Les débuts du chocolat

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, Conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers, n° 412, décembre 2017 - janvier 2018

Le chocolat, nouvel aliment rapporté par les Espagnols du Mexique vers 1528, mit plus de temps que le café pour se diffuser dans toute la population. Longtemps, il a été considéré comme un médicament. La première personne à en avoir fait usage en France aurait été le cardinal-archevêque de Lyon Alphonse-Louis du Plessis, frère du cardinal de Richelieu, avant 1642. À Paris, le premier document officiel qui fait état du chocolat date de 1659. Un certain David Chaliou reçoit le privilège exclusif pour sa fabrication et sa vente dans toute la France. Le chocolat tarde à se répandre en province. Les chocolatières étaient encore inconnues à Lyon en 1671 d’après Madame de Sévigné. Écrivant vers 1720, le père Jean-Baptiste Labat, explorateur et botaniste, note dans son Nouveau Voyage aux isles de l’Amérique qu’il « seroit à souhaiter que l’usage de cet excellent aliment s’établît en France, comme il l’est en Espagne et par tout l’Amérique ».

Rue Saint-Laud

Le chocolat reste denrée rare à Angers au XVIIIe siècle. Quand fait-il son apparition ? On ne sait. Des particuliers ont pu en rapporter avant que les marchands confiseurs ne commencent à en faire commerce. Dans l’état actuel des recherches, la première mention de chocolat à Angers se rencontre dans l’inventaire après décès du confiseur René Lemercier, décédé le 24 février 1771 à environ 41 ans. Établi rue Saint-Laud, la rue de toutes les nouveautés et de tous les luxes, il produisait surtout des confiseries, dragées, fruits confits, confitures, massepains et liqueurs. Le chocolat paraît accessoire. On trouve dans son buffet « une livre de chocolat appresté », ainsi qu’une « boiste contenant une livre et demi de chocolat en papillotte ».

En février 1789, l’inventaire après décès du célèbre liquoriste Retureau, rues du Grand-Talon (haut de l’actuelle rue Plantagenêt) et Chaussée-Saint-Pierre, quoique surtout spécialisé dans les liqueurs, laisse voir une plus grande maîtrise du chocolat, avec la présence de moules et d’un « métier à chocolat » avec table et outil, estimé près de 400 livres. En 1805, au décès de Félicité Anne Hardye, épouse de l’important épicier Jacob Abraham, le magasin de la rue Saint-Laud renferme 100 kg de cacao, 8 kg de chocolat, 205 kg de chocolat apprêté, 5 kg de chocolat à la vanille, ce qui – étant donné sa conservation très limitée dans le temps – dénote déjà une assez grande consommation de ce produit.

Dans les banquets de l’hôtel de ville

Les traiteurs qui livrent l’hôtel de ville incluent cette nouveauté - timidement - dans leurs repas à partir de 1775. Le menu fourni par Thiriat ce 19 juin, jour de l’inauguration du portrait de Monsieur, duc d’Anjou, comporte vingt entremets, dont deux de crème au café et deux de crème au chocolat. Le chocolat ne reparaît qu’au banquet du 12 février 1782, donné en l’honneur de la naissance du dauphin Louis Joseph Xavier : le confiseur et liquoriste Fricot sert notamment « 8 asiettes de pain d’orange et sitron et chacolla et aux safran ». En 1786, c’est Pierre Retureau, cité plus haut, qui fait goûter ses « diablotins » au chocolat. L’année suivante, son dessert du 11 octobre comprend deux assiettes de « conserve chocolat ». Il paraît certain que tous les confiseurs et liquoristes de la fin de l’Ancien Régime savaient « apprêter » le chocolat.

Les Angevins semblent y prendre goût. Toutefois, il reste encore plus consommé pour ses vertus médicinales que par plaisir. Dans une annonce du 24 avril 1788 (Affiches d’Angers), le marchand épicier droguiste Jacob Abraham indique qu’il « fait fabriquer toutes sortes de chocolats de santé, à la cannelle, à la vanille… » Longtemps encore, le « chocolat de santé » est mentionné dans les publicités des pharmaciens : le 28 mars 1810, A. Lefaucheux adresse au maire un prospectus prévenant de son nouveau domicile place des Halles (place Louis-Imbach), où l’on trouvera « un assortiment complet et bien choisi des articles de pharmacie, de droguerie, d’épicerie et de teinture […]. Je continuerai de fabriquer le chocolat de santé et à la vanille ». En 1860, le pharmacien Jules Herbert, place Neuve (rue Montault), mentionne sur l’en-tête de ses factures les « chocolats de santé fins, ferrugineux, au salep, au tapioka, au lichen, au lait d’amandes, etc. », à côté des purgatifs et vermifuges. En 1894 encore, le pharmacien Alfred Brard, quai National, dépose une marque pour désigner « des chocolats et des produits pharmaceutiques ».

Les premières fabriques de chocolat

À partir des années 1820, certains se lancent dans la fabrication du chocolat à plus grande échelle. Peut-être même dès la décennie précédente, si l’on en croit la circulaire envoyée en novembre 1821 par le sieur Thomas-Desprez, marchand épicier et cirier d’Angers, pour signaler son nouveau magasin place de la Laiterie. Il s’y dit « gendre et successeur de M. Desprez, dont la fabrique de chocolat est si estimée ». Cette fabrique n’a guère laissé de traces, pas plus que celle de Lefaucheux, évoquée ci-dessus pour 1810. Ce devait être des fabriques de petits laboratoires artisanaux. Il faut attendre 1838-1839 pour voir se développer une fabrication plus « consistante ».

