Les premières médailles de la Ville

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 370, janvier-février 2013

Lorsqu’elle souhaite honorer l’un de ses concitoyens ou une personnalité, la municipalité lui remet la grande médaille de la Ville d’Angers. Cette pratique est-elle ancienne ?

Les premières médailles mentionnées dans les registres de délibérations municipales sont celles offertes par le corps de ville pour doter les prix annuels de la nouvelle Académie royale des sciences et des belles-lettres d’Angers. Elles sont en or, à l’effigie du roi, les deux premières étant décernées le 24 mai 1687.

D’autres médailles apparaissent en 1702, mais ce sont, à proprement parler, des jetons, en général en argent, portant d’un côté l’effigie royale et de l’autre, les armes de la ville. Chaque année, ils sont distribués aux membres du corps de ville, ou attribués, par bourse entière de vingt, soixante ou cent, en reconnaissance de services rendus.

Début de la vogue des médailles

L’habitude de remettre des médailles prend sa source véritable dans les années 1830, avec l’organisation des premières expositions. C’est d’abord la Société d’agriculture, sciences et arts, héritière de l’Académie royale, qui fait confectionner en 1832 un coin à médailles, pour récompenser les lauréats de ses expositions d’horticulture. À partir de 1835, l’organisation régulière d’expositions agricoles, industrielles et artistiques, patronnées par la Société industrielle, est soutenue par la Ville. Trente-deux médailles sont offertes en 1858. Éditées par la Monnaie de Paris, elles sont gravées au nom du récipiendaire, par l’Angevin Charle, rue des Lices. En effet, suivant l’arrêté du 5 germinal an XII (26 mars 1804), toute médaille devait alors être frappée dans l’atelier de l’État, à l’hôtel des Monnaies, après autorisation dûment accordée par le ministère de l’Intérieur. La Ville traite avec la Monnaie de Paris, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un fabricant de médailles, comme la maison Robineau-Sorin Frères, à Paris, comme en 1877, où elle se procure soixante-dix-huit médailles pour l’exposition de cette année-là.

On ne peut classer ces médailles dans la catégorie « médailles de la ville d’Angers ». Leur décor n’est pas personnalisé. Celle de l’exposition de 1864 est ornée sur la face principale du buste de Napoléon III. Au revers, une couronne de laurier accompagnée de la mention « Exposition d’Angers 1864 » encadre simplement le nom du lauréat.

Premières médailles de la Ville d’Angers

La tradition évolue à la fin du XIXe siècle. L’effigie du pouvoir central – en l’occurrence celle du régime républicain - se maintient, mais le décor se « régionalise ». Deux types de médailles sont alors créés spécifiquement pour Angers. Ce sont les premières qui peuvent être dénommées « médailles de la ville d’Angers ». Elles vont être en usage jusque dans les années 1960.

Le premier type date de 1891. Sa gravure est anonyme. Sur l’avers, au-dessus d’un cartouche marqué « 3 mai 1891 », la République couronne Mercure, dieu du commerce. Au revers, les armoiries de la ville sont surmontées de l’inscription « Ville d’Angers ». La date du 3 mai 1891 reste un mystère. Ce jour, un dimanche, n’est marqué à Angers par aucune fête, aucune manifestation particulière, pas plus qu’au niveau national. Ce modèle a-t-il été conçu pour une exposition industrielle et commerciale qui n’a pas eu lieu ? Toujours est-il qu’il reste utilisé près de quatre-vingts ans… Un inventaire des médailles de la Ville d’Angers dressé en mars 1965 fait état d’un stock de 11 médailles « de la Ville d’Angers – 3 mai 1891 » en vermeil, 2 en argent et 11 en bronze.

Le second modèle ressortit au type appelé communément « Tête de ville ». Il a vu le jour à l’occasion de la grande exposition de 1895. Son auteur, Henri Dubois, sculpteur et graveur élève de Chapu et de Falguière, créateur d’une fabrique de médailles, a représenté le buste de Marianne de profil, sur fond de panorama d’Angers, depuis Reculée. Au revers, les armoiries de la ville sont encadrées de branches de laurier et de chêne. Une autre version ne comporte au revers qu’une couronne de laurier entourant l’emplacement du nom du bénéficiaire. Tandis qu’Henri Dubois fournit les médailles de l’exposition industrielle, des beaux-arts et scolaire pour un montant de 4 783,25 francs, la fabrique Arthus-Bertrand livre de son côté les médailles, couronnes et palmes destinées aux concours de gymnastique et de pompes à incendie, pour une somme de 3 606,45 francs.

Pour les distributions de prix du lycée David-d’Angers notamment, la Ville fait usage d’une troisième catégorie de médailles gravées seulement à ses armes : la face principale est réservée aux armoiries, le nom de l’impétrant figurant au revers. Les Archives municipales en conservent un exemplaire gravé par A. Desaide, daté de 1905. Ce modèle est indistinctement désigné sous le nom de « Tête de ville » ou « Armes de ville ». Lorsque l’administration municipale demande en 1937 à la Monnaie de Paris à quelles conditions elle pourrait lui fournir des médailles « du modèle général dit Tête de ville », le directeur lui répond : « Il serait possible de livrer à la ville d’Angers des médailles aux armes de la ville » et adresse la représentation ci-dessous.

