Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers, n° 428, décembre 2019
Le Quernon d’ardoise, petit carré de nougatine enrobé de chocolat blanc teinté en bleu, est aujourd’hui une friandise vendue dans le monde entier. Il est devenu l’un des trois produits symboles de l’Anjou. Dans le sondage effectué en 2009 pour établir le portrait identitaire de la région d’Angers, le Quernon arrive en seconde position, derrière le vin, mais devant le Cointreau. Angers manque de spécialités propres à attirer la clientèle touristique. Les quelques plats de la gastronomie angevine n’ont qu’une réputation très locale et certains sont trop saisonniers, comme le pâté aux prunes. C’était encore plus vrai en 1960 : en dehors du vin et du Cointreau, le touriste n’avait rien de facilement transportable à rapporter dans ses valises.
Un artiste inventif
Sur ce problème se penche Maurice Pouzet (1921-1997), chef de publicité aux Ardoisières d’Angers. C’est un artiste qui partage sa vie professionnelle entre son œuvre et son activité publicitaire. À la fois illustrateur, affichiste, peintre, typographe, graveur et sculpteur, son œuvre est multiple. En illustration, son chef-d’œuvre, ce sont les œuvres complètes de Molière : 144 gravures réalisées de 1953 à 1955. Le trait est enlevé, franc, vigoureux. Les gravures sont élégantes, fines et spirituelles. La publicité lui doit des trouvailles, pour les Ardoisières, le vin d’Anjou ou le Comité national de l’Enfance, dont il remporte le premier prix au concours d’affiche de 1961. Dans ce domaine, il a des clients prestigieux, comme Jean-Adrien Mercier avant lui : Jaeger Le Coultre, le port de Bordeaux, La Baule, le cognac Martell, le chocolat Poulain, Cointreau… Ce n’est pas un moins bon peintre. Il sait renouveler sans arrêt style et techniques. Il gravait sur le cuivre, voici qu’il utilise le plexiglas ou le rhodoïd et plus encore l’ardoise, sa matière de prédilection. Des plaques gravées jusqu’aux bijoux, ces « évelithes » (pierres pour femmes ou pierres féminines) en pendentif ornées de fossiles, il ne cesse d’inventer des objets décoratifs ou utilitaires à partir de l’ardoise. Si l’on sait la prendre, disait-il, on peut tout lui faire dire.
Naissance du Quernon
Ce génie de l’invention s’oriente aussi vers la confiserie. En mars 1965, il a l’idée d’un chocolat évoquant l’ardoise qu’il baptise « Quernon », du nom du côté du bloc ardoisier que les fendeurs « quernaient » en morceaux réguliers plus petits appelés « repartons ». Ce terme de reparton correspondait mieux aux petits chocolats carrés qu’il imaginait, mais il le trouvait « trop peu engageant ». Fin mars ou début avril, Maurice Pouzet s’adresse au chocolatier François Sourice, rue des Lices. N’étant pas fabricant, celui-ci interroge ses fournisseurs. Aucun ne veut se lancer dans la fabrication des Quernons… Il lui conseille alors de voir René Maillot, à l’enseigne de La Petite Marquise, quelques numéros plus loin, au 22 de la même rue. Ce dernier se montre très intéressé, d’autant qu’il a déjà déposé au greffe du tribunal de commerce d’Angers, en octobre 1964, une marque « Les Ardoises d’Angers » pour des chocolats. Avec son apprenti Michel Berrué, qui reprendra La Petite Marquise en 1977, les recherches commencent... Il fallait un chocolat carré, plat, de couleur ardoise et croquant, pour évoquer au plus près les ardoises. Il est finalement décidé d’utiliser une nougatine d’amandes et de noisettes, que l’on enrobera de chocolat blanc coloré en bleu ardoise.
Maurice Pouzet conçoit des emboîtages spécifiques, illustrés par la fameuse gravure d’Houfnaglius représentant, au premier plan d’une vue panoramique d’Angers, des fendeurs d’ardoise fabriquant des « repartons ». Cette gravure de 1561, Maurice Pouzet l’avait déjà utilisée pour un abat-jour de lampe en ardoise en 1959, pour le livret « À la découverte de l’ardoise » en 1964 et une boîte « jeu de cartes » en 1965. L’imprimerie Siraudeau est chargée de réaliser les boîtes. Les Quernons y seront rangés de champ, comme dans une carrière d’ardoises. Le 25 mai 1965, René Maillot dépose la marque et le modèle des Quernons d’ardoise à l’Institut national de la propriété industrielle. Dans les premiers temps, des Quernons plus tendres, pour les personnes âgées, sont fabriqués avec un coeur en pâte d’amande.
La nouvelle confiserie est bien reçue. En septembre 1966, elle obtient le Ruban bleu international de la confiserie. Si bien qu’un chocolatier d’Annecy vient trouver Maurice Pouzet, pour lui demander de créer chez lui un produit similaire. Demande concurrente refusée, mais comme René Maillot commercialisait les Quernons chez un ami pâtissier à Sedan – autre pays ardoisier – c’est des Ardennes que le danger est venu ! Vendu là-bas sous d’autres noms, notamment « l’Écaille des Ardennes », le Quernon s’y est acclimaté au point qu’il est devenu une spécialité locale…
Autres spécialités
Maurice Pouzet ne s’arrête pas en si bon chemin. L’esprit toujours en éveil, il invente en février 1966 les « Dallettes d’Anjou » ou d’Angers. Dans une boîte à couvercle d’ardoise, en bois ou en osier tressé orné de l’effigie du poète Joachim du Bellay, une confiserie en forme de dallage irrégulier. Deux ans plus tard, il a l’idée des « Doublons des isles », une boîte en forme de coffre de corsaire remplie de pièces de chocolat moulées habillées de papier doré… En 1975, ce sont les « Fossilons », des confiseries ou chocolats bleus avec empreintes moulées de fossiles ou de pyrites, comme dans le schiste ardoisier. Suivent en mars 1980 les « Quenottes d’Aliénor », de petites dragées, longues, enrobées de sucre glacé blanc ; « les Joyaux d’Aliénor » et les « Tuffines » de Fontevraud, une pâte sucrée blanche en forme de tuffeaux, dans une boîte rappelant les cuisines de l’abbaye. Viennent encore les « Gabariers de la Loire » (février 1993), pâte d’amande en forme de gros tuffeaux, dans une boîte en forme de gabare et les Angélines (juin 1995), pâtisseries de l’Apocalypse reproduisant des motifs de la célèbre tapisserie. Beaucoup d’appelés, peu d’élus, dit-on. Toutes ces spécialités n’eurent aucune postérité. Seuls les quernons, au fil des ans, ont réussi à s’imposer. Il s’en vend aujourd’hui cinq millions, jusqu’en Asie.