Le premier journal

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 372, avril 2013

Pour s’informer, les Angevins ne disposaient, jusqu’au XVIIIe siècle, que du bouche à oreille. Le monde était alors essentiellement régi par l’oral. Une première gazette voit toutefois le jour en juillet 1702, semble-t-il. Du moins les numéros conservés à la Bibliothèque municipale commencent-ils à cette date. Publiée par l’imprimeur et libraire Jean Hubault, elle a pour simple titre : La Gazette. Il s'agit d'une simple réimpression de La Gazette parisienne créée en 1631 par Théophraste Renaudot, d'où l'absence totale d'articles locaux. L'abonnement à La Gazette était très onéreux pour les provinciaux, du fait de la lourdeur des frais postaux. Un certain nombre d'imprimeurs des principales villes du royaume ont donc pris à ferme le privilège de réimpression. Le tarif de l'abonnement était beaucoup plus réduit et les nouvelles se diffusaient plus rapidement, mais le nombre de pages du journal était réduit. Cette gazette connaît à Angers une certaine longévité, jusqu’en 1751, si l’on en juge par la collection de la Bibliothèque municipale. Elle contribue à l'émergence d'une opinion provinciale qui aboutit à la création d'un véritable périodique angevin.

Débuts de la presse locale angevine

À l’initiative du notaire angevin Pierre-Roch Deville, un hebdomadaire à caractère local est lancé le 3 juillet 1773 : les Affiches d’Angers, capitale de l’apanage de Monseigneur le comte de Provence, et de la Province d’Anjou. Paraissant le samedi, puis le vendredi dès le 7e numéro, il est imprimé par le libraire Charles Billault, imprimeur du comte de Provence, duc d’Anjou, rue Saint-Laud, qui prend seul la direction du journal à partir de mai 1774. En juin 1781, Charles-Pierre Mame lui succède comme imprimeur-libraire et directeur-rédacteur des Affiches. Alors que le journal ne comptait sans doute qu’à peine deux cents abonnés, selon la teneur d’un avis publié le 6 décembre 1776, l’entreprenant Mame contribue à élargir son audience. Il avait d’ailleurs ouvert, le 15 janvier 1780, un cabinet de lecture baptisé « cabinet politique », dans sa librairie, rue Saint-Laud. C’était une grande nouveauté à Angers qui ne disposait pas de bibliothèque publique. Moyennant 12 livres, les souscripteurs pouvaient y lire tous les journaux politiques et littéraires les plus intéressants, comme La Gazette de France, le Journal des savants, la Gazette de Leyde, le Journal des sciences et beaux-arts et les feuilles hebdomadaires des principales villes du royaume.

Les Affiches d’Angers n’ont rien d’un journal politique. Il s’agit d’une simple feuille d’annonces qui donne des nouvelles dans quatre domaines principaux : informations générales, littéraires et scientifiques, annonces locales. Cette partie d’annonces forme d’ailleurs le premier des objectifs que s’assigne le journal, clairement exposé dans le numéro 1 :

« Le premier article concernera la ville d’Angers […]. On y insérera les maisons à vendre ou à louer, les ventes judiciaires ou volontaires des charges, offices, meubles et autres effets, le tableau de la conservation des hypothèques […], les diverses annonces, les prix des grains, la nomination aux bénéfices… »

Quelques exemples d’« avis »

