Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, Conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers, n° 426, septembre-octobre 2019
« Vous savez l’ardeur qu’a la population d’Angers pour le patinage, écrivait un membre de la famille de Contades au maire en 1914. La glace y étant devenue une chose fort rare, on m’a prié de fonder un club de patinage à roulettes et d’organiser un rink [ring]. » Effectivement, les photographies d’Angevins patinant sur les prairies de Balzac ne sont pas rares… quand l’hiver voulait bien offrir de la glace.
Un combiné patinoire-abattoir ?
Cinquante ans plus tard, cette ardeur n’est pas éteinte ! L’Union féminine civique et sociale adresse, le 28 décembre 1962, une pétition au maire : « Les sportifs dont les noms suivent […], adeptes du patinage sur glace, ont la chance de pouvoir pratiquer actuellement ce sport à Angers sur des eaux répandues, grâce au froid exceptionnel. Ils pensent qu’une ville comme Angers, éloignée des sports d’hiver, aurait une clientèle suffisante pour permettre d’y envisager la construction d’une patinoire artificielle. À l’heure actuelle où le sport est très encouragé, il y aurait la possibilité d’obtenir des subventions pour cette réalisation […]. Ne serait-il pas possible d’envisager la construction d’une patinoire vers les abattoirs dont la production de froid pourrait être étudiée pour deux utilisations différentes […]. Comptant sur votre esprit dynamique […]. »
Les Angevins n'étaient pas les seuls à faire des propositions de ce genre. La toute première était venue de la Société nouvelle d'exploitation des plages-piscines et patinoires, en janvier 1954. Forte de son expérience à Chamonix, Liège et Paris, avec le Palais de Glace, elle offre ses services, "disposant actuellement d'un important matériel frigorifique" et veut attirer l'attention du maire "sur l'extension actuelle du patinage en France : la ville de Lyon vient d'ouvrir une patinoire artificielle qui remporte le plus grand succès".
Le 4 mars 1963, l'Union féminine revient à la charge auprès de l’adjoint aux sports, Prosper David, et fait paraître un article dans Le Courrier de l’Ouest : « Des mères de famille, témoins de l’attrait exercé sur leurs enfants par le patinage qui a exceptionnellement été possible plusieurs dimanches et jeudis à Angers cet hiver, souhaiteraient que ce sport agréable et artistique puisse y être exercé d’une façon suivie, grâce à une patinoire artificielle. » Une délégation est reçue à la mairie et repart avec l’espoir que le projet de parc des sports à la Baumette comprenne une patinoire. En décembre, le maire Jean Turc annonce qu’Angers aura bientôt sa piscine couverte, car c’est cet équipement qui est réclamé par toute la population en premier lieu. De patinoire, point.
Un combiné patinoire-piscine ?
Le président d’honneur de la Fédération française des sports de glace, Guérard, que l’Union féminine a présenté au maire, lui remet une note en février 1964 faisant valoir l’économie d’exploitation obtenue par un combiné piscine-patinoire. La chaleur émise par les condenseurs permettant la liquéfaction de l’ammoniaque nécessaire à la production de la glace fait économiser 50 % sur les frais de chauffage d’une piscine couverte de 33 m. Mais à l’époque, les patinoires ne connaissent pas la vogue qu’elles auront après les Jeux olympiques de Grenoble de 1968 : il n’y en a que 18 en France, dont 13 dans les Alpes et 3 à Paris, les deux autres étant à Lille et à Strasbourg. Quand la société Les Piscines de France, qui exploite aussi des patinoires, écrit au maire en février 1965, ce dernier note encore en marge de la lettre : « À voir ultérieurement ».
La Ville paraît convaincue en 1969 par le projet que soumet la Société européenne des patinoires, présidée par l’ancien champion cycliste Louison Bobet. Le 22 décembre 1969, le conseil municipal adopte le principe de la construction d’une patinoire olympique au parc des sports de la Baumette, à proximité de la piscine… La piste sera aux dimensions olympiques de 60 x 30 m, entourée de 800 à 1 000 places en gradin. La Ville louera les terrains sur lesquels le bâtiment sera édifié et en deviendra propriétaire au bout de 45 ans. Par convention, la société accorde certaines redevances et des avantages particuliers aux scolaires et clubs sportifs. Optimiste, Le Courrier de l’Ouest conclut : « La patinoire sera ouverte en octobre prochain ». Mais l’accord définitif n’est scellé que le 1er décembre 1970, avec une mise en service repoussée à octobre 1971. Et l’Annuaire de l’Office municipal des sports présente le projet comme une « réalité 1971 ». On est revenu à une piste de 56 x 26 m. Un an plus tard, il ne s’est rien passé. Le silence retombe sur le projet. A-t-il été enterré faute d’être subventionné par l’État ? Ou par suite d’un différend avec la société, à qui incombait tout le financement ? Une étude reste à mener sur la question.
