Comment éditer les documents anciens

L'ÉDITION DES DOCUMENTS
XVIe-XVIIIe siècles

I – Règles détaillées pour l’édition des textes
II – Règles d’or de l’édition, en résumé

I - RÈGLES DÉTAILLÉES

Deux exigences : l'éditeur doit respecter le texte publié, mais aussi le rendre intelligible pour le lecteur. La qualité d'une édition est fonction de la manière dont ces deux exigences ont été conciliées.

Pour les textes du XVIe siècle, il est d'usage d'appliquer les normes définies pour l'édition des textes du Moyen Age, en les adaptant.

A partir de la première moitié du XVIIe siècle, la transcription est soumise aux règles actuelles d'édition.

Il n'est pas possible de fixer une date précise avant et après laquelle il faudrait changer de méthode. La période charnière se situe dans la première moitié du XVIIe siècle.

ETABLISSEMENT DU TEXTE

Si l'on possède un seul état du texte (l'original, une copie, une minute), on le reproduit scrupuleusement en appliquant les règles données ci-après.

Si le texte comporte des fautes :

dans le cas d'un original (à plus forte raison d'un autographe), on ne le corrige pas. Les fautes sont reproduites en les faisant suivre d'un sic entre parenthèses. Quand un mot ou un passage est inintelligible, on propose une interprétation en note.

dans le cas d'une copie unique, on peut procéder de la même façon ou corriger dans la transcription même, en remplaçant la forme fautive par la forme correcte, mais en indiquant en note la forme fautive.

si l'on possède plusieurs états du document, on choisit le meilleur comme texte de base en indiquant dans l'apparat critique les variantes.

Les additions ou corrections portées en marge à l'aide de renvois seront insérées dans le texte à la place qui leur revient, mais leur présence sera signalée en note. Les mots raturés, dans la mesure où ils sont lisibles, pourront également être signalés en note, à condition qu'ils présentent de l'intérêt pour la genèse et l'élaboration du texte.

Signatures, contreseings, adresses dorsales, apostilles, mentions hors teneur seront intégrées à la suite du texte édité.

Pour une série régulière d'annotations inscrites par une personne différente de l'auteur de l'acte, on imprimera celles-ci soit en colonne en regard du texte, soit à la suite de chaque paragraphe annoté en usant d'une typographie particulière.

TRANSCRIPTION

- Numérotation des lignes : seulement dans le cas d'un manuel de paléographie, d'un document particulièrement difficile à lire ou abîmé. Les numéros seront alors indiqués entre crochets carrés ou à l'aide de barres obliques.

- Présentation du texte : disposer le texte de la façon habituelle sans aller à la ligne chaque fois que le scribe va à la ligne. Bien que le découpage en paragraphes ne soit apparu dans l'imprimerie qu'au XVIIe siècle, on pourra introduire des alinéas dans les développements trop longs et trop compacts pour rendre le texte plus aisément intelligible.

- Orthographe : l'orthographe du document doit être rigoureusement respectée. Les formes jugées anormales seront signalées soit par le mot sic inséré entre parenthèses dans le cours du texte, soit en note. Le sic doit être employé avec discernement : il ne doit signaler que les anomalies caractérisées. Il faut donc bien connaître la langue de l'époque du document ainsi que les habitudes graphiques en vigueur.

Les lettres i et u ayant valeur de consonne seront transcrites respectivement par j et v. La règle doit toutefois être appliquée avec la prudence qu'impose par exemple certains noms propres comme "Lefebure" qui peut être transcrit Lefébure ou Lefebvre.

Dans certains documents du XVIe siècle où l'i, l'y et le j sont employés concurremment avec même valeur, on maintiendra ces trois lettres telles qu'elles apparaissent dans le texte.

- Les nombres seront reproduits tels qu'ils se présentent dans les documents, y compris les expressions du type M VIC IIIIXX : en toutes lettres, en chiffres romains ou arabes. Seuls les chiffres romains employés dans les comptes et autres documents financiers pourront être transcrits en chiffres arabes.

- Lacunes : toute restitution dans le texte sera placée entre crochets carrés (mots effacés, lettres ou mots omis accidentellement). Les passages détruits et non restituables seront représentés par des points de suspension placés entre crochets. Les blancs seront signalés dans le texte même ou par une note.

