Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 377, novembre 2013
En 1893, Tesla expérimente la première communication radio et en 1898, Eugène Ducretet établit la première liaison hertzienne entre la tour Eiffel et le Panthéon. Peu à peu s’ouvre la voix de la radiophonie, appelée TSF : télégraphie sans fil. Certains scientifiques angevins s’y intéressent aussitôt. Au tout premier rang, Ernest Préaubert, professeur au lycée David-d’Angers, puis directeur des Cours municipaux (futur Institut municipal), président fondateur de la Société d’études scientifiques d’Angers. Il est l’instigateur des premiers appareils de TSF à Angers. À l’occasion de son cinquantenaire professoral en 1924, Radiola le salue comme l’un « des tout premiers sans-filistes de France et un physicien averti qui a beaucoup fait pour la diffusion des théories radiologiques ».
Connaître le morse
L’un des premiers articles que la presse angevine consacre à la TSF paraît dans L’Ouest du 23 octobre 1912 : « La télégraphie sans fil à Angers. Un particulier a établi chez lui un poste de TSF et reçoit régulièrement un grand nombre de radiotélégrammes ». L’installation est rudimentaire : « Au mur, une planchette, ornée en son milieu d’une espèce de bobine grosse comme une bouteille. Au-dessus et au-dessous, deux petites boîtes en bois – de celles où d’ordinaire se rangent les dominos – et surmontant le tout, un petit pot de verre frère jumeau, sans doute, des moutardiers de Dijon. À côté, sur une tablette, une petite cage de verre abritant une espèce de très petite balance… » Et c’était là tout. Le sans-filiste, coiffé d’un casque téléphonique relié à la planchette par un fil souple, doit connaître le morse pour déchiffrer les télégrammes et nouvelles de la journée envoyés par la tour Eiffel aux postes côtiers et aux amateurs. Il doit lire « au son », sans avoir besoin de voir points et traits pour comprendre la lettre, comme les télégraphistes.
D’après les journaux, les amateurs de TSF sont déjà nombreux à Angers en 1913. Au début des années vingt, tout s’accélère, avec la diffusion des premières émissions de radio de la tour Eiffel, à partir du 24 décembre 1921.
« Depuis que le poste militaire de la tour Eiffel envoie, chaque jour, note L’Ouest du 4 novembre 1922, plusieurs messages radiotéléphoniques et donne des concerts suivis, le nombre des sans-filistes s’est accru dans des proportions considérables. Ceux que rebutait, autrefois, l’étude du morse, se sont aussitôt décidés à coiffer le casque aux deux écouteurs ; les plus courageux ont fabriqué, ou tenté de fabriquer de leurs propres mains l’appareil merveilleux, les autres se sont précipités chez les meilleurs fabricants et ont acquis, tout fait, l’amplificateur nécessaire. »
Création d’un Radio-Club
Hélas, les amateurs rencontrent parfois bien des déboires dans le montage de leur appareil. L’union fait la force. Ils se regroupent en un Radio-Club d’Anjou, à l’image de ceux de Rennes, du Mans, de Caen… Un appel est lancé dans la presse par Charles Hamelin, horloger-bijoutier 48 rue Saint-Aubin, passionné de TSF. La société est constituée le 27 novembre 1922. Gaston Birgé, directeur de la Compagnie d’électricité d’Angers, en est nommé président. Parmi les membres du conseil d’administration, on trouve plusieurs ingénieurs électriciens, professeurs ou commerçants épris de nouvelles techniques : Fraye, chef du service électrique des établissements Bessonneau ; Ponsolle, ingénieur-électricien, professeur à la chambre des métiers ; Eugène Chaillou, électricien rue Saint-Aubin ; Gasnault, professeur au lycée et aux Cours municipaux ; Charron et l’abbé Chauvin, de l’Université catholique ; Malinge et Guillet, garagistes rue Paul-Bert ; Paul Verchaly, opticien, boulevard de Saumur et Charles Hamelin.
1923, année décisive
La première réunion mensuelle du Radio-Club a lieu le 9 janvier 1923 au 19 rue de la Préfecture, dans une salle prêtée par l’Aéro-Club de l’Ouest. La Société française d’études de TSF a accepté l’affiliation du club angevin. Une petite bibliothèque se monte avec des revues spécialisées : La TSF moderne, L’Onde électrique, Radio-Électricité… L’une des premières informations donnée par le président rappelle… que suivant l’arrêté ministériel du 27 février 1920, tout possesseur d’un poste récepteur doit en faire la déclaration à la direction départementale des PTT, dont dépend le nouveau moyen d’information, et payer une redevance de 10 francs. Au 1er janvier 1923, le sous-secrétaire d’État aux PTT évalue le nombre des amateurs de TSF en France à environ 50 000.
