Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 374, juin 2013
Angers est, avec Bordeaux et Grenoble, l’un des berceaux du cyclisme. Bertrand Soux, chef d’atelier de l’école des arts et métiers, construit en 1869 un vélocipède dont il se sert le dimanche. Son bicycle - aujourd’hui conservé au musée d’Angers – est à roues inégales en bois, cerclées d’une bande de fer. C’est le premier constructeur de cycles à Angers, avant Henri Trépreau (1892) et Potelune (1893). En novembre 1868, la première course de vélocipèdes se déroule lors des courses hippiques d'automne (1). Le 22 avril 1869, l’intrépide cavalier Jacques de Vezins, Paul de Chemellier et Baillergeau organisent une deuxième courses cycliste, toujours sur le modèle des courses de chevaux, au rond-point des Magnolias, actuelle place André-Leroy. Les concurrents n’ont pas de dossards, mais des casaques de couleur. Pour la quatrième course (gentlemen), la tenue de jockey est de rigueur.
La faveur du public est immédiate :
« Les courses de vélocipèdes qui ont lieu, indique le Journal de Maine-et-Loire du 23 avril, au rond-point des Magnolias, ont un succès qui dépasse tout ce que peut espérer la commission d’organisation elle-même. Dès une heure et demie, la foule se presse, compacte, aux entrées. » « Des tribunes sont élevées sur un des côtés de la place, ainsi que le long de la nouvelle route des Ponts-de-Cé [actuelle rue Rabelais], précise L’Ouest du 24 avril. Une foule énorme est venue de tous les points de la ville pour assister à ce spectacle tout nouveau pour le public angevin. […] On peut dire que tout Angers assiste à cette course. […] Désormais le vélocipède, contre lequel on a tant déblatéré, fait ses preuves, et peut, manié par d’habiles cavaliers [on remarque les termes empruntés au vocabulaire hippique], passer impunément au milieu d’une foule compacte, grâce aux perfectionnements apportés à sa construction, et qui le rendent aussi facile à manœuvrer qu’un cheval parfaitement dressé. […] Les deux principaux prix sont gagnés par M. Morel [Moret], délégué du Véloce-Club de Paris, déjà vainqueur à Londres, il y a un mois, dans la grande course internationale. »
Quelques années s’écoulent jusqu’à la fondation, en 1875, du Véloce-Club d’Angers, sous l’impulsion, en particulier, de chefs d’atelier de l’école des arts et métiers, s’intéressant au perfectionnement de ce nouveau moyen de locomotion. Le club inaugure le 4 juillet sa première réunion de courses, allée du Mail (avenue Jeanne-d’Arc). L’événement est salué par la presse avec enthousiasme : « La longue allée du Mail a servi d’hippodrome aux vélocipèdes. Les coureurs, juchés sur les hauts et rapides véhicules, avaient un aspect fantastique ! » (Revue de l’Anjou). L’influence du club est considérable : ceux de Bordeaux (1877) et du Mans (1882), par exemple, sont créés par des Angevins.
En 1876 est créé le Concours international, baptisé Grand Prix d’Angers en 1901 et considéré comme l’une des plus importantes courses de vitesse du calendrier sportif cycliste jusqu’en 1940. La première course sur route disputée en Anjou a lieu le 7 juin 1876, sur un parcours Angers-Tours-Angers, soit 220 km. C’était encore une nouveauté, ce type de course ayant été inauguré en 1869, sur le trajet Paris-Rouen. Toutes ces compétitions font d’Angers, comme l’écrit en 1880 L. Mertens, journaliste parisien spécialiste du nouveau sport, « la véritable capitale du cyclisme en France » (La Vie au grand air).
Quoi d’étonnant à ce que l’Anjou ait produit de nombreux champions, Angevins d’origine ou d’adoption, bien oubliés aujourd’hui, tels Louis Cottereau, Ferdinand Charron, Georges Laulan, Henri Béconnais… Quoi d’étonnant aussi à ce que l’industrie cycliste ait été si florissante à Angers dès les années 1880, avec Quenion, Rivain, Gaultier, Brice, Malinge, Goujon… ? N’est-ce pas d’ailleurs l’Angevin Pierre Giffard qui a donné à la bicyclette son surnom de « petite reine » en 1891 ?
(1) - Recherches de Frédéric Nibart, pour son ouvrage Angers et l'innovation.