Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 357, novembre 2011
Le sport moderne est issu en bonne partie d’Angleterre. La première société sportive française, créée suivant le modèle anglais, est fondée au Havre en 1873. Les premiers championnats d’athlétisme et de rugby ne sont disputés qu’en 1892, ceux de football à partir de 1894. À Angers, une société de gymnastique apparaît en 1875 et les patronages développent de nombreuses activités sportives.
La grande entreprise Bessonneau crée sa propre société le 29 décembre 1912 : le Club sportif Bessonneau, devenu en 1924 Club sportif Julien-Bessonneau, puis Club sportif Jean-Bouin deux ans plus tard. Il dispose d’une magnifique salle, construite en 1910-1911 avenue Montaigne : la première salle de sport de la ville. Employés et ouvriers y sont admis gratuitement de 13 à 20 ans. Ils n’ont qu’un pas à faire pour s’entraîner : elle est située au cœur de l’usine, en face du peignage et des magasins à chanvre, à côté de l’atelier de préparation des étoupes.
Un modèle du genre en 1912
C’est une vaste salle peinte en blanc, lambrissée en pitchpin jusqu’à 1,50 m, éclairée par des lanterneaux vitrés. La toiture est supportée par huit fermes, mi-fer, mi-bois. Le sol en terrazolith a l’avantage d’être assez souple et de n’absorber aucune poussière. Le chauffage est assuré par une dizaine de radiateurs. L’éclairage électrique excellent et les haut-parleurs permettent d’y organiser des tournois publics. L’équipement fixe comporte deux portiques accrochés à la charpente, des panneaux métalliques de basket, des poteaux de volley-ball et un matériel complet de gymnastique.
Long de 38 m, large de 21 m et haut de 14 m, l’espace offre une superficie de 820 m2, ramenée à 627 m2 au sol par un cloisonnement latéral formant sur la droite une série de petites pièces surmontées d’une tribune : bureau, salle de réunion, cabinet médical, salle lecture-bibliothèque, vestiaire, lavabos et WC, magasin aux agrès. Ces dépendances, se prolongeant en un pavillon annexe, comportent derrière le vestiaire une salle de douches aménagée très soigneusement, avec eau chaude et froide. Ripolinées de blanc, les cabines sont cloisonnées de marbre rouge de Durtal. La tribune des spectateurs sert en temps ordinaire pour la culture physique, l’entraînement des boxeurs… Elle est pourvue de grandes glaces, de tapis et d’espaliers suédois.
Julien Bessonneau confie la direction sportive du club au professeur parisien Rodolphe Trachet, secondé d’instructeurs formés par lui. On peut d’ailleurs prendre connaissance de son cours de culture physique dans le « Petit Guide de préparation physique aux sports, offert par le club sportif Bessonneau aux jeunes Français, pour en faire des sportifs », publié en 1919. Les cours se déroulent après la fermeture des usines, de 18 h à 20 h. Les élèves peuvent aussi s’exercer les samedis après-midi et dimanches. À la base, la culture physique est complétée par la gymnastique aux agrès, les sports de défense, les poids et haltères, le saut. Les jeux de ballon sont très pratiqués. Pour entretenir l’émulation, des championnats sont organisés et même des journées nationales, appelées « Journées Bessonneau », réunions athlétiques entièrement financées par l’industriel, afin que les jeunes gens puissent se mesurer entre eux. En 1920, elles se déroulent à Strasbourg. Angers les accueille en 1921.
Complétée d’une salle de tennis
Les jeunes sportifs peuvent ensuite se reposer et s’instruire dans la salle de lecture-bibliothèque, qui reçoit tous les journaux et publications sportives. Un millier de volumes sont mis à disposition. Mais la salle Montaigne, si importante qu’elle soit, ne suffit pas devant l’engouement pour le sport. Vers 1920-1921, elle est complétée, du côté de la rue Montaigne, par une salle dévolue au tennis et une conciergerie. C’est un rectangle de 605 m2, non chauffé, dont la charpente métallique culmine à 7 mètres.
Pendant la seconde guerre mondiale, le gouvernement de Vichy prône le développement du sport et la Ville d’Angers, à partir de novembre 1941, prend en location pour ses établissements scolaires les bâtiments sportifs des usines Bessonneau. La salle Montaigne sert aussi pour les institutions privées Bellefontaine, Jeanne-d’Arc, Saint-Julien. Elle est en même temps réquisitionnée par les autorités allemandes, 15 heures par semaine en 1943-1944. En 1945, le directeur du club sportif Jean-Bouin, Valentin Cailleau, proteste contre l’utilisation trop importante de la salle par les écoles. Il souhaite en disposer tous les jours après 17 heures. « Non, après 18 heures », lui répond la mairie.
Achetée par la Ville
Dans le cadre de son plan d’équipement sportif, et profitant de la restructuration des établissements Bessonneau, la Ville acquiert en 1955 le stade Bessonneau (Jean-Bouin) et la salle Montaigne pour 125 millions de francs, afin de les mettre à disposition des scolaires et des différentes sociétés sportives. Elle est toutefois un peu moins motivée au départ pour la salle que pour le stade. Une lettre du maire au service des Domaines pour procéder à l’évaluation définitive des biens, note le 17 juillet 1954 : « L’acquisition de l’immeuble dit salle Montaigne présente un intérêt général moins certain. Cet établissement est fréquenté durant la mauvaise saison par des joueurs de tennis et par les pratiquants d’un club de basket. On y donne aussi quelques rencontres publiques de catch ou de boxe. Mais la situation à la périphérie de l’agglomération [!] ne permet guère d’autres utilisations. »
Pourtant la salle – encore seule de son espèce - était toujours très prisée, si l’on en juge par les nombreuses demandes d’utilisation de la part des clubs sportifs. Le Tennis club angevin y organise des tournois de classe internationale, avec Budge Patty, vainqueur du tournoi de Wimbledon et des Internationaux de France ; Paul Rémy, joueur français n° 1 ; Jaroslav Drobny, le meilleur joueur de tennis européen des années cinquante. Il y avait aussi des soirées d’un autre genre, comme celle du 15 mars 1952, avec exhibition de chiens de défense.
Dans les années soixante-dix, la salle Montaigne est restaurée, mais amputée de la salle de tennis. Toujours en service, elle porte le nom de salle Valentin-Cailleau depuis le 30 mai 1983. Il s’agissait d’éviter toute confusion avec le complexe sportif Montaigne voisin, récemment ouvert rue Joseph-Cussonneau à côté du collège éponyme. On en profite alors pour rendre hommage à Valentin Cailleau, dirigeant sportif très connu à Angers. Décédé le 3 mars 1979, il avait exercé de 18 à 82 ans de nombreuses fonctions au sein de clubs locaux, ainsi que dans les districts et ligues sportives.