La TSF est « la » nouveauté dont on s’émerveille. L’Association des étudiants d’Angers fait entendre un concert de la tour Eiffel à l’une de ses soirées du premier trimestre 1923. Cette année-là, les programmes de radio commencent à être publiés dans la presse. Le commerce des TSF se développe, soit grâce à des constructeurs spécialisés, soit en complément de commerces « techniques ». L’horloger Hamelin est l’un des premiers à faire de la publicité. On lit dans L’Ouest du 29 avril 1923 : « Les meilleures montres, les plus beaux bijoux : Hamelin, 48 rue Saint-Aubin. Appareils et accessoires de téléphonie sans fil. Atelier de réparation d’horlogerie et bijouterie. » La rubrique « TSF » apparaît seulement en 1926 dans l’Annuaire de Maine-et-Loire publié par Siraudeau. Elle ne comporte qu’un seul commerçant, le garage Malinge et Guillet – alors que plusieurs autres adresses pour la TSF existent déjà : Hamelin ; Paul Verchaly ; Radio-Anjou, 35 rue de la Roë ; Charles Lair, rue Plantagenêt ; la Radiophonie de l’Anjou, rue Bodinier ; Louis Lecesvre, rue Rangeard.
Radio-Anjou, première station radio angevine
La TSF passionne les foules. Près de 1 800 personnes assistent le 13 août 1923 à la conférence-audition donnée par la mission des Autos-Radio au cirque-théâtre. Malheureusement, l’écoute n’est pas toujours de qualité. Les voix sont encore nasillardes. Le concert retransmis par la tour Eiffel est noyé dans les grésillements. Le problème des parasites revient de façon lancinante aux séances du Radio-club d’Anjou. Quand ce n’est pas le télégraphe Baudot de l’Agence Havas qui couvre les réceptions de son ronronnement perpétuel, c’est Radio-Anjou - la toute première station de radio angevine – qui empêche de recevoir les stations françaises et étrangères !
En 1925, deux constructeurs de radio, Albert Decosse et Georges Petit-Laurent, ont ouvert l’enseigne Radio-Anjou, 35 rue de la Roë et créé un poste d’émission privé, d’abord modeste (novembre), puis plus puissant (janvier-février 1926). Ils ont même engagé un orchestre de six musiciens, dont Mlle Enslen, professeur à l’école de musique, comme violon solo, pour jouer chaque soir, sans interruption, de 20 h 45 à 22 h. D’autres artistes angevins, comme le comique de genre Beam, se produisent à Radio-Anjou.
Au début de ce projet, des contacts avec l’administration des PTT avaient fait espérer que Radio-Anjou devienne la station régionale officielle, mais devant les lenteurs administratives, Decosse et Petit-Laurent se lancent seuls, de façon expérimentale. La station radio avait en effet pour but, selon les termes de leur lettre au maire du 21 juillet 1925 (Archives municipales d’Angers, série R), « de créer à Angers une industrie qui n’y existe pas » et de développer leur commerce. Dès la fin de l’année, ils mettent sur le marché « un modeste petit appareil réalisé en tenant compte des plus récents progrès techniques », spécialement étalonné pour recevoir leurs émissions, au prix très bas de 250 francs. Un article de L’Ouest du 5 février 1926 indique : « Pour aider au développement de votre poste d’émission régional, construit par les établissements Radio-Anjou, exploité par eux et uniquement à leurs frais, n’achetez que du matériel fabriqué par ces établissements, ou sortant de leur magasin de vente ».