Satisfaire une fringale de glace
La patinoire ne refait surface qu’en 1977, avec l’arrivée de la nouvelle municipalité de Jean Monnier. Les Angevins ne cessaient pas d’envoyer aux élus des lettres analogues à celle-ci, du 4 mars 1979 : « De retour de Cholet, vu le prix de l’essence, vu le mauvais état de la route, vu la distance à parcourir d’une part ; vu le besoin que l’homme a de se distraire sainement, vu que ce besoin n’est satisfait qu’en regard de ses possibilités financières, vu le potentiel de distractions dont disposent les Angevins d’autre part ; vous mandons, prions et supplions de bien vouloir envisager l’installation et l’ouverture d’une… PATINOIRE !! Le projet d’aménagement du quartier de la République ne pourrait-il pas inclure un tel lieu de ralliement et de détente pour la population angevine ? Nous avons tant besoin de sourire à notre voisin, connu ou inconnu, et les dérapages ou les chutes fatales sont autant d’occasions de le faire ! » Lettre à laquelle Jean Monnier répond : « Vous pouvez être assuré que votre requête a été prise en considération. Intimement convaincu de l’utilité d’une patinoire à Angers – qui ne sera pas forcément en glace naturelle – j’ai demandé aux services municipaux d’étudier un projet. »
Ce projet, la municipalité y songe dès 1977. À la fin de l’année, les adjoints aux finances André Despagnet et aux sports, Jack Proult, font le voyage à la patinoire de Romorantin, équipée du système Glice. On songe alors à mettre en œuvre ce système économique, qui permet d’éviter de fabriquer de la glace. La piste en plastique Glice est composée de panneaux sandwich en contreplaqué, réversibles, revêtus sur les deux faces d’une plaque de glissement de couleur bleu pâle. Après utilisation sur un côté, les panneaux peuvent être retournés pour constituer une nouvelle piste en parfait état.
De 1977 à 1979, une longue étude est entreprise. Le service des Sports enquête sur la réalisation et la gestion des patinoires en France. En plus du système à utiliser pour la piste, deux autres questions cruciales sont à étudier : le jumelage piscine-patinoire, pour économiser l’énergie et la question de l’emplacement. Il en ressort que la patinoire est un pôle d’animation important et doit être un équipement urbain central. Quant au bilan d’exploitation, il est le plus souvent déficitaire étant donné le coût de l’énergie grandissant - après le choc pétrolier de 1973 – et la politique tarifaire attractive pour l’ouvrir à toutes les couches de la population.
Le choix des haras
Après l’avoir envisagée dans la zone de loisirs du lac de Maine, l’idée s’impose à la fin de l’année 1979 de l’installer aux haras, emplacement central, rendu libre par l’échec d’y implanter les facultés de droit et de lettres. Le directeur général des services techniques de la Ville préconise un projet en deux temps : une patinoire d’initiation en plastique aux haras, avec une petite piste, à proximité des équipements de petite enfance prévus sur ce site, puis la construction d’une vraie patinoire en glace avec gradins et piste olympique à Jean-Bouin, pour permettre d’importantes économies d’énergie. Cette solution n’est pas retenue.
Jean Monnier, favorable au départ à une piste en plastique, est convaincu - après enquête - que ce type de patinoire ne sera pas pérenne. Il souhaite faire construire immédiatement une patinoire avec piste olympique de 58 x 28 m, dotée de 750 places en tribune. Quant à la chaleur des compresseurs de la patinoire, elle ne sera pas utilisée pour une piscine, mais pour les autres équipements prévus aux haras. Les conseils municipaux des 29 septembre et 27 octobre 1980 se prononcent en faveur de l’aménagement du terrain des anciens haras. L’îlot devra comprendre parking, halte-garderie, salles polyvalente et d’exposition, ateliers d’artisans, immeubles de bureaux et de logements et la patinoire, accompagnée de locaux annexes et d’une cafétéria. Son emplacement ne fait pas l’unanimité. Les 13 abstentionnistes du conseil municipal verraient plutôt une patinoire intégrée dans un complexe de loisirs et située près d’une piscine pour faire baisser les coûts de fonctionnement.
Le maire répond par un triple objectif : faire de ce quartier central un nouveau pôle d’attractivité pour renforcer celui du centre-ville, mettre en valeur les qualités environnementales de l’ancien haras, créer une liaison entre les quartiers séparés par voie ferrée. C’est l’architecte Jean-Pierre Logerais, du cabinet ATA de Saumur, qui traduit en volume la volonté municipale. L’idée est d’intégrer le parking à la patinoire et aux immeubles de façon à éliminer les façades aveugles, de créer des volumes variés reliant équipements et immeubles pour constituer une vraie rue intérieure, ouverte sur un parc d’un côté et joignant les rues Turpin-de-Crissé et Paul-Bert. Les jeux de volumes sont complétés par des jeux de matériaux : bois de la charpente en lamellé-collé de la patinoire, ardoise, brique, béton et aluminium. Trois phases de travaux sont prévues : la patinoire, le parking, les équipements de petite-enfance et d’exposition ; l’immeuble de bureaux avenue Turpin-de-Crissé ; l’ensemble immobilier en façade rue Paul-Bert.
