Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, Conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 418, octobre 2018
La construction en bois a aujourd’hui le vent en poupe. Vingt-quatre sites en France doivent accueillir de grands immeubles entièrement bâtis en bois, dont un dans le quartier de Belle-Beille, avenue Notre-Dame-du-Lac. C’est qu’Angers peut se prévaloir d’une certaine antériorité dans ce domaine… En octobre 1999, le premier salon « Maison bois » de France est lancé par le parc des expositions. Jumelée avec le salon de l’Habitat, de l’Immobilier et du Tourisme, la manifestation est le fruit d’une collaboration avec Atlanbois, association interprofessionnelle pour la promotion du bois en Pays de la Loire ; Afcobois, association française des constructeurs bois ; l’Agence nationale de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ainsi que le Comité national pour le développement du bois. Des milliers de visiteurs y affluent, le succès est immense. Les Compagnons du devoir annoncent alors la création d’une école spécialisée de la charpente et de la construction bois dans leur centre de formation du boulevard Copernic, à Monplaisir.
Les maisons démontables Bessonneau
Mais les racines de la construction en bois à Angers sont bien antérieures à 1999. Pendant la Première Guerre mondiale, la Société Anonyme des Filatures, Corderies et Tissages d’Angers Bessonneau ajoute une spécialité aux milliers de références de son catalogue : celle des maisons en bois. Elle avait déjà créé un service bois pour ses hangars à dirigeables et avions et pour ses tentes. Ce service est développé afin d’offrir des abris en bois plus résistants destinés au relogement des habitants des régions sinistrées, créer des quartiers ouvriers à bon marché ou fournir des locaux provisoires professionnels. Les maisons démontables Bessonneau équipent ainsi la ville de Reims, trois cités ouvrières de Nantes, celle de Couëron, de même qu’à Angers l’hôpital américain de Mongazon et l’école des Cordeliers (actuelle école Joseph-Cussonneau) dans le centre-ville. Pour celle-ci, la municipalité ne souhaitait pas faire la dépense de bâtiments en dur, mais hésitait aussi à faire la dépense de bâtiments provisoires : alors Julien Bessonneau lui-même a offert en 1918 son modèle de grande « maison d’école » en U.
Pour faire face à cette nouvelle branche industrielle qui prend au sortir de la guerre un essor considérable, l’usine acquiert un outillage très complet, comme l’indiquent F. Lennel et J. Potiron dans leur Historique des manufactures et usines de la société, publié en 1920 : « Toutes les machines y sont du dernier modèle : scies à rubans, scies circulaires, scies à lames multiples, scies à découper, toupies raboteuses, etc. Grâce à ces moyens de travail perfectionnés, on peut pratiquer le système de la série qui, en même temps qu’une production intensive, permet un prix de revient très inférieur. » Les scieries d’Angers (usines du Mail et de l’Ecce-Homo), de Brissac et de Blou débitent cent m3 de bois par jour. D’autres scieries travaillent pour l’entreprise dans la région parisienne, en Savoie (à Saint-Jean-d’Aulps), dans les Pyrénées (à Villefranche-de-Conflent et à Bagnères-de-Bigorre) et en Corse. Au total, 35 000 m3 par an sont mis en œuvre par 800 ouvriers, principalement dans les ateliers de charpenterie et menuiserie des usines du Mail, de l’Ecce-Homo à Angers et de Chantenay près de Nantes.
De véritables logis
Ces maisons remportent un grand succès - et parfois sur une longue durée, puisqu’il en existe encore en parfait état d’habitabilité - en raison de leurs principes de construction. Ce sont de véritables logis, de deux à six pièces, avec couverture en ardoise, extérieur de bois peint en rouge-brun, intérieur enduit de plâtre sur lattis, le tout reposant sur un socle de béton. Un système de doubles parois garantit une isolation suffisante contre le froid. L’album de photographies conservé aux Archives municipales le précise : « La double paroi, revêtement en planches à clins à l’extérieur et en plâtre sur lattis à l’intérieur, a l’avantage de maintenir dans les pièces une température à peu près uniforme par suite du matelas d’air de 0,07 cm ménagé entre les deux parois. Son but est également de rendre la construction moins sonore. L’enduit intérieur en plâtre a l’avantage d’assurer une plus grande propreté dans les locaux, ne laissant pas passer la poussière, contrairement à ce qui a lieu avec des enduits intérieurs en parquet. L’aspect d’un enduit en plâtre est plus confortable et donne mieux l’illusion d’habiter une maison en maçonnerie ordinaire. »
Les semelles des maisons reposent sur une murette légère en agglomérés de ciment et mâchefer, de briques ou de pierres, de 0,20 m d’épaisseur et sur une hauteur variable suivant la nature du sol. Lorsqu’il est très dur, on peut se dispenser de fondations et poser les semelles simplement sur des cales de bois ou de pierre.
La maison de deux pièces, avec ou sans débarras, nécessite pour son transport un wagon de dix tonnes. La maison marocaine de six pièces, dont il subsiste un bel exemplaire bien entretenu à Villevêque, réclame deux wagons de dix tonnes chacun. Son prix était de 11 800 francs, comme l’indique une mention au crayon sur la carte postale ci-dessous.