Une nouvelle médaille, œuvre de René Grégoire

Avec un simple revers « cartouche laurier », la médaille « Tête de ville » d’Henri Dubois, de 1895, dans ses différentes versions en vermeil, argent et bronze, est régulièrement commandée par la municipalité jusqu’en 1966. Elle est notamment utilisée pour la remise des prix de l'exposition culinaire en 1932. Le revers n'affiche que l'intitulé de la manifestation et une branche de lauriers portant un cartouche au nom du récipiendaire. 

Un autre fournisseur figure dans les archives, le sculpteur angevin René Grégoire (1871-1945), Grand Prix de Rome en 1899. Le conseil municipal l’a nommé « conseiller technique pour les beaux-arts et pour l’embellissement de la ville » en 1919. À ce titre, il est l’auteur en 1932 d’une nouvelle médaille de la Ville d’Angers. Les documents concernant la commande et la réalisation n’ont pas été retrouvés. Mais un échange de correspondance entre 1944 et 1950 livre de précieuses photographies. Le 3 février 1945, le maire demande à l’artiste s’il est toujours en mesure de fournir des médailles « Tête de ville », module 50 mm et indique : « Je vous joins à toutes fins utiles une photographie de cette médaille ». Au lieu d’un seul cliché, le dossier en contient quatre, trois modèles différents pour l’avers, un seul pour le revers. Il s’agit de maquettes en plâtre ou terre cuite, projets répondants à une commande spéciale sans doute passée pour renouveler la traditionnelle médaille d’Henri Dubois. Le sculpteur y décline le thème de l’Angevine, présentant les richesses de sa région, thème qu’il a déjà utilisé pour la médaille rectangulaire spéciale – une plaquette – de la 49e fête fédérale de gymnastique de 1927, portant sur l’avers une Angevine en coiffe assise sur fond de ville.

C’est le projet numéro 3 – l’Angevine en buste - qui a été édité. Les demandes de réédition de cette médaille n’aboutissent pas, quoiqu’une lettre de la veuve du sculpteur, du 19 février 1950, ait précisé : « L’ancien fournisseur de mon mari est à même de vous frapper les médailles intitulées « Ville d’Angers » dont vous m’aviez communiqué la reproduction photographique dans votre première lettre. » Sans doute la fourniture en a-t-elle été jugée plus coûteuse que celle des médailles de Dubois, dont la Ville reprend commande à partir de 1951. Et L’inventaire déjà signalé de 1965 ne mentionne aucun exemplaire de médailles de René Grégoire.

La médaille actuelle

Mais en 1965, la médaille d’Henri Dubois paraît vraiment d’un autre âge. Aussi le maire Jean Turc voudrait-il en « voir moderniser l’effigie ». Cependant, ni les établissements Henri-Dubois, aux mains de sa petite-fille Mme Bostwick, ni l’hôtel des Monnaies ne semblent donner de réponse satisfaisante à sa lettre du 29 juin. Le 2 décembre 1965, il s’adresse donc à Pierre Thézé, directeur de l’école des Beaux-Arts, pour un projet de médaille qui serait réalisé par Robert Coutre, graveur de l’hôtel des Monnaies, sur le modèle de celle de la ville d’Amboise. Le 10 janvier suivant, Pierre Thézé communique au maire la proposition du graveur et de la Monnaie de Paris. Celle-ci consent à faire exécuter une médaille pour Angers à condition qu’elle s’inscrive dans sa collection des châteaux de la Loire. La face principale ne devra comporter que le château d’Angers, mais la Ville choisira à sa guise le revers et n’aura à payer que ce côté de la médaille.

Le maire rend un avis favorable, qui reste sans suite. En attendant, des médaillons en plâtre d’après les œuvres de David d’Angers sont remis lors des cérémonies de 1966. En décembre, Jean Turc s’enquiert de l’affaire auprès du directeur de l’école des Beaux-Arts qui lui renvoie copie des propositions de Robert Coutre. Il faut croire qu’elles n’enthousiasment personne car finalement une solution locale et plus intéressante artistiquement prévaut, probablement sur la suggestion de Pierre Thézé. C’est un jeune professeur de l’école des Beaux-Arts d’Angers, Jules Poulain, qui est chargé de créer la nouvelle médaille de la Ville d’Angers. Il venait de remporter le prix de la Ville au salon des Amis des Arts de 1966. Sa spécialité de sculpteur l’amène à animer la face principale de profonds reliefs : une femme à longue chevelure ondoyante tenant une fleur semble émerger d’un barque flottant sur la Maine, tandis que sur la partie droite la cathédrale et le château symbolisent Angers. Le revers - uni - est destiné au texte gravé, rappelant un événement ou le nom du bénéficiaire. L’émission est réalisée à l’automne 1969 par les établissements Pichard de Saumur et le premier exemplaire remis à Victor Chatenay, ancien maire et résistant, lors des cérémonies du 11 novembre. C’est encore la médaille utilisée actuellement. Jules Poulain en a exécuté une traduction libre en 1981, sous la forme d’un haut relief qui orne l’entrée de l’hôtel de ville : une version monumentale d’un diamètre d’1,85 m…