La première foire Saint-Martin

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 378, décembre 2013

Au XIIe siècle se tenaient à Angers, sur les Grands Ponts – emplacement du pont de Verdun – trois importantes foires : l’Angevine (8 septembre), la Saint-Nicolas (6 décembre) et le Lendit (10 février). La plus ancienne est l’Angevine, mentionnée dès 1060-1080. La construction des halles au XIIIe siècle motive leur déplacement sur la place des Halles (actuelle place Louis-Imbach) et aux environs. Les longues guerres du XVIe siècle en font perdre jusqu’au souvenir. Les foires ne sont rétablies que par les lettres patentes royales de décembre 1646, enregistrées par le Parlement de Paris en 1647. Elles ne sont plus qu’au nombre de deux et les dates sont modifiées : au lendemain de la Fête-Dieu et à la Saint-Martin d’hiver. C’est là l’origine de la célèbre foire Saint-Martin d’Angers.

Inauguration de la première foire

La première foire « nouvelle formule » est solennellement inaugurée le lendemain de la Fête-Dieu, le 21 juin 1647, par le maire et l’ensemble des échevins :

« Monsieur le Maire [...] s’est, avecq messieurs les eschevins, assistés de M. Michel Raymbauld, commis greffier et huissiers de cet hostel, ensemble des archers avecq la halbarde haulte et tambours de la ville, transportez dès ce matin XXI du présent mois es halles de cette ville pour faire l’ouverture de ladicte première foire, y donner les ordres nécessaires et placer les marchandz es bancz et estaux qui sont esdictes halles et que, de là, ilz sont allez sur les fossez et places y adjacentes où sont les chevaux, bestial ; au mail, brebis, moutons et autres bestiau. Et estant ausdictes halles et fossez, mondict sieur le maire a faict battre lesditz tambours pour l’ouverture de ladicte foire.  » (Archives municipales Angers, registre des délibérations, BB 81, f° 40 v°)

L’inauguration de la première foire de la Saint-Martin n’est pas relatée dans les registres du conseil municipal, mais deux délibérations l’organisent. Le 27 septembre 1647, la foire est annoncée et « publiée ». Les halles et la place environnante seront consacrées au commerce d’orfèvrerie, soierie, draperie, toile, droguerie, épicerie, mercerie, poêlerie, quincaillerie. Le marché aux bestiaux prendra place du faubourg Saint-Michel au faubourg Bressigny. Le 5 novembre, un règlement précis est édicté. La foire commencera le 12 novembre et durera huit jours. Les marchands angevins sont tenus d’exposer aux halles, sans quoi ils seront privés de leur étal. C'est que pour assurer le succès de la foire, la municipalité favorise la venue des marchands « forains » (étrangers à la ville).

Les foires comportaient deux grands secteurs : le commerce et le divertissement. D’un côté, la foire aux bestiaux, aux denrées alimentaires et aux produits de consommation ; de l’autre, les baraques des attractions foraines. Leur évolution dans le temps est inégale : la foire de la Fête-Dieu, dite du Sacre (Saint-Sacrement), a fini par être absorbée par la foire-exposition et les attractions foraines ont complètement disparu. En revanche, la foire Saint-Martin s’est maintenue dans sa partie « divertissement », abandonnant peu à peu le volet commercial au XXe siècle.

Souvenirs de Victor Pavie

La période du début de l’hiver, l’éclat des lumières, marrons et vin chaud ont sans doute favorisé le développement des attractions foraines de la foire Saint-Martin. Tous les témoignages indiquent que ses « baraques » étaient très courues. L’écrivain Victor Pavie, dans ses Œuvres choisies parues en 1887 un an après son décès, se remémore avec émotion les foires de son enfance, autour de 1818. C’était « la joie, l’étrange, l’inconnu, l’inusité de toutes parts » :

« Nos souvenirs se reportent de préférence vers la foire de la Saint-Martin, plus prestigieuse par l'éclat des lumières, par l'attrait des veillées en plein vent, fût-ce sous la nuée, et par l'agglomération plus intense de la population ramenée de la villégiature à ses quartiers d'hiver. [...] Quelle force irrésistible d’entraînement ! Ces familles de bateleurs, qui par les excentricités de leurs poses et la légèreté de leurs costumes, paraissaient moins tenir de la terre que de l’air, ces nains qui, du fond de leurs boîtes, passaient au dehors leurs menottes pour échantillon de leur personne, l’accent inimitable de ce polichinelle […] - Un Turc, mais un vrai Turc ! […] Et ce paillasse qui avalait de la filasse depuis une heure, le voilà qui maintenant vomit la flamme à pleine bouche. » (Oeuvres choisies, tome II, Paris, Perrin, 1887, p. 30-33)

Apparition des manèges

Sous le Second Empire, les Angevins profitent du Théâtre historique, du célèbre prestidigitateur Conus, de multiples spectacles de plein air. En 1879, la grande attraction est la Troupe japonaise dont la belle tente domine tout le Champ de Mars (place du Général-Leclerc). La part est belle pour les cirques ! Ce ne sont qu’acrobates, ménageries, singes et chiens savants, géants, nains, femmes torpilles, hommes poissons… sans compter les tirs, jeux d’adresse, de hasard, loteries, chemins de fer circulaires et manèges de chevaux de bois, dont on commence à parler dans les années 1870. Gustave Bayol se fait le grand artisan de leur développement à partir de ses ateliers angevins, créés en 1887. En 1901, pas moins de cinq manèges s’installent à Angers pour la foire Saint-Martin, en plus du cirque Plège, d’une ménagerie, de théâtres…

Les foires suivent l’essor des nouvelles techniques : photographie, cinématographe. Elles deviennent si importantes que la question de leur emplacement au Champ de Mars se pose. Mais la foire Saint-Martin reste longtemps fidèle à son emplacement premier. C’est en 1964 seulement qu’elle est installée place La Rochefoucauld, où elle se trouve encore. La place du Général-Leclerc devenait décidément trop étroite et son occupation pendant près d’un mois constituait une entrave pour la circulation. Les forains apprennent cette décision avec une certaine amertume. « Le public se déplacera-t-il place La Rochefoucauld ? » Les premières années sont difficiles, la fréquentation est moindre. En 1965 même, les forains demandent à revenir place du Général-Leclerc, « la foire Saint-Martin ayant été un véritable désastre » (Le Courrier de l’Ouest, 27 décembre 1965). Mais, peu à peu, les habitudes se prennent, le public revient et le succès ne se dément plus. C’est aujourd’hui la deuxième plus grande foire foraine de l’Ouest.