- Redoublements : lorsque le même mot (ou la même lettre) est écrit deux fois par inadvertance, on le signalera par un sic ou on fera la correction dans le texte en signalant l'anomalie en note.

- Abréviations : les abréviations doivent être résolues sans que soient indiquées de façon apparente les lettres restituées. On se référera aux graphies clairement attestées dans d'autres parties du texte édité ou à l'usage du temps. C'est ainsi que vre sera transcrit selon les cas vostre (au XVIe siècle), ou votre (au XVIIIe siècle).

Lorsqu'on n'est pas certain de développer correctement une abréviation, il est préférable de la maintenir telle quelle dans la transcription. C'est le cas pour me (maître ou messire), sr (sieur ou seigneur).

Les expressions ledit, ladite, lesdits... s'écrivent en un seul mot.

- Séparation des mots : les mots agglutinés seront séparés et transcrits conformément à l'usage actuel, à condition que la graphie du mot s'y prête (plutôt au sens de "plus tôt" sera transcrit tel quel et non pas plu tôt ).

- Accentuation : c'est sur ce point que les méthodes de transcription divergent suivant la date des documents concernés.

L'ancien français n'employait pas d'accents. Ceux-ci ont été introduits par les imprimeurs humanistes de la Renaissance, vers 1530. Leur introduction dans la langue a été très progressive. L'usage des accents ayant évolué de façon souvent irrationnelle, il est impossible de se référer au système en vigueur à la date du document.

Pour l'édition des textes du XVIe siècle, on appliquera les normes fixées pour l'édition des textes du Moyen Age. Seul l'accent aigu sera employé, pour distinguer e tonique de e atone en monosyllabe ou en syllabe finale :

ne (négation) et né (venu au monde)
tombé
aprés

En revanche, on écrira sans accent : affere, piece, present.

Dans les finales en -ee, où l'e final est atone, on n'accentue pas l'e précédent.

L'accent grave ne sera pas employé, même sur les lettres a et u pour distinguer les mots homophones. On écrira a (3ème personne du verbe avoir et préposition), la (article, pronom personnel et adverbe), ou (conjonction de coordination, pronom relatif et adverbe).

Pour l'édition des textes des XVIIe-XVIIIe siècles, on appliquera le système d'accentuation moderne.

Les signes graphiques, tréma, cédille, apostrophe, trait d'union, sont apparus dans l'imprimerie à la même époque que les accents. On peut les utiliser pour l'édition des textes du XVIe siècle.

- Ponctuation : elle doit se conformer à l'usage actuel pour faciliter la compréhension du texte édité.

- Majuscules : ne surtout pas tenir compte des majuscules mises à tort et à travers par le scribe . L'usage moderne doit être appliqué (voir pour cela Maurice Grévisse, Le Bon usage, 12e éd., Gembloux-Paris, 1986).

Bibliographie :
BARBICHE (Bernard), CHATENET (Monique), dir., L’édition des textes anciens, XVIe-XVIIIe siècles, Paris, Inventaire général, 1990, 128 p. (Documents et méthodes).

 
RÈGLES DE TRANSCRIPTION EN RÉSUMÉ

1 - Une règle d’or, le respect du texte : respect de l’orthographe, syntaxe, conjugaison… Les chiffres seront transcrits tels qu’ils se présentent dans le texte : selon les cas en toutes lettres, en chiffres romains ou arabes, y compris quand il s'agit d'expressions telles que VIIXX.
Cependant, les lettres i et u ayant valeur de consonne seront transcrites respectivement par j et v.

2 - Accentuation : pour les textes antérieurs à 1600, n'utiliser que l'accent aigu pour distinguer en monosyllabe ou en syllabe finale le e tonique du e atone. Exemple : ne (négation) et né (venu au monde).
Pour l'édition des textes postérieurs à 1600, appliquer l'usage contemporain.

3 - Ponctuation et majuscules selon l'usage actuel (pour favoriser la compréhension du texte).

4 -  Résoudre les abréviations.

5 - Les additions ou corrections portées en marge à l'aide de renvois sont à insérer dans le texte à la place qui leur revient.

Sylvain Bertoldi
Archiviste-paléographe
Conservateur en chef des archives d’Angers