1945, les premiers citoyens d'honneur

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 390, avril-mai 2015

1945, le 8 mai met fin à cinq années de terribles souffrances. Dès le lundi 7, l’affluence est grande en ville. Les Angevins n’en peuvent plus d’attendre. Le mardi 8, on se groupe autour des postes de radio pour écouter « avidement les énergiques paroles du chef » : le général de Gaulle parle à 15 h précises.

« Les fenêtres étaient ouvertes sur les rues, car l’improvisation, si chèrement attendue, faisait pour ainsi dire partie des manifestations publiques. Et puis les sirènes mugirent, les cloches de toutes les paroisses angevines s’ébranlèrent […]. Le son sinistre des sirènes ne fut pas prolongé, c’était assez pour nous remémorer de mauvais souvenirs, mais les bourdons de toutes nos églises carillonnèrent pendant une heure entière apportant à nos cœurs ravis et délivrés comme les bouffées même de paix. » (Le Courrier de l’Ouest, 11 mai).

Les journées de la Victoire

Et aussitôt, toutes les rues se trouvent envahies par une multitude d’Angevins explosant de joie, au milieu d’un océan de drapeaux, de tissus tricolores et de guirlandes de toutes sortes.

« Dans la nuit de mardi à mercredi, on peut évaluer à près de 100 000 les gens qui parcoururent les rues et boulevards de notre cité, […] de nombreux monômes se frayaient un passage difficile à travers une foule compacte. Des fanfares… improvisées parcouraient avec peine les rues et les tables des cafés étaient prises d’assaut, ainsi que les guéridons des terrasses. Car, pour ces deux jours de fête, le temps, peut-être un peu orageux, a été merveilleux. Une vraie température de victoire !

« Les bals des petits pavés ne tardèrent pas à s’organiser et l’on dansa aux sons des pick up ou des orchestres bénévoles à différents carrefours des rues : place du Lycée, place des Halles, rue des Lices, à la Madeleine et surtout place du Ralliement où le Gad’z’Arts-Jazz a fait merveille. Un piano fut hissé sur le kiosque des tramways et les jeunes gens jouèrent sans interruption jusqu’à l’aube, « blues », tangos, valses, one-step et autres bostons. » (Le Courrier de l’Ouest, 11 mai).

Les bâtiments publics sont illuminés, des croix de Lorraine ornent la préfecture et l’hôtel de ville. L’hôtel des postes, le théâtre et les grands magasins de nouveautés arborent de savantes dispositions lumineuses. Les commerçants ont rivalisé d’ingéniosité pour l’éclairage de leurs magasins. L’embrasement du château et le feu d’artifice forment l’apothéose des illuminations.

Mais la grande journée de la Victoire se déroule le mercredi 9 mai. Elle commence par un dépôt de gerbes au monument aux morts, devant le jardin du Mail, par une revue militaire et un défilé des troupes du monument à la rue du Haras. À 11 heures, une cérémonie religieuse est célébrée au temple protestant, rue du Musée, puis un Te Deum est chanté à la cathédrale, avant que les anciens combattants et militaires ne se rendent en foule à la gare Saint-Laud pour accueillir le chanoine-colonel Panaget, président des 250 sections du groupe d’Anjou de l’Union nationale des combattants, de retour de captivité en Allemagne. Ému aux larmes, il embrasse les généraux et ses compagnons de combat. On lui offre des fleurs. Un cortège se forme jusqu’au monument aux morts où le chanoine-colonel dépose une gerbe et exalte le sacrifice de tous les morts, de ceux de 14 comme de ceux de 40. « Soyez dignes d’eux, s’écrie-t-il, et vive la France ! »

L’après-midi, plus de 30 000 personnes se massent sur le Champ de Mars pour la cérémonie officielle de plein air. Deux discours officiels marquent la manifestation. Victor Bernier, encore maire pour quelques jours, qui eut l’honneur de recevoir les régiments victorieux en 1920, dit toute sa joie de voir la France redevenue libre.  Alain Savary, commissaire régional de la République, rappelle la phrase du général de Gaulle qui, le 18 juin 1940, affirmait « La France a perdu une bataille, mais n’a pas perdu la guerre » et s’écrie : « Aujourd’hui, nous pouvons dire que la France a gagné la guerre ! »