Rareté des maisons en bois
Le développement de la construction en bois reste étroitement lié à l’immédiat après-guerre et ne réussit pas à passer de la construction temporaire à la construction définitive. Certes, on vendait parfois des maisons en bois, comme le prouve cette annonce du 16 janvier 1927 parue dans Le Petit Courrier : « À vendre aux enchères, clos de Belle-Beille, 80 route de Nantes (dans les jardins de M. Ligot), maison démontable en bois, genre chalet Bessonneau, surélevée sur pylônes, couverte en fibro-ciment, parquetée et tapissée ». Mais les personnes aux moyens très modestes ont toujours bâti des maisons en bois, du moins pour commencer, comme au lotissement du Bois-du-Roi, à Avrillé. Un incendie, le 18 mars 1929, le rappelle. Une maison en planches y est détruite : « Tous les Angevins connaissent ce coin charmant des environs d’Angers, situé sur la route d’Avrillé. C’est une sorte de « cité » […] qui comprend de nombreuses maisons ouvrières, dont plusieurs sont construites en bois. » La maison sinistrée était habitée par un couple. L’homme travaillait aux usines Bessonneau de Montrejeau.
À l’opposé, 10 et 11 rue Charles-Gounod, dans le quartier de l’Arceau, deux maisons sont construites en 1934 selon un modèle standard d’un brevet allemand, exposé à la foire de Paris la même année (voir base Mérimée, Inventaire général). Détruites aujourd’hui, elles se faisaient face, entièrement en bois, peintes en jaune-beige avec éléments rouges, toiture de tuiles mécaniques rouges, ressemblant à de jolis chalets miniatures. « Le porche dans œuvre desservant les pièces légèrement surélevées est pour beaucoup dans le charme de ce modeste habitat préfabriqué, semble-t-il unique à Angers », indiquent les rédacteurs de la fiche de l’Inventaire. Ces exemples de maisons en bois restent isolés.
Une maison dans ce genre « chalet alpin » existe encore à Pellouailles, rue du Lié, au milieu d’un pré, ce qui l’a fait surnommer « la petite maison dans la prairie »… Ce serait, d’après un témoignage recueilli à Pellouailles par Michel Letertre, un chalet du fabricant Joly-Pottuz à Annemasse datant des années cinquante. La construction possède également une « terrasse-porche » dans œuvre dont les arceaux de bois et les balustres ajoutent au charme de ses murs beiges et de ses volets rouges. Espérons que ce chalet – inoccupé et dont l’état se dégrade de jour en jour – sera sauvé étant donné sa rareté et son agrément.
Construite en deux semaines
Les maisons en bois connaissent une longue éclipse jusqu’à la fin des Trente Glorieuses pour renaître à la faveur des préoccupations environnementales, sous la forme de maisons à ossature bois. L’une des premières à Angers, sinon la première, et en tout cas la première du constructeur, au 40 rue Nicolas-Bataille, près de la rue de Létanduère, est l’œuvre de la Société Angevine de Maisons Individuelles – Maisons Arc-en-Ciel, fondée rue Bressigny en 1983 par Jean-Jacques Lipreau, puis transférée avenue Pasteur. Les commanditaires, Joseph et Berthe Aubry, souhaitaient disposer rapidement d’une maison de plain-pied, pour remplacer leur habitation tout en escaliers. Ils sont immédiatement séduits par la rapidité de ce procédé de préfabrication et par les avantages du bois : meilleure isolation avec des murs moins épais, gain de place de 5 à 10 m2 pour un pavillon de taille moyenne, rapidité de la mise en œuvre.
La nouvelle maison Aubry, de forme rectangulaire simple, est édifiée en deux semaines, après préparation de la dalle de béton en février, entre le 4 et le 19 avril 1985. « C’était vraiment spectaculaire, inimaginable, racontent les propriétaires. Les camions sont arrivés le matin et à midi, des murs étaient déjà montés. » La maison fait l’objet d’un article dans le Courrier de l’Ouest du 6 avril 1985 : « Rue Nicolas-Bataille, une victoire pour la maison à ossature bois : jeudi matin, il n’y avait là qu’une simple plate-forme de ciment. Vendredi soir, les murs de la maison étaient debout et l’ensemble pourra être « hors d’air et d’eau » à la fin de la semaine… malgré le long week-end pascal. […] Ce sera sans doute – au moins pour un temps – le plus grand pavillon à ossature bois d’Angers, avec une surface au sol de plus de 180 m2. Et sa présence témoigne des progrès accomplis sur le marché de la construction par cette technique « traditionnelle » qu’il reste à redécouvrir en France après sa remise au goût et aux moyens du jour. » Après cet article, la maison est pendant quelque temps une véritable attraction : « Cela a vraiment été quelque chose », se souvient Berthe Aubry. Les propriétaires y emménagent le 13 juin, après avoir réalisé eux-mêmes la décoration intérieure.
D’autres entreprises que la Société Arc-en-Ciel pratiquent alors la construction en bois : Aux Métiers du Bâtiment, créée en 1961 à Angers par André Delibes, responsable de la maison des Compagnons du devoir, puis transférée à Saint-Sylvain-d’Anjou, a été pionnière en la matière. Dans les années 1980, on peut compter en Maine-et-Loire les entreprises Perrault, Lahaye-Ménard et Patrimob. Malgré tout la maison en bois est peu représentée dans le département, largement en dessous de la moyenne nationale, déjà inférieure en 1985 à 7 % du marché.
Les chefs d’entreprise cependant demeuraient confiants : le bois avait de l’avenir dans la construction, disaient-ils, l’exemple des pays d’Amérique et d’Europe du Nord le prouvait. Ce ne sont pas les Aubry qui les auraient contredits. Ils se déclarent encore aujourd’hui pleinement satisfaits de leur choix.