Un Québécois à la direction
Le chantier débute en juillet 1981. En même temps s’organise la gestion de la patinoire, dévolue à une société privée, Angex, à qui sont déjà confiés les parkings de la ville. C’est aussi une filiale de la Cétex qui gère les patinoires d’Orléans et de Charenton. Un directeur animateur de haut vol est recruté, le Québécois Richard Jamieson, qui a entraîné au Québec des équipes de la Ligue Junior Majeure, puis l’équipe de hockey de Tours, vice-championne de France 1980-81. Pour la gestion, il est employé par la société Angex ; pour l’animation, la promotion des sports de glace et la création d’une association - la future ASGA, Association des sports de glace d’Angers, il dépend de la Ville.
Ce système mi-privé, mi-public, ne convainc pas le communiste Michel Bouet qui intervient au conseil municipal du 30 juin 1982 : « Je ne suis pas pour la municipalisation systématique de tous les équipements ; j’observe pourtant avec inquiétude que tous les nouveaux équipements sont confiés en gestion à des sociétés privées. Je souhaite donc qu’il ne s’agisse pas là d’une ligne définitive applicable également aux réalisations futures. » À quoi le maire lui répond : « Ces contrats et ces conventions, qu’il s’agisse du camping ou des transports en commun, constituent davantage des régies intéressées et n’enlèvent en aucune façon les responsabilités à la Ville. »
Un grand moment « on ice »
Les horaires de la patinoire réservent la tranche la plus large au patinage de loisir tout public (plus de 30 h), les sections sportives de l’ASGA disposent de 17 h et les scolaires de 12 h. « Nous voulons privilégier la glace pour tous », indique Richard Jamieson. Détente, initiation, compétition doivent être réunies au sein du même établissement.
Le lancement de la communication autour du nouvel équipement se fait avec le concours de la mascotte des sports de glace d’Angers, du 17 septembre au 23 octobre 1982. Un avis de « tempête de glace » est lancé. « Participez tous au concours… Créez le personnage, animal ou autre, le costume, le nom. Gagnez un voyage à Chamonix offert par le Club Méditerranée et de nombreux prix. L’inauguration est fixée au 27-28 novembre 1982, lors d’un « week-end on ice ». Jean Monnier invite Edwige Avice, ministre de la Jeunesse et des Sports. Elle demande qu’on envisage une autre date, pour cause d’emploi du temps chargé. Annotation du maire en marge de sa lettre : « Pas question de changer de date ! Nous nous passerons d’Edwige… ».
L’inauguration est un grand moment auquel participent 20 000 personnes. Le samedi 27 septembre, tous les niveaux de pratique de la glace sont mis en valeur : matchs des poussins, benjamins, ringuettes, matchs amateurs et professionnels. Il y a même un match de ballon-balai – « casse gueule », opposant élus et employés de la Ville. La mascotte est dévoilée à 15 heures. Elle s’appelle Pati, animal hybride mi-castor, mi-raton-laveur, en maillot rouge aux couleurs de l’ASGA, imaginé par Dominique Bréchet, 19 ans, de Saint-Georges-sur-Loire, qui a suivi les cours d’une école d’art graphique à Tours. Le soir, on frise l’émeute avec le gala de patinage artistique, accessible seulement sur invitation (mille cartons envoyés). La police doit être requise pour effectuer le service d’ordre. Patrick Gilardor, président de la Fédération nationale des professeurs de patinage sur glace, y présente tout ce qu’il est possible de faire sur une patinoire. Et le club des Pingouins de Tours offre un match humoristique de hockey USA-URSS de la plus haute fantaisie.
« Cette réalisation montre bien le chemin parcouru dans le développement de la pratique du sport tant au niveau national que dans une ville comme celle d’Angers », souligne le préfet dans son allocation inaugurale – lue en son absence par le secrétaire général de la préfecture. Le Maine-et-Loire est depuis longtemps le département le plus sportif des Pays de la Loire, du fait de la jeunesse de sa population, du dynamisme de la vie associative et des initiatives des collectivités locales. Le représentant de l’État loue cette réalisation exemplaire, qui réintroduit les installations sportives au cœur de la ville et a été conçue comme un « équipement intégré dans un ensemble de services sociaux, de logements et de commerces ».
Pour Jean Monnier, c’est un élément de revitalisation du centre-ville comme vont l’être le Centre de congrès et les halles de la République. C’est aussi une pièce importante dans la politique de loisirs sportifs de la municipalité, politique fédérée par une « carte orange », passeport sportif permettant d’accéder gratuitement aux courts de tennis municipaux et de bénéficier d’importantes réductions dans les piscines et à la patinoire. 200 000 personnes fréquentent la patinoire en 1982-1983, dont 128 000 sur entrée payante.