Les chorales angevines reprennent en chœur des chants patriotiques, la Musique municipale donne le meilleur d’elle-même. Les Trompes de l’Agro, les Bretons du Cercle celtique, les Alsaciens-Lorrains, poètes et diseurs obtiennent un succès total. L’émotion est à son comble quand les chorales, entourées d’une délégation d’Alsaciens-Lorrains en costumes régionaux, entonnent la Marseillaise, reprise en chœur par toute l’assistance. L’après-midi se poursuit par un concert de la Musique municipale au kiosque du Mail. À 18 h 30, 1 500 étudiants arrivent en défilé au monument aux morts pour y déposer une gerbe et chanter une vibrante Marseillaise. La fête continue une grande partie de la nuit : monômes, retraite aux flambeaux, bals, spectacles, conférence au cinéma des Variétés sur les camps de concentration allemands.

Une harmonie parfaite. Sauf qu’un journal, L’Écho de l’Ouest, fait remarquer l’exclusion presque totale du drapeau de l’Union soviétique parmi le pavoisement, à l’exception des bâtiments publics, un peu mieux partagés. La fête se poursuit encore le jeudi 10 mai. La musique des Petits Orphelins donne une aubade très applaudie boulevard Daviers. À 22 heures, une effigie de Hitler est brûlée au son de la Marseillaise et les danseurs s’en donnent à cœur joie jusqu’à l’aube.

L’année 1945

L’année 1945, malgré les multiples difficultés, les ruines, le manque de ravitaillement, les procès de l’épuration, est une année de réjouissances. Elle commence à Angers par la visite du général de Gaulle, le dimanche 14 janvier. Du balcon de l’hôtel de ville, le général lance aux Angevins :

« Qui que vous soyez, dans vos yeux et dans vos voix, j’ai vu et j’ai entendu que vous me compreniez. »

Fin janvier, la Ville accueille fraternellement les sinistrés de Saint-Nazaire, qui sont ses filleuls depuis une délibération du conseil municipal du 12 mars 1943, ainsi que les réfugiés de la presqu’île guérandaise. Le 10 mars, ce sont les premiers prisonniers de guerre et déportés, de retour d’Allemagne, qui mettent le pied à la gare Saint-Laud. Désormais, les journaux publient régulièrement des articles intitulés « Le coin du rapatrié » et donnent les noms de chacun des prisonniers de retour. Le 25 août, cinq mille prisonniers venus de tout le département tiennent un congrès dans la salle des pas-perdus du palais de justice. En avril-mai, les élections municipales recomposent le paysage politique : la nouvelle municipalité compte 12 socialistes, 11 communistes, 9 radicaux-socialistes et 4 Jeune République. Auguste Allonneau, professeur au lycée, est élu maire, le premier maire socialiste de l’histoire d’Angers.

Premier diplôme de citoyen d’honneur

Ancienne ou nouvelle municipalité, toutes deux s’efforcent de relever Angers et ont le souci d’honorer les libérateurs d’août 1944, en nommant pour la première fois des « citoyens d’honneur » de la ville. L’initiative n’est toutefois pas spontanée. En février 1945, c’est le don par le général américain Walton Harris Walker d’une carte commémorative représentant la marche du XXe corps d’armée de la Normandie à la Lorraine, avec mention de la date de la libération d’Angers, qui donne l’idée au conseil de nommer le général citoyen d’honneur de la ville. La décision est prise à l’unanimité du conseil le 14 février.

