près de Caen, à la Société métallurgique de Normandie (SMN), dont les usines sont à Mondeville-Colombelles. Georges y trouve lui-même un emploi de 2e machiniste, puis de soudeur. Une liste recensant le personnel de nationalité étrangère au 19 septembre 1939 le classe parmi les excellents ouvriers.
La Normandie, puis l’Anjou
En même temps, il s’est investi à l’US normande, dans l’équipe de football de la SMN. Sa carrière sportive s’était ouverte à Prague, touchant à tous les sports, hockey sur gazon, volley-ball, natation en particulier. Mobilisé le 1er octobre 1939, passé en zone libre en 1940, il revient à la vie civile en juin 1941, muni d’un brevet de moniteur d’éducation physique. Marié à une compatriote, Lydia Petroff, il est parmi les premiers à être embauché dans le cadre du STO, mais doit bientôt se cacher, pour faits de sabotage. Hébergé par un garagiste de Vire, il ne peut s’empêcher de reprendre sa place comme gardien de but, sous le nom de Georges Picard. Vire est évacuée lors du débarquement et la famille Bykadoroff se replie à Cherré, en Anjou, où vient au monde une petite Tatiana aux yeux bleus, le 21 septembre 1944. Pendant sept à huit mois, Georges travaille à la ferme du château de Marthou, tenue par la famille Coquereau, qui se souviendra longtemps de lui, assistant à la communion solennelle d’un enfant de la famille, en vêtements verts (témoignage de Jean Peltier-Coquereau).
Footballeur volant
Georges Bykadoroff étant recruté en 1945 pour jouer au SCO, toute la famille se transporte à Angers et – la crise du logement sévissant – vit en meublé pendant trois ans avant de trouver enfin à se loger. Chaque dimanche, le « Russe bondissant » fait des merveilles sur les terrains de football. Les chroniqueurs sportifs ne ménagent pas les louanges : « Bykadoroff a fait un très grand match effectuant des parades et arrêts absolument éblouissants », « match transcendant de Bykadoroff », « footballeur de classe exceptionnelle », joueur doté d’une « détente prodigieuse », « gardien de but spectaculaire », « il bloque la balle au vol »… Deux saisons et sa réputation est faite : « Chacun a pu apprécier sa franche et constante bonne humeur. Tout le monde sait, en notre ville, qu’il n’existe pas de plus charmant garçon, qu’il est pour tous ses camarades le modèle des amis. Chacun sait aussi que c’est un sportif éclectique et les habitués du stade nautique peuvent mieux que quiconque attester la variété de ses dons physiques. »
Sélectionné pour jouer en première division à Montpellier en 1949-1950, il préfère retrouver sa liberté à l’issue de cette saison, devenant entraîneur d’une équipe d’amateurs à Ganges, toujours dans l’Hérault, où il est aussi moniteur d’éducation physique pour les écoles et maître-nageur l’été, à Palavas-les-Flots. Il ouvre une salle de culture physique à Ganges, mais la ville est trop petite et la famille Bykadoroff regagne Angers en 1953. Entraîneur de la section de football de l’Intrépide, maître-nageur et instructeur de culture physique au SCO, puis maître-nageur à la première piscine d’Angers - la Baumette – ouverte le 18 juillet 1959, il lui fallait néanmoins autre chose : un établissement sportif à lui. Deux ans après son retour, il trouve enfin à acheter un bâtiment à sa convenance, l’ancien café-dancing Le Katorza, 19 rue Faidherbe. C’est là que, dès le début, il crée un bain de vapeur nordique, sur le modèle des « bania » de Russie. Ce n’était initialement qu’une sorte de petit igloo, d’où n’émergeait que la tête, mais bientôt un véritable sauna est inauguré au fond de la salle de culture physique.
