La première "société sportive"

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 350, février 2011

Les compagnies d’archers et d’arbalétriers apparaissent aux XIe-XIIe siècles dans les « bonnes villes » du nord de la France et connaissent un grand essor lors des troubles de la guerre de Cent ans. Il en va de la défense des villes et c’est aussi un « honnête » divertissement qui éloigne de la « débauche »... Nantes obtient un jeu de papegaut en 1407. Il est formalisé à Rennes en 1443, mais semble remonter au XIVe siècle, Du Guesclin ayant remporté dans sa jeunesse le prix du papegaut et de la lance au champ Jacquet.

Le perroquet

Le papegaut - « papagayo » en espagnol ou « papagai » en allemand - désigne en ancien français le perroquet, oiseau exotique aux couleurs vives, idéal pour constituer une cible. On usait bien sûr d’un oiseau en bois ou en métal, fixé sur une lance arrimée par des haubans au sommet d’une tour, ou placé en haut des branches d’un grand arbre. Comme l’oiseau était tiré d’en bas presque perpendiculairement, celui qui l’abattait devait faire preuve d’une habileté consommée. Aussi était-il proclamé roi du papegaut.

 

À Angers, les jeux de l’arc, de l’arbalète et de l’arquebuse sont déjà pratiqués en 1423, lorsque la duchesse d’Anjou Yolande d’Aragon donne aux joueurs une maison et jardin situés au bas de la place des Halles (place Louis-Imbach, proche de l’actuelle rue Saint-Étienne) (Arch. mun. Angers, cartulaire analysé). Le 12 décembre 1445, le bon roi René confirme ce don fait aux « arbalestriers et frères de la confrairie du jeu de l’arbalestre de la ville d’Angers d’une maison et jardin pour leur servir d’arsenal à mettre leurs armes et en outre de la somme de 10 sols par semaine à prendre sur le produit de la cloison » (octroi).

Un exercice populaire

À cette date les compagnies sont déjà organisées en confrérie, de Saint-Sébastien, patron des archers. On connaît son règlement, par les statuts de janvier 1552 (Bibl. mun. Angers, ms 1153/951), qui reprennent des statuts plus anciens. Ses membres se recrutent dans toutes les classes de la société, des seigneurs aux artisans et aux ecclésiastiques. Chacun doit prêter serment, et notamment de défendre la cité « en cas d’hostillité ».

La fête du tir du papegaut a lieu une fois l’an, vers le mois de mai. Jusqu'en 1599, il est en général tiré sur l'une des tours du portail Saint-Michel (en haut de l’actuelle rue Jules-Guitton). Des jeux de prix, c’est-à-dire dotés d’une récompense en argent, peuvent être donnés par l’un des membres de la confrérie, ou par le conseil de ville, comme celui qu’il organise au marché aux bêtes (place Louis-Imbach) en juillet 1536. 

Les exercices ordinaires se déroulent tous les dimanches aux buttes de tir, dans les fossés situés près de la porte Toussaint, aménagés en 1559. Auparavant, l’entraînement se faisait au bas de la rue de la Croix-Blanche, d’ailleurs souvent appelée rue du Papegault. La maison et le jardin de la rue de la Chartre ne pouvaient suffire. En pleine ville, les confrères font tant de bruit qu’ils finissent par importuner le voisinage, notamment le lieutenant général d’Anjou qui réussit, en 1599, à faire accepter un échange : leur propriété en ville contre un grand terrain dans la Doutre, à l’intérieur des remparts, vers la rue Mauconseil, non loin du carrefour des actuels boulevards. Dès lors, le papegaut est tiré sur la tour Billard, la plus voisine de la porte Lionnaise, en allant vers l'ouest.

Privilège insolite

Après la réunion du duché d’Anjou à la couronne, les rois de France continuent à encourager le tir du papegaut. En 1556, ceux qui l’auront abattu sont exemptés par Henri II de toutes taxes sur le vin pendant un an. Ils peuvent ainsi vendre au détail sans frais cinquante tonneaux de vin d’Anjou, privilège exorbitant si l’on songe que les nombreuses taxes mises sur les vins en doublaient ou triplaient le prix selon les époques !

Une telle exemption devait susciter de nombreux procès : les fermiers des aides - impositions indirectes portant principalement sur les boissons - n’entendaient pas souffrir un tel manque à gagner. Dès la fin du XVIe siècle, le privilège est réduit à vingt-cinq tonneaux, équivalant à cinquante pipes de vin, ce qui correspond tout de même à 23 789 litres actuels…

À l’issue de multiples procédures engagées dans les années 1620-1630, la Cour des aides obtient aussi la réduction du nombre des bénéficiaires. Par arrêt du 1er janvier 1636, les trois compagnies d’archers, d’arbalétriers et d’arquebusiers sont réduites en une seule et ne pourront nommer qu’un seul roi par an, à qui il est interdit de céder son privilège à quiconque. Certains le revendaient en effet à un tiers pour des sommes importantes, 180 livres en 1630.

Alors que les mentions concernant le papegault sont nombreuses dans les registres de délibérations municipales de la première moitié du XVIIe siècle, les sources deviennent muettes à son sujet par la suite. Après les troubles de la Fronde, la paix revenue et la police bien assurée, le besoin d’une compagnie de tireurs se fait moins sentir. Le jeu attire moins, du fait de la restriction des privilèges. Ainsi disparaît dans l’indifférence la première « société de tir » d’Angers.