  • 2 avril 1779 : « Mademoiselle Blouin apprend à lire, à écrire, l'arithmétique, la langue française et les principes de la religion aux sourds-muets de naissance, leur fait la classe tous les jours matin et soir, les prend en pension, les mène promener, il y en a des deux sexes. Les personnes qui désirent voir donner des leçons peuvent lui faire l'honneur d'entrer, elle demeure rue Saint-Laud. »
  • 14 décembre 1781 : « Mme veuve Leysner, dont le rare talent de son mari, un des plus habiles artistes, que la mort vient d’enlever au regret de tous ses concitoyens, était universellement connu, aux ouvrages duquel, on a toujours applaudi, prévient qu’elle a dans son atelier des artistes non moins sublimes pour la figure qu’habile pour la sculpture ; qu’elle veillera avec soin à mériter la confiance qu’on avait justement accordée à son mari et qu’elle fera ses efforts pour satisfaire les personnes qui s’adresseront à elle. »
  • 11 juillet 1783 : « Le sieur Cochet, maître tailleur, vis-à-vis le corps de garde des Grands Ponts, prévient le public qu'il a un endroit sous sa maison où les hommes et les femmes peuvent prendre, avec toute la sécurité et commodité possibles, les bains de rivière, dans le plus beau courant et à toute heure du jour. »
  • 4 février 1785 : « Le sieur Fabre, marchand épicier confiseur, rue Saint-Laud, prévient le public qu’il tient des fruits à l’eau-de-vie, de toute espèce, et de bonne qualité. Ces fruits, susceptibles de se conserver, peuvent, lorsqu’ils sont bien encaissés en barils ou en bocaux, subir l’épreuve de différents voyages de mer, sans se gâter. »

Goût pour les sciences

Le XVIIIe siècle étant très curieux de progrès scientifiques, le journal s’empresse ensuite de noter qu’il indiquera « les recherches, les nouvelles découvertes et les faits intéressants qui concernent l’agriculture, spécialement celle de la province, la physique expérimentale, les sciences et les arts. […] Les exercices publics de l’université et des différents collèges de la province y trouveront leur place. » La littérature, très en vogue chez l’élite des Lumières, tiendra une place importante : « Nous rendrons compte, avec l’agrément de MM. les Académiciens d’Angers, des ouvrages lus dans leurs séances publiques ou particulières ; nous insérerons aussi les pièces fugitives en vers ou en prose, qui nous seront adressées par les auteurs dont les talents seront connus […] ».

Grâce aux Affiches d’Angers, nous connaissons le programme des saisons théâtrales, les cérémonies organisées par le collège d’Anjou, les efforts de Charlotte Blouin pour créer un enseignement adapté aux sourds et muets, les concerts donnés par la société de musique fondée en 1783, les cours de physique professés par Louis Damoreau… C’est le tableau d’une partie de la société angevine qui se dessine pour l’historien actuel, une société bourgeoise et aristocratique – elle forme le lectorat essentiel du journal - une société avide de connaissances qui croit au progrès continu des Lumières.

Aussi lit-on de nombreux articles consacrés à l’aérostation, à la première machine à vapeur française, à l’ouverture d’une école de chirurgie à Angers ; des conseils pour réaliser un paratonnerre, une recette de pain fabriqué uniquement avec ce légume nouveau qu’est la pomme de terre ; une analyse de l’Essai sur l’histoire de la philosophie naturelle ou chimie, ouvrage de l’apothicaire angevin Proust, père du chimiste, qui met en avant de façon très novatrice l’œuvre de Lavoisier sur l’existence et le rôle de l’oxygène, auxquels les milieux scientifiques d’alors ne croyaient pas.

Des Affiches d’Angers au Journal de Maine-et-Loire

En 1789, Mame adapte son journal aux événements. Pour mieux en rendre compte, la parution devient bi-hebdomadaire à partir de juin. Fin octobre, le titre est modifié en Affiches d’Angers ou Journal national de la province d’Anjou. De nouvelles rubriques sont créées : « Nouvelles de Paris », « Nouvelles politiques ». En décembre, il annonce un supplément gratuit par mois où seront publiés en entier les décrets de l’Assemblée nationale. Avec la naissance du département, le journal change encore de titre, le 17 avril 1790 : Affiches d’Angers ou Journal national du département de Maine-et-Loire. Néanmoins, la publication, peu portée sur les questions de politique, traverse sans difficulté les différents régimes. En 1812, les « Affiches d’Angers ou Journal de Maine-et-Loire » se scindent en deux titres : d’un côté, les Affiches, annonces et avis divers d’Angers, édité par l’imprimeur Pavie ; de l’autre, le Journal politique et littéraire du département de Maine-et-Loire, qui continue d’être publié par Mame. Sa longue carrière se poursuit jusqu’en 1925.