Coup sur coup, trois publicités du Journal de Maine-et-Loire annoncent l’ouverture d’une fabrique de chocolat. Le 1er janvier 1839, le confiseur Coquereau, rue Baudrière, prévient qu’il « vient d’établir une mécanique pour faire le chocolat, ce qui le met à même de rivaliser avec les fabriques de Paris, tant pour le prix que pour la qualité. » Le 21 mars, l’épicier droguiste papetier Moiteaux-Ferron, rue de la Poissonnerie, donne avis qu’il « vient de joindre à son commerce une fabrique de chocolat, dont la qualité ne laisse rien à désirer ». Il vendra le chocolat apprêté surfin, le chocolat de santé, à la vanille, au lait d’amandes. Le 26 avril, Priou, rue Baudrière, s’insurge contre « le charlatanisme de certains marchands », qui font croire au consommateur que « le chocolat ne peut être bon, s’il n’est d’un prix fort élevé ou s’il ne porte quelque dénomination extraordinaire, telle que chocolat Mesnier [Menier], chocolat de Paris, chocolat de Bayonne, etc. […] M. Priou, pensant qu’il est toujours utile de chercher à détruire les mauvais préjugés, vient pour combattre celui-ci offrir aux consommateurs ses chocolats. […] M. Priou, fabriquant lui-même cet article, y apporte les soins les plus minutieux ; aussi peut-il le garantir en première qualité, net de tout mélange et n’ayant à redouter aucune des expériences auxquelles on voudra le soumettre. » L’année 1839 est l’année du chocolat à Angers !

Priou, artisan de la démocratisation du chocolat

L’Annuaire de Maine-et-Loire enregistre la diffusion du chocolat en ouvrant en 1847 une rubrique « Chocolatiers » dans sa liste des commerçants classés par activité. Il n’en mentionne que trois – Antequera, rue Saint-Aubin (depuis 1845 environ) ; Gaucher, rue Saint-Laud ; Priou, rue Baudrière – omettant Coquereau, toujours actif et Moiteaux-Ferron, rue Boisnet. Le plus important de l’époque, artisan de la démocratisation du chocolat à Angers, est probablement René Priou. Sa fabrique de chocolat, souligne-t-il dans une annonce de 1844 (Journal de Maine-et-Loire, 13 novembre), est organisée à l’instar de celles de Paris, par procédé mécanique de M. Hermann. Il ne manque pas de faire régulièrement de la publicité. Sa production est distinguée lors des expositions industrielles d’Angers. En 1848, les rapports lui offrent une mention honorable pour ses échantillons de chocolat, « déjà remarqués en 1843 » pour leur « cassure brillante » et leur « goût agréable ». « Notre compatriote, tout en améliorant la fabrication de ses produits par l’acquisition d’une machine Hermann, est parvenu à reconnaître les meilleures qualités de cacao […] ».

En 1853, il est cette fois récompensé d’une médaille de bronze lors de la 5e exposition quinquennale agricole, industrielle et artistique organisée par la Société industrielle d’Angers :

« Cherchant toujours à perfectionner la fabrique qu’il a établie à Angers, est parvenu à fabriquer un chocolat dont le prix modique, un franc le demi-kilogramme, a excité notre surprise. Son goût n’est pas en effet en rapport avec ce prix inusité. […] Nous ne pouvons que féliciter l’exposant de répondre ainsi aux besoins de nos populations et de rendre enfin accessible aux classes les moins fortunées un aliment dont l’usage prend de jour en jour plus d’extension. Signalons encore les chocolats ferrugineux du même fabricant. Leur goût n’a rien de désagréable malgré la forte proportion de sous-carbonate de fer qu’ils renferment et leur prix n’est plus un obstacle à l’emploi d’un produit si souvent prescrit par les médecins. »

L’étoile montante du chocolat

À cette même exposition de 1853 participent quatre autres fabricants de chocolat, deux de Nantes, Besnier et Gaillard ; Alcade, de Tours et un certain Dufil, dont l’adresse n’est pas indiquée dans le compte rendu de la Société industrielle. D’autres fabriques sont également actives, comme celle de Moiteaux-Ferron, mais l’étoile montante est la « Chocolaterie Angevine » d’Alexandre Gaucher, successeur en 1845 des grands liquoristes-confiseurs et chocolatiers Gannereau et Pertué, rue Saint-Laud. En 1858, sa fabrique obtient déjà une médaille d’argent à l’exposition industrielle d’Angers. Elle reçoit une médaille de vermeil en 1864. Vers 1865, il s’installe rue Saint-Aubin, à l’angle du boulevard de Saumur et dépose en 1866 trois marques pour ses chocolats. Adolphe Étourneau, successeur de Priou vers 1865-1867, dépose lui aussi une marque au tribunal de commerce en 1868 – « Chocolaterie de Maine-et-Loire, maison fondée en 1830, usine à vapeur, médailles obtenues aux expositions de 1848, 1852, 1853, 1857. Adolphe Étourneau, 55 rue Baudrière. Chocolat au caraque ». Toutefois sa fabrique disparaît au milieu des années 1870.

Si Priou a été « le » chocolatier des années 1840-1850, Gaucher est la grande chocolaterie angevine de la seconde moitié du XIXe siècle, et bien au-delà (lire « Les trois « G » de la chocolaterie angevine », chronique historique, décembre 2004).


Un grand merci à Sylvette Robson pour ses recherches sur les premiers chocolatiers aux Archives départementales de Maine-et-Loire.