La première musique municipale

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, Conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 408, mai 2017

La Musique municipale est actuellement la plus ancienne société musicale d’Angers. Son origine remonte à la fanfare des sapeurs-pompiers créée en 1852. Devenue indépendante en 1885, à nouveau liée à la municipalité dix ans plus tard, elle poursuit son activité sous le nom d’Orchestre d’Harmonie de la Ville d’Angers (OHVA), choisi en 1991.

La musique des sapeurs-pompiers

En 1852, le capitaine A. Fourier, commandant des sapeurs-pompiers, décide d’organiser, « sur les pressantes sollicitations » de tous les membres de cette compagnie, une fanfare de 15 à 20 musiciens, avec une partie de ceux qui formaient précédemment la fanfare de la compagnie d’artillerie de la garde nationale, les compagnies d’artillerie et de cavalerie ayant été dissoutes par la loi du 13 juin 1851. Depuis cette loi, la compagnie des sapeurs-pompiers n’avait pu être complétée. L’adjonction d’une fanfare permettrait d’amener de nouvelles recrues. L’objectif musical n’est que secondaire. Le conseil municipal du 22 décembre 1852 approuve cette création. 600 francs sont alloués par la Ville pour les instruments et 500 francs pour les dépenses annuelles. Le premier chef est Brunel, qui joue également dans l’orchestre du théâtre.

Cette musique des sapeurs-pompiers, seule société musicale alors subventionnée par la Ville, prend vite de l’importance en assurant des concerts réguliers au jardin du Mail créé en 1858. Alphonse Maire, piston solo de talent, succède à Brunel en 1862. La convention signée en 1865 entre la Ville et la compagnie de musique des sapeurs-pompiers a été conservée. Par ce document, on apprend que la compagnie s’engage à donner deux fois par semaine, le dimanche et le jeudi, des concerts au jardin du Mail, du dimanche 21 mai jusqu’au dimanche 27 août. Chaque concert doit être précédé d’une répétition. La durée des concerts est fixée à deux heures, pendant lesquelles huit morceaux au moins seront exécutés. Le nombre des exécutants n’est plus de 10 ou 15, mais de 40 au minimum. Chacun des concerts sera payé 150 francs. En 1866, la Ville éponge le déficit des recettes (1 800 francs) des trente concerts donnés « par notre compagnie de musique » et lui accorde 400 francs pour participer au concours musical de Poitiers.

Inauguration du kiosque du Mail

Bientôt, les musiques des régiments casernés à Angers jouent en alternance au jardin du Mail avec celle des sapeurs-pompiers, qualifiée de Musique municipale. Cette appellation est officialisée à la session budgétaire du conseil municipal de novembre 1871 : « Le conseil décide que la musique des sapeurs-pompiers prendra à l’avenir le titre de Musique municipale des sapeurs-pompiers » (Archives municipales, 1 D 27, p. 304). La Musique participe à toutes les fêtes. En 1877, Angers organise une grande exposition industrielle, agricole et artistique, entre la place Lorraine et le palais de justice. En même temps, l’importance de l’activité musicale de plein air a décidé la municipalité à remplacer les kiosques provisoires en bois par un kiosque pérenne. Le 19 mai 1877, c’est le grand jour. L’ouverture officielle des expositions s’accompagne de l’inauguration, à 8 heures du soir, du nouveau kiosque du jardin du Mail, par toutes les harmonies et fanfares de la Ville. L’ouverture est donnée par la Musique municipale. Suivent les musiques des 32e, 77e, 135e régiments de ligne et 4e cuirassiers qui interprètent du Weber, Meyerbeer, Gounod, Verdi, mais aussi du Bancourt, Merle, Elfrique… Cela vaut bien de payer 50 centimes l’entrée du jardin et éventuellement 50 autres pour une chaise…

La Musique municipale suscite l’appréciation élogieuse du journaliste du Patriote de l’Ouest, le 7 juin : 

« Depuis cette époque [de l’inauguration du kiosque] nous avons eu l’occasion d’entendre plusieurs fois le corps de musique que M. Maire dirige avec talent depuis une quinzaine d’années et nous avons constaté avec plaisir que, loin de déchoir (comme le prétendent quelques esprits mécontents), cette harmonie fait de réels progrès. Les solistes, anciens virtuoses de notre armée, rivalisent de zèle et de sentiment ; aussi le public chaque soir décerne-t-il de chaleureux applaudissements à M. Saugon, 1er piston et à ses cavatines si expressives ; à M. Lotz, 1er trombone et à son jeu doux et mordant tout à la fois […] ».