Il ne faut pas longtemps pour que les plaintes affluent au Radio-Club d’Anjou : la radio privée gêne l’écoute des autres stations. Le 24 février 1926, le club fait venir G. Petit-Laurent. Il promet de modifier l’installation. Mais le problème n’est pas réglé. D’autres démarches sont nécessaires au cours de l’année pour obtenir de la station émettrice locale la synthonisation (harmonisation des fréquences) ou la cessation des émissions perturbatrices (assemblée générale du Radio-Club, 23 décembre 1926). Efforts vains, si l’on en croit la lettre d’un amateur mécontent publiée par Le Petit Courrier du 14 février 1927 :
« Toute écoute est devenue impossible pour les possesseurs de postes à lampes, dans un rayon de plus d’un kilomètre. Bon gré, mal gré, il faut écouter Radio-Anjou, à moins […] d’aller se coucher. Les nombreux chercheurs, les bricoleurs ont dû renoncer à leurs essais, à leurs expériences. Nul poste, si perfectionné soit-il, ne peut éliminer l’émission locale, qui se promène entre 200 et 1 500 mètres de longueur d’onde, agrémentée d’un bruit de générateur et de soufflements intenses, défiant les réglages les plus savants. Or le charme incontestable de la TSF est de pouvoir écouter, avec un appareil docile et peu compliqué, l’émission préférée. À Angers, avec deux lampes et une dextérité de réglage suffisante, un débutant doit pouvoir entendre, au casque, la majorité des postes européens. […] Pourquoi nous imposer de vive force, nous obliger à trouver plus intéressant le jazz ou le phonographe de la rue de la Roë, à moins que ce ne soit un chanteur d’un choix plus ou moins indiqué ? […] Si l’on veut faire connaître à l’Europe les charmes de l’Anjou, un poste de faible puissance à onde courte ne fera pas l’affaire […] ».
Constructeurs angevins
Radio-Anjou cesse - semble-t-il – assez rapidement d’émettre. En tout cas, elle n’empêche pas les Angevins d’apprécier la première retransmission d’art lyrique à la radio, le 3 février 1927, avec La Traviata, donnée à l’Opéra de Paris. Malgré l’expérience mitigée de la première station de radio locale, une station régionale reste vivement souhaitée. Un matériel plus perfectionné lui permettrait de se faire entendre de près, comme de loin.
Le développement des postes prêts à l’emploi et l’amélioration des techniques diffusent le nouveau « média » de plus en plus largement. Comme au début de chaque nouvelle technique, les marques artisanales abondent. Chaque ville a ses constructeurs. À Angers, c’est notamment la marque « Radio-Cité » de Louis Lecesvre ou « JTA », créée par Jacques Treilhes, 19 rue de la Roë. Dans son catalogue 1930, ce dernier propose des appareils haut de gamme à cinq lampes, dans une ébénisterie en acajou et loupe d’amboine, au « rendement musical incomparable », à partir de 3 450 francs, soit la moitié du salaire mensuel d’un ouvrier.
La première radio officielle
Le projet d’un poste de radiodiffusion angevin, évoqué en 1925, puis encore en 1927, revient à la chambre de commerce en 1931 et en 1934, à l’occasion de la diffusion des manifestations artistiques organisées par la Ville. Le président du Syndicat d’initiative, le docteur Barot, offre alors une salle pour l’aménagement d’un studio de radio local. Un ingénieur de la Radiodiffusion nationale vient étudier la question sur place en juillet 1934. La tour Saint-Aubin est cette fois envisagée pour l’installation provisoire d’un studio. Finalement, il est établi à l’école de musique, en attendant que le nouvel hôtel des Postes de la rue Franklin-Roosevelt soit édifié. Les services de la Radiodiffusion réalisent l’installation technique, la maison Grolleau d’Angers fournit piano, batterie et autres instruments. Un orchestre permanent se forme à partir des instrumentistes de la Société des concerts populaires. Le programme comprend également la retransmission des concerts de la société donnés dans le cadre de sa saison musicale. Le studio définitif, avec auditorium et poste émetteur, est déménagé dans les nouveaux locaux de l’hôtel des Postes en juin 1938, avec la participation financière de la Ville, l’État ayant accepté que le studio d’Angers soit équivalent à ceux de Rennes et Nantes, chargés d’alimenter l’antenne de Rennes-Bretagne.
Au milieu des années trente, la radio est définitivement adoptée par les Angevins et certains en sont même à des raffinements plus poussés :
« Cette nuit, quelle aventure ! écrit l’Angevine Marinette Rameau dans son journal intime à la date du 20 août 1935. Vers vingt-trois heures, André m’emmena dans sa voiture pour écouter la radio. C’était la première voiture que je voyais équipée d’un poste de radio, c’est très nouveau. Et c’était réellement merveilleux de rouler en écoutant les Danses hongroises de Brahms. »