La première société savante

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 355, septembre 2011

Les sociétés littéraires, scientifiques… sont actuellement nombreuses à Angers. La première société savante y a été obtenue – avec difficulté - de Louis XIV par les autorités municipales. Le roi n’oubliait pas le passé frondeur des Angevins, lorsque la ville était passée du côté des princes, en 1649 et 1652…

D’après les souvenirs laissés par l’échevin et conseiller au présidial François Grandet, l’idée en revient à son collègue conseiller Jacques Gourreau. Le corps de ville avait fait bâtir en face de son hôtel, à l’extrémité de son jardin vers les halles (à l’emplacement actuellement occupé par le magasin Courbet, rue Botanique), un pavillon pour jouer aux boules. Mais le jeu n’avait pas eu le succès escompté et le bâtiment restait inoccupé, plaisamment appelé « le bâtard de l’hôtel de ville ». Sortant un jour de l’hôtel de ville, Jacques Gourreau dit à François Grandet :

« C’est bien domage que cet édifice ne puisse servir à rien. Il m’étoit venu en pensée, me dit-il, qu’il faloit établir une académie de belle lettre et demander à l’Hôtel de ville la salle basse de ce pavillon pour en faire le lieu d’assemblée et de conférence pour la compagnie » (Mémoires sur l’établissement de l’académie des belles lettres d’Angers, par François Grandet. Bibl. mun. Angers, ms 1777).

Démarches pour obtenir une académie

Les deux amis s’en ouvrent au maire Jacques Charlot qui présente le projet à la séance du conseil du 31 mai 1684. Afin d’obtenir l’objet désiré, le maire avance d’avantageux arguments pour sa ville et n’économise pas la flatterie – ou plutôt même la flagornerie – à l’égard du souverain : l’académie permettra de former d’excellents panégyristes « qui puissent par leur éloquence rendre vraysemblables à la postérité ses grands exploits de guerre, ses traits merveilleux de politicque, sa sagesse et sa clémence, sa justice et son zelle ardent pour la religion qui nous paroissent dès à présent inimitables et incroiables… » (Arch. mun. Angers, BB 96, f° 155 v°-156 r°). Depuis plusieurs années, le roi menait une politique de conversion forcée des protestants, prélude à la révocation de l’édit de Nantes.

L’échevin et juriste Claude-Gabriel Pocquet de Livonnière est donc délégué pour solliciter l’établissement d’une académie, avec l’appui de l’abbé Gilles Ménage, connu pour sa profonde érudition. Mais la demande n’aboutit pas. François Grandet, alors souvent député par le corps de ville à Paris, se voit confier l’affaire, à l’initiative de son ami l’historien Pétrineau des Noulis. Les échevins lui mettent en main les statuts de l’académie projetée et la liste des académiciens pressentis.

Tout se dénoue à Versailles grâce au concours de plusieurs Angevins. Grandet est introduit par l’un des gentilshommes ordinaires du roi, Chevais du Boullay, qui le place avantageusement pour voir dîner le roi en public, ce qui, étant donné sa grande taille, le fait remarquer du souverain. Le gouverneur d’Anjou, Louis de Lorraine, comte d’Armagnac, grand écuyer de France, qui avait usé jusque-là à son égard de beaucoup d’atermoiements, se décide alors à lui permettre de présenter sa requête directement au souverain. Louis XIV refuse d’abord : comme l’Anjou est un « païs de doctrine », dit-il, « il seroit à craindre que l’on ne se servît de l’occasion de ces sortes d’assemblées pour y faire du désordre ». Mais François Grandet, sans se laisser démonter, réplique que les représentants de l’autorité royale seront académiciens d’honneur et obtient finalement un accord.

Sur le modèle de l’Académie française

Les lettres patentes sont octroyées en juin 1685, enregistrées au Parlement le 7 septembre suivant et seulement le 15 juin 1686 par le présidial d’Angers. Était-il jaloux du succès de la municipalité ? Beaucoup de ses membres pourtant appartenaient au corps de ville. Les statuts et privilèges accordés à l’académie royale d’Angers s’inspirent de ceux de l’Académie française fondée en 1635 : mêmes honneurs, franchises et libertés, mais ses membres n’obtiennent pas le privilège de committimus - ils seront, s’il y a lieu, jugés devant les juridictions ordinaires - et leur nombre est limité à trente. Six membres honoraires y ont en outre place de droit : l’évêque d’Angers, le lieutenant de roi pour la ville et le château, le premier président du présidial et son lieutenant général, le maire et le procureur du roi. Le sceau adopté est illustré d’un Parnasse d’or surmonté d’un laurier de même. Quant à la devise, illustrée par une fontaine en forme de vase, « Maculas ostendit et aufert », c’est une belle allégorie que l’on peut traduire littéralement par « elle fait voir les taches et les supprime », ou plus joliment par la formule « elle éclaire l’esprit ».

Entre l’octroi des lettres patentes et l’installation officielle de la nouvelle académie, il s’écoule plus d’une année. Le 18 décembre 1685, le corps de ville prend des dispositions pour son établissement. Il lui accorde la jouissance du pavillon situé dans le jardin de l’hôtel de ville et un fonds de quarante livres par an pour le bois, la chandelle et autres menues dépenses, moyennant quoi l’académie prononcera chaque année un discours public à la louange du roi. La municipalité se propose aussi d’honorer le souverain en lui érigeant un buste dans ses jardins. Des ordres sont pris auprès de l’intendant de Tours Béchameil de Nointel pour l’organisation de la cérémonie inaugurale.

Réjouissances publiques

Celle-ci se déroule le 1er juillet 1686, en grande pompe. Annoncée dès le point du jour par une décharge de toute l’artillerie, la cérémonie est introduite par tambours et trompettes. Au signal donné par la cathédrale, les cloches sonnent pendant une heure. Un détachement de douze cents hommes de la milice bourgeoise se rend devant l’hôtel de ville où l’évêque, l’intendant et le lieutenant du roi pour la ville et le château, font l’ouverture de l’académie. Après les discours, la noble assemblée se répand dans les jardins de l’hôtel de ville. Le buste du roi est découvert, salué par une décharge de canon et plusieurs salves de la milice. De tous côtés résonnent des concerts de trompettes, de hautbois et de violons, disposés sur les terrasses, d’où l’on fait couler deux fontaines de vin pendant tout le restant de la journée, provoquant la joie du peuple.

 

La fête se termine par une illumination générale de la ville. L’hôtel de ville et ses jardins sont richement ornés de tableaux allégoriques appropriés au sujet de la fête : Apollon sur le mont Parnasse, les neuf muses, l’Hercule gaulois dieu de l’éloquence, le soleil… et un grand nombre d’autres figures symbolisant le roi, les sciences et les arts. Au final, le royal soleil, qui trône au milieu des jardins, embrase l’ensemble dans un feu d’artifice éblouissant.

Le 4 juillet 1686, l’évêque d’Angers, Mgr Arnauld, est élu directeur de la nouvelle académie.

Aujourd'hui, la première société savante de la ville est toujours en activité.  Dissoute en 1793, elle a été refondée en 1828-1831 sous la forme d'une Société d'agriculture, sciences et arts. En 1947, elle a été autorisée à changer son titre en Académie des sciences, belles-lettres et arts d'Angers. Ses réunions ont lieu 6 rue Émile-Bordier, à l'hôtel de Livois, propriété municipale dédiée aux activités culturelles.