Le général Patton, deuxième citoyen d’honneur de la ville

Après avoir honoré le général Walker, qui commandait le XXe corps de la IIIe armée US sous les ordres du général George Smith Patton, c’est le général Patton lui-même qui est distingué. Cette fois, c’est une lettre du commandant Guy de La Vasselais, chef de la Mission militaire française de liaison tactique près le XXe corps de la IIIe armée américaine, qui est à l’origine de cette distinction. Le 12 juillet 1945, il informe par lettre le maire d’Angers

« que le général Patton, commandant la IIIe armée US actuellement en Bavière et en Autriche, envisage, sauf événements imprévus, d’entreprendre à la fin du mois de juillet ou au début d’août, un voyage en France pour répondre à l’invitation du général Juin, auquel il doit remettre un certain nombre de drapeaux français retrouvés en Allemagne. Le général Patton profitera de son voyage en France pour rendre visite à certaines municipalités libérées par la IIIe armée en juillet et août 1944 et qui lui ont fait le grand honneur de le nommer citoyen d’honneur de leur cité. » (Archives municipales, 1 I 227).

Ayant conservé un bon souvenir de l’Anjou, depuis son séjour à l’École nationale d’équitation de Saumur en 1912 pour y apprendre notamment de nouvelles techniques d’escrime, le général passerait à Angers.

Le maire répond le 17 juillet que ce serait une joie de le recevoir et l’invite pour le 10 août, anniversaire de la libération de la ville, mais son emploi du temps ne lui permet de venir que le 5 août, date retenue et annoncée dans la presse le 31 juillet.

Ce même 31 juillet, le conseil municipal le nomme citoyen d’honneur :

« En ces jours anniversaires de la délivrance de notre ville, notre pensée reconnaissante se tourne vers la vaillante armée américaine qui nous a délivrés du joug allemand […]. Son chef, le général Patton, a, dans une campagne inoubliable, chassé l’Allemand de notre sol et ainsi nous a permis de trouver nos libertés. Ne pourrait-il pas redire : « Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu ». En effet, le général Patton est venu avec ses troupes motorisées, il a vu la ville et l’a libérée en trois jours par une manœuvre habile qui a permis de chasser l’ennemi sans causer trop de dommages. Aussi, afin de donner à ce grand général américain un témoignage de notre profonde gratitude, j’ai l’honneur de vous proposer de nommer le général Patton citoyen d’honneur de la ville d’Angers ».

Péripéties de la visite du général à Angers

Déjà les employés municipaux s’affairent à planter les poteaux bleus destinés à supporter les oriflammes tricolores, quand un télégramme du ministère de l’Intérieur annonce le 2 août que le général Patton sera retenu à son poste en Autriche. La fête du 5 août est donc annulée et les festivités anniversaires de la libération de la ville, le 10 août, célébrées avec des officiers et soldats américains, en l’absence de leur chef. Les péripéties de la visite du général ne sont pas terminées…

Le 3 septembre, le maire envoie au commandant de La Vasselais une copie de la délibération nommant le général citoyen d’honneur, en profite pour lui faire parvenir les articles de presse relatant les cérémonies du 10 août et pour renouveler son invitation :

« Voudriez-vous ajouter à M. le général Patton que le vœu unanime du conseil municipal et des Angevins est de le recevoir dès que les circonstances le permettraient afin de lui témoigner, par l’accueil qui lui sera réservé, quelle est la profonde reconnaissance qu’Angers garde à ceux, et bien entendu en tout premier rang à leur chef, qui en leur rendant la liberté, ont redonné à leur vie sa valeur et son sens traditionnel » (Archives municipales, 1 I 227).

Le commandant de La Vasselais adresse à la municipalité les remerciements du général et l’informe, le 18 octobre, qu’il sera reçu à Paris par le général de Gaulle le 25 octobre, puis par le général Juin, chef d’état-major de la défense nationale :

« Profitant de son voyage en France, le général Patton aurait été heureux de vous rendre visite à Angers même, pour recevoir la haute dignité que vous lui avez conférée, mais ne disposant que d’un temps trop limité, il serait très heureux de recevoir la municipalité d’Angers à Rennes, où, d’accord avec le général de Gaulle et le ministre de la Guerre, et le ministre de l’Intérieur, il se rendra le samedi 27 octobre. Si vous vouliez bien vous joindre à l’hommage rendu par les autorités civiles et militaires et le maire de Rennes, vous pourriez lui remettre officiellement le diplôme de citoyen d’honneur d’Angers au cours de la cérémonie solennelle qui aura lieu à l’hôtel de ville à midi. Nous vous demandons de vouloir bien prendre contact avec le maire de la ville de Rennes, pour connaître le détail de cette cérémonie, durant laquelle le général Patton vous remettra une carte souvenir dédicacée de la marche de la IIIe armée à travers la France. » (Archives municipales, 1 I 227).