Cours gratuits

Afin de perfectionner ses musiciens et de faciliter leur recrutement, Alphonse Maire met sur pied à la rentrée de 1878 des cours gratuits de musique instrumentale, assurés bénévolement par quelques professionnels, par des membres de la Musique municipale et de la Chorale Sainte-Cécile, créée en 1860. La Chorale sert de support à ses intentions pédagogiques. Elle seule « possède par ses cours de solfège [inaugurés en 1877] les éléments indispensables au succès de mon entreprise », écrit A. Maire au président de la société Sainte-Cécile qui lui accorde, avec la bénédiction de la municipalité, son patronage et l’autorisation de donner les cours dans les mêmes locaux que ceux de solfège, à l’hôtel Pincé. Pour être habilitée à recevoir la subvention municipale destinée aux cours gratuits d’A. Maire, la société Sainte-Cécile se transforme en société chorale et instrumentale. En 1880, les élèves sont déjà au nombre de 57. Ces cours sont à l’origine de l’école municipale de musique.

L’Harmonie angevine

Après le décès d’Alphonse Maire en janvier 1881, Charles Martel (1881-1892), violoncelle solo de l’Association artistique d’Angers (future Société des concerts populaires), puis Louis Boyer (1892-1918), sous-chef de la musique du 135e d’infanterie, le remplacent et poursuivent son œuvre. D’après une pétition des musiciens datée du 25 février 1881, l’effectif de la Musique municipale est de 48.

En 1885, la « Musique municipale des sapeurs-pompiers » refuse son concours aux pompiers et se transforme en société musicale libre, sous le nom d’Harmonie angevine. Le premier procès-verbal de réunion est daté du 26 octobre. Mais la nouvelle société ne veut pas rompre avec la Ville, qui fournissait à la musique des pompiers instruments, bibliothèque musicale et salle de répétition à l’hôtel de ville. Le président de l’Harmonie angevine, Édouard Cointreau fils, propose de rester à disposition de la municipalité pour les fêtes du 14 juillet, distributions de prix ou autres circonstances où la musique pourra être utile. Il prend aussi l’engagement d’assurer les vingt concerts d’été au jardin du Mail, moyennant la subvention municipale. La Ville accepte, par lettre du maire du 16 décembre 1885. Les concerts seront payés chacun 250 francs.

Le règlement de la nouvelle société est strict, consigné dans les statuts datés du 6 novembre 1885. Les absences sont sanctionnées par des amendes proportionnelles à la durée des manquements, qui peuvent aller de 25 centimes pour un retard d’un quart d’heure à 10 francs pour un « service manqué ». Une somme importante, correspondant à la cotisation annuelle d’un membre titulaire. La société se compose de 60 membres titulaires, comprenant 45 exécutants et 15 élèves aspirants. Les pupitres sont ainsi répartis : chef, sous-chef de musique, petite flûte, grande flûte, hautbois, petite clarinette, 4 premières clarinettes, 5 secondes clarinettes, 1 saxophone soprano, 2 saxos altos, 2 saxos ténors, 2 saxos barytons, 4 pistons, 2 bugles, 3 altos, 2 barytons, 4 basses, 2 contrebasses mi bémol, 1 contrebasse si bémol, 3 trombones, 1 caisse claire, 1 grosse caisse, 1 cymbalier. Pour se distinguer à la fois des pompiers et des militaires, il est précisé que le costume devra différer « complètement » de la tenue militaire. Ce sera un habillement noir, avec casquette.

Reconstitution d’une musique municipale ?