Institut et sauna
L’institut de culture physique est ouvert de 6 h 30 à 21 heures. Dès l’ouverture, le maître des lieux entretient sa forme par une heure quotidienne de mouvements culturistes divers. Il y donne des cours aux élèves de l’École supérieure d’électronique de l’Ouest, de l’ESSCA et de l’Université catholique. Il est l’un des premiers à faire ses cours en musique, grâce à des cassettes dont il compose lui-même le programme – souvent avec de la musique slave – selon le rythme de ses séances (témoignage de Michel Guénault, professeur d’éducation physique). Les lundi, mercredi et vendredi, sa femme s’occupe de la culture physique des dames et donne les bains de vapeur. Les mardi, jeudi et samedi sont réservés aux hommes. La clientèle est bourgeoise, issue des professions libérales, enseignantes ou commerçantes de la ville. L’équipe du SCO en entier a recours aux bains nordiques.
« Imaginez, note R. Moisdon dans un article du Courrier de l’Ouest (8 novembre 1955), au fond de cette longue salle [de culture physique] décorée en tons vert et jaune – G. Bykadoroff décidément aime le vert – et agrémentée partout de fines plantes, un curieux enclos de bains de vapeur nordiques. Une sorte de fourneau contient des galets rôtis à blanc ; aspergés d’eau, ils provoquent une vapeur surchauffée où toute humidité est bannie, tous les excès d’humidité étant absorbés par les parois qui sont en sapin de Finlande. La chaleur, parfumée à l’essence de pin ou d’eucalyptus, monte à 60 ou 70°. […] Après la sudation, on passe dans les douches ; jets froids, tièdes ou chauds, sur commande ; ils provoquent une réaction ; on passe sur la bascule (les poids des pratiquants sont très surveillés), et ensuite dans l’un des huit box-vestiaires, où l’on se rhabille en ayant l’impression d’avoir acquis ce bien inestimable : la santé. »
Quant à la salle de culture physique, de 450 m2, on y trouve « tous les appareils gymniques et médicaux dignes d’un institut de culture physique » : espaliers de suspension pour travailler les abdominaux et redresser les corps défaillants ; barres parallèles à traction et petites barres ; planches inclinées pour travailler le centre abdominal ; bancs inclinés pour modifier les pectoraux, les poitrines, les dos non conformes ; tapis pour les mouvements couchés ; 505 poids et haltères ; presse universelle pour les hanches et les jambes ; medicin-ball…
Un poêle en pierres de lave
En 1970, des travaux de rénovation du sauna en font « l’un des plus modernes de France ». Transféré au sous-sol, c’est « la fierté de M. Bykadoroff » (Ouest-France, 7 décembre 1970) :
« Quand on voit la salle de repos, avec ses fauteuils relax noirs, la moquette rouge, le décor de chalet de montagne, l’agrandissement photographique, sans oublier l’éclairage indirect et les vestiaires ou douches voisines, on est saisi par l’aspect luxueux du local, la propreté parfaite et l’odeur discrète d’essence de pin qui flotte dans une chaleur agréable de 25°. […] On passe alors à la salle de relaxation, avec ses « relax » en lamelles de bois surélevées pour les jambes, à une température de 45 à 50° et enfin au sauna proprement dit, où règne une chaleur de 60° sur les bancs du bas et de 80° sur ceux du haut. Un poêle spécial couvert de pierres de lave crée la chaleur nécessaire et la vapeur sèche, ou entraîne la transpiration. »
Le 30 novembre 1974, Georges Bykadoroff reçoit des mains d’Edmond Sulzbach, directeur départemental des sports, la médaille d’argent de la jeunesse et des sports, récompense de toute une vie consacrée au service du sport. Dix ans plus tard, le 30 octobre 1984, il cède son établissement et décède prématurément dans sa 72e année, au début de janvier 1990. Son institut de culture physique existe toujours, de même que le sauna, 19 rue Faidherbe, sous l’enseigne Myosine. Il est dirigé par David le Fur depuis octobre 2008.
Tous mes remerciements à Mme Tatiana Guilbault-Bykadoroff qui, par son témoignage et ses archives, a permis la rédaction et l’illustration de cet article.