Comme le général doit se rendre le lendemain à Chartres pour recevoir les hommages d’autres villes, Angers réussit à négocier sa venue pour une réception au soir du samedi 27 octobre… Il arriverait par avion à l’aérodrome d’Avrillé à 16 h 30, serait reçu à la mairie, puis par le comité France-Amérique. Un dîner au Welcome terminerait la journée.

Nouveaux rebondissements

Le conditionnel reste de mise presque jusqu’à la dernière minute… car le général faillit une nouvelle fois faire faux-bond aux Angevins. Un pilote vient reconnaître le matin le terrain d’Avrillé et le trouve impropre à l’atterrissage d’un gros avion.

« À midi, notre préfet recevait de Rennes la nouvelle que le général Patton ne passerait pas par Angers, mais s’en irait directement sur Chartres. Décontenancés par un coup imprévu aussi dur, nos officiels réagirent vite et fort, suivant en cela l’exemple de Patton et à 15 h 30 la préfecture pouvait annoncer que notre libérateur arriverait en auto par la route. Mais bien des gens ignorèrent ces nouvelles dispositions et c’est pourquoi des chapelets d’Angevins s’échelonnaient dès 16 heures du terrain d’aviation d’Avrillé à l’hôtel de ville d’Angers, sur un parcours de cinq kilomètres. À 18 h 15 seulement, la voiture du général, très puissante, apparaissait à la grille de l’hôtel de ville. Elle avait semé en cours de route la modeste auto dans laquelle avaient pris place M. Allonneau, maire, conseiller général, membre de la Constituante et Mme Canonne, adjoint, conseiller général, retour des fêtes de Rennes. Ces deux représentants du peuple ne parvinrent à Angers qu’après la réception du général Patton. » (Ouest-France, 29 octobre).

Le récit de Germaine Canonne

Ce compte rendu du journal Ouest-France comporte une inexactitude importante : Germaine Canonne n’était pas dans la voiture du maire, mais dans celle du général, et pour cause, puisque c’est elle qui réussit à faire venir le général Patton à Angers…  Voici le récit qu’elle en a donné lors d’une conférence faite en 1988 :

« M. Allonneau fut convoqué à Rennes et me demanda de l'accompagner en raison de mes quelques connaissances en anglais. Après les cérémonies, nous fûmes conviés à un excellent déjeuner. Je me trouvais non loin du général et à côté de son pilote, le major S. Merle Smith. Comme celui-ci s'étonnait des petites portions que j'acceptais, je lui dis que le soir-même, nous avions prévu à Angers un excellent dîner et qu'il fallait faire aussi honneur à celui-là. « A Angers, s'exclama-t-il, mais nous ne pouvons pas y aller. » « Comment, pourquoi ? », lui répondis-je. « Non, non, c'est impossible. Après notre arrivée, je suis allé reconnaître votre aérodrome et il est en trop mauvais état pour que je courre le risque d'y atterrir avec le général… ».

Affolée, je me lève et vais chuchoter la mauvaise nouvelle à l'oreille de M. Allonneau. Il ne pouvait y croire et me demande d'intervenir auprès du général. Le plus discrètement possible, mais faisant quand même fi du protocole, je vais interroger le général. Très affable, sans souci aucun de nous contrarier, le général me répondit que seule l'opinion de son pilote comptait. Je retourne près du pilote qui reste sur sa décision. « Alors, venez en voiture, dis-je, nous allons demander au préfet de nous prêter une voiture très confortable etc., etc. » Le pilote me dit alors : « Ce n'est pas possible, nous devons être à Chartres demain matin assez tôt et, de plus, le général déteste l'automobile. » Je ne sais plus à quel endroit du menu nous étions, mais vous devinez que mon assiette ne se vidait pas. Le pilote avait ensuite suggéré mon idée au général qui avait répondu : « Non ».
 
