Le premier réseau d'eau potable

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 391, juin 2015

1821. Les habitants d’Angers sont près de 30 000 et pourtant il leur manque une chose essentielle : de l’eau potable. Fontaines et puits sont insuffisants et leur eau, trop chargée de sels, trouble les fonctions digestives et provoque des diarrhées. Les proches riverains de la Maine boivent l’eau de la rivière. Les habitants plus aisés font venir celle de la Loire ou se procurent l’eau de la fontaine de l’Épervière à Saint-Sylvain-d’Anjou, vendue tous les matins sur la place du Ralliement.

À la question de l’alimentation, primordiale, s’ajoute celle de l’hygiène, dont les pratiques sont peu développées. Les villes connaissent de grandes épidémies. Le choléra touche Angers à plusieurs reprises, en 1832, 1833-1834, 1849 et encore en 1854, causant au total plus de mille décès.

Jamais entreprise n’a été plus longuement mûrie…

Dans ces conditions et face à l’augmentation de la population, on comprend que la question de l’eau préoccupe de plus en plus les esprits. Au Comité de salubrité publique qu’elle vient de créer en février 1831, la municipalité demande un rapport sur la question de l’eau, pour la première fois évoquée au conseil municipal lors de la discussion d’un projet d’emprunt le 6 janvier 1835 :

« La ville d’Angers manque complètement de fontaines publiques et depuis deux années la disette de l’eau s’y est fait sentir de la manière la plus gênante. Des aqueducs peuvent amener dans nos murs les eaux de la Loire qui ne comportent point les principes insalubres de celles de la Maine. »

Si l’on s’était tenu au choix des eaux de la Loire qui semblait évident ce 6 janvier 1835, la création d’un réseau d’eau potable aurait pu aboutir dans des délais raisonnables, mais le conseil municipal lance un appel public à tous renseignements propres à éclairer son jugement. Il en résulte un foisonnement d’études et un véritable nœud gordien à trancher entre le choix des eaux de la Loire ou de la Maine. À ce problème vient s’ajouter celui de la filtration naturelle ou artificielle de chacune de ces eaux. Comme l’a résumé le maire Ernest Duboys lorsqu’enfin – vingt ans après - la question est résolue : « Jamais entreprise n’a été plus longtemps mûrie et élaborée par une municipalité ».

Partisans de la Maine et de la Loire s’affrontent à coup de rapports. Il paraît inconcevable aujourd’hui que l’on ait songé à boire les eaux de la Maine, déjà très polluées par l’industrie naissante et que le lit terreux du fleuve, remué par de fréquentes inondations, rend de surcroît très limoneuses. Mais le débat est passionnel. Les Angevins sont très attachés à leur rivière, et se demandent pourquoi faire venir à grands frais sur plus de cinq kilomètres alors qu’un fleuve irrigue déjà la ville ?

La supériorité de la filtration naturelle des eaux de la Loire enfin démontrée, la décision de créer un réseau d’eau à partir d’une prise d’eau en Loire clôt vingt ans de débats, le 23 décembre 1853, malgré quelques réticences encore. Ce jour-là, l’opposition vient surtout de ceux qui s’alarment des charges importantes dont le budget sera grevé et veulent que « la fortune de la commune soit administrée comme celle d’un bon père de famille ». Le maire dresse un tableau complet de l’endettement de la ville, de 1832 à 1854, pour rassurer les conseillers.

Ouverture du service des eaux en 1856

Pour mettre au point le projet définitif, la municipalité fait appel à l’ingénieur Jules Dupuits, en poste à Paris, remarqué par les élus lorsqu’il avait exercé en Maine-et-Loire de 1844 à 1849. Le 12 avril 1854, son projet, très précis, est approuvé à l’unanimité. Le lieu du captage retenu est un banc d’alluvions en sable siliceux très pur, aux Ponts-de-Cé, dans l’île du château formée par deux bras de la Loire. Une galerie filtrante en forme de fer à cheval alimente l’usine hydraulique où est placée la machine à vapeur aspirante à trois chaudières, qui l’achemine par une conduite ascensionnelle vers les réservoirs de la Madeleine et du champ de Mars. Pour joindre l’agréable à l’utile, une fontaine ornementale, provenant des fonderies du Val d’Osne (Haute-Marne) est installée sur le réservoir en février 1856. Sa présence suscite deux ans plus tard la création d’un jardin à la française, l’actuel jardin du Mail.

La distribution de l’eau est ouverte en mars 1856 : gratuite aux bornes-fontaines ou par abonnement. Fin 1856, les premiers abonnés ne sont encore que 146, mais les 42 bornes-fontaines changent la vie des Angevins. Le conseil municipal a fixé la quantité d’eau journalière à 2 000 m3, correspondant à environ 50 litres par habitant. En 2015, on estime qu’un Français consomme environ 150 litres chaque jour.