Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, Conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 423, mai 2019
Angers a connu ses premières grèves organisées sous la Monarchie de Juillet : grève des serruriers en 1834, des tailleurs en 1836, des ouvriers du bâtiment en 1845. Mais on note déjà une grève des garçons boulangers – qui réclament 12 livres de plus par mois – en avril 1793. Le monde ouvrier se développe au XIXe siècle avec la croissance de l’industrie textile : en 1913, les filatures, corderies et tissages Bessonneau emploient 6 000 personnes, dont 37 % de femmes. Les autres entreprises sont moins importantes, que ce soit les chaussures, les parapluies, les distilleries. La majorité des ouvriers reste à l’écart du mouvement syndical. La Bourse du Travail, créée en 1892, ne devient le centre d’un syndicalisme combatif qu’à partir de l’arrivée des syndicats ardoisiers de Trélazé, en 1902, avec Ludovic Ménard et André Bahonneau.
La première grande grève date cependant de 1893. Elle dure trente-quatre jours et part naturellement du textile : le 20 mars, les peigneurs des manufactures Max-Richard et Bessonneau cessent le travail et réclament une augmentation de salaire de 20 à 25 centimes par cent kilos de chanvre. Les fileuses et retordeuses de l’usine de Max Richard s’associent au mouvement fin mars. À la mi-avril, la grève – jusqu’alors cantonnée aux trois manufactures de l’Ecce-Homo, du Clon et de la Madeleine – gagne largement l’usine Bessonneau et devient générale dans le textile angevin. Elle s’étend même, sous la pression des grévistes, à d’autres entreprises jusqu’à atteindre environ 3 700 grévistes.
Les dragons sont requis et, le 18 avril, chargent une première fois sur le Champ-de-Mars pour dégager le abords de l’usine Bessonneau et disperser les grévistes. Le jeudi 20 avril, des incidents ont lieu entre ouvriers de l’usine Bessonneau qui acceptent la reprise du travail et ardoisiers : la bagarre dégénérant, les dragons chargent sabre au clair, « avec fureur », pour dégager la rue des Minimes (actuelle rue Louis-Gain). Il y a des blessés. Le récit de la journée occupe trois colonnes et demi du journal Le Patriote de l’Ouest. Le 21 avril, la discussion est vive au conseil municipal, autour de la proposition du conseiller A. Durand de voter une subvention de dix mille francs en faveur des grévistes de l’industrie textile. Le maire, le docteur Guignard, est accusé de ne pas avoir fait son devoir pendant la grève. Finalement, on se range à sa proposition : le bureau de bienfaisance est chargé de « rechercher quelles sont les familles qui souffrent de la faim, de leur faire parvenir des secours et de fixer un crédit, si c’est nécessaire ».
Le 27 avril, tout est revenu dans l’ordre, la reprise du travail est complète. La grève, peu organisée, est un échec sur le plan salarial, mais la durée de travail passe de 12 à 11 heures à l’usine Bessonneau. D’autres mouvements ouvriers ont eu lieu à Paris, Lyon, Roubaix quelque temps auparavant. À Angers, ce n’est que le premier d’une série que va connaître l’avant-guerre : 1903, 1904, 1906…