Mais finalement la Ville accepte mal de ne plus avoir une musique municipale à ses ordres, sur laquelle elle puisse compter en toute circonstance. De toutes parts aussi, on lui demande la recréation d’une musique municipale. Le maire se renseigne en août 1888 auprès de ses collègues des villes voisines. Seule, Poitiers ne dispose pas de musique municipale. À Tours, la Musique municipale des sapeurs-pompiers compte 60 exécutants en moyenne, comme à Nantes. À Laval, les musiciens ne sont que 50, sans être liés aux pompiers. Au Mans et à Rennes, la situation est la même, mais avec respectivement 60/70 et 75 exécutants.

Le projet de reconstitution d’une musique municipale est présenté au conseil du 19 novembre 1888. L’Harmonie angevine, la plus ancienne des sociétés, a posé ses conditions pour devenir municipale : la Ville pourvoirait au premier costume d’uniforme et au complément des instruments qui lui manquent (dépense approximative de 5 000 francs) ; l’Harmonie toucherait 8 000 francs par an pour son entretien. « Peut-être aurait-on pu s’adresser aux autres sociétés musicales existant dans notre ville, indique le rapporteur de la commission d’étude, et obtenir d’elles des conditions pécuniaires plus avantageuses, mais nous savons, de source certaine, que ces jeunes sociétés, malgré les progrès réels qu’elles ont faits, et les services non moins réels qu’elles rendent, s’inclinent devant la supériorité marquée de leur aînée l’Harmonie angevine. » La question est renvoyée à la commission du budget car les résolutions proposées « impliquent le vote d’une somme considérable ».

École de musique, sapeurs-pompiers… et Musique municipale

La Ville se décide le 29 octobre 1890 à créer une école municipale de musique, à partir des cours donnés par la Chorale Sainte-Cécile et l’Harmonie angevine. Après deux années d’étude d’un instrument, les élèves pourront entrer dans une société musicale où ils mettront en pratique leur savoir. « L’Harmonie angevine, note la délibération du conseil, nous paraît toute désignée pour cela. […] L’Harmonie serait considérée non seulement comme cours supérieur, mais encore comme musique municipale. Elle recevrait les mêmes émoluments que ceux actuellement prévus au budget, et serait astreinte aux mêmes services, c’est-à-dire concerts au Mail et à la disposition du maire toutes les fois qu’il en aurait besoin. » Elle toucherait 6 000 francs. La proposition est votée, mais rien d’officiel n’est en fin de compte établi pour l’Harmonie angevine.

Elle envoie une lettre de réclamation le 9 décembre 1893 : « La situation actuellement occupée par l’Harmonie angevine ne se trouvant établie sur aucune base normale et solide, la commission, désireuse d’assurer l’avenir de la société, a l’honneur de vous prier au nom de tous ses membres, de bien vouloir la nommer Musique municipale. » (Archives municipales, 276 R 2-62/16).

Enfin, le conseil municipal, qui considérait le service des sapeurs-pompiers comme essentiel, ayant reçu de l’Harmonie l’assurance qu’elle assisterait en corps aux réunions en armes des sapeurs-pompiers et à deux ou trois grandes manœuvres durant l’année, qu’elle continuerait aussi à faire les services divers de la municipalité et les concerts au Mail, décide officiellement le 30 mars 1895 qu’elle redeviendra Musique municipale… des sapeurs-pompiers.  8 600 francs sont alloués aux sapeurs pour leur nouvelle tenue, 2 900 francs aux musiciens. La tenue de la grande exposition nationale de 1895, analogue à celle de 1877, n’a pas peu contribué à cette décision. « Ainsi revêtue de l’uniforme dernier modèle et complété par notre excellente musique municipale, notre compagnie pourra, à tous les points de vue, figurer brillamment aux fêtes de l’exposition. » Toutefois la subvention accordée à l’Harmonie s’est réduite comme peau de chagrin. Des 8 000 francs demandés en 1880, aux 6 000 francs proposés en 1890, elle ne touche jusqu’en 1914 que 5 500 francs : ce sera un handicap pour son recrutement.