Pendant ce temps, M. Allonneau était allé téléphoner aux autorités angevines qui étaient consternées en pensant à la déception de la population, de tous les organisateurs du défilé, de la réception, de tout ce qui était remis depuis juillet.

Alors, il m'a semblé que je n'avais pas assez réfléchi et que je ne devais pas être battue. Avec crayon et papier, j'essayai de bâtir un emploi du temps.
1 - en demandant l'indulgence des autorités de Rennes pour abréger un peu la réception.
2 - en me faisant confirmer qu'avec la confortable voiture, nous pourrions arriver à Angers avec seulement une heure de retard.
3 - qu'il serait donc inutile de rendre les honneurs à l'aérodrome d'Avrillé, tout serait concentré à l'hôtel de ville.
4 - que je ferais également raccourcir la réception du Comité France-Amérique et que M. Bouillon mis au courant de la situation accepterait de supprimer un ou deux chants de l'octette vocal qu'il dirigeait.
5 - que le dîner au Welcome ne serait pas prolongé.
6 - que le général Patton trouverait à la préfecture une chambre confortable pour la nuit (ainsi que son major) et qu'il serait dans son lit vers 23 heures.
7 - que le lendemain la voiture le ramènerait à Rennes à l'heure de son choix pour être ensuite avec son avion à Chartres.

Après avoir médité sur la façon de bien exprimer tout cela en anglais, je retournai auprès du général Patton. Au fur et à mesure que j'égrenais mes propositions et que je lui parlais de la déception de mes concitoyens, je remarquai son visage fermé et tout à coup, il éclata de rire, posa familièrement sa main sur mon épaule et dit : « Bon, ce sera oui si mon pilote l'accepte ».

Et ce fut oui et tout se passa comme prévu. J'étais dans la belle voiture avec le général et le pilote et M. Allonneau revint dans la voiture angevine avec un certain retard. Ce n'était pas tout ! Voilà qu'au milieu de la réception franco-américaine, je vois le major arriver, bouleversé. « J'ai oublié d'aller chercher nos bagages dans l'avion à l'aérodrome de Rennes. Le général n'a ni brosse à dents, ni pyjama. » Nouveau branle-bas, il était presque 8 heures du soir. On trouva facilement la brosse à dents, mais le pyjama, c'était une autre affaire… et les bons textiles !! Enfin, avec la signature du préfet, j'ai pu trouver cela chez Duru et… assurément deux pyjamas sont arrivés de suite à la préfecture.

Pendant le dîner au Welcome, je fus de nouveau la voisine du major Smith. Il me parla un peu de sa famille, de son métier de médecin avant d'endosser l'uniforme militaire et de perfectionner son "hobby", conduire des avions. Et à un certain moment, il me dit :

« Madame, je vous fais tous mes compliments d'avoir pu convaincre le général Patton. Je vous le confie maintenant : il y a deux (ou trois ans), le général avait consulté une voyante qui lui avait conseillé de ne plus circuler en automobile car cela lui porterait malheur ; et depuis ce jour, il n'était plus monté une seule fois dans une auto. » À la fin du repas, j'ai demandé au général Patton qu'il me fasse l'honneur de sa signature sur le joli menu dessiné par Pouzet et… avec un sourire malin, il me tapa à nouveau familièrement sur l'épaule. Comme vous pouvez le voir sur cet autographe, précieusement gardé, il écrivit ces mots : To a protestant woman… « Mais comment savez-vous que je suis protestante », lui ai-je dit ? Et dans un très bon français, mais avec un accent terrible, il me dit : « J'utilise le mot « protestant » dans son sens étymologique, une femme qui sait protester. »
Et la suite, vous vous en souvenez peut-être. Environ deux mois plus tard, nous pouvions lire dans tous les journaux : le général Patton vient de décéder à la suite d'un accident d'automobile aux environs de Mannheim. Alors qu'il se rendait à la chasse, la voiture dans laquelle il avait pris place est entrée en collision avec un camion. Il avait soixante ans. »

C’était le 21 décembre 1945.