La première université

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, Conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 413, février 2018

Lors de l’entrée solennelle du duc d’Anjou François de Valois à Angers en 1578, un tableau représente la province d’Anjou sous les traits d’une femme assise sur des rochers garnis de vigne à l’entour, tenant une clef dans sa main droite et dans l’autre un livre, « la clef signiffiant que la ville d’Angiers estoit d’anticquitté une des principalles villes des provinces et clefs de France et le libvre, que ladicte ville est riche d’une université florissante » (registre des délibérations du conseil de ville, 13 avril 1578, BB 35).

L’une des plus anciennes de France

L’université est l’une des plus anciennes du royaume de France, après celles de Paris (début XIIIe siècle/1231), Toulouse (1233), Montpellier (1289), Orléans (1306). Entre les faits et la reconnaissance officielle, la maturation a été lente, si bien que les historiens reconnaissent qu’il est difficile de lui assigner une date de naissance unique et précise. Comme ses illustres collègues, l’université d’Angers tire ses origines de l’école cathédrale, apparue au Xe siècle, issue des prescriptions des capitulaires carolingiens. Le premier maître-école connu est l’Angevin Bernard vers 1012-1015. Lui et ses successeurs jusqu’à Marbode (vers 1076-1096) sont issus de la célèbre école cathédrale de Chartres, où enseignait l’écolâtre Fulbert.

À la fin du XIe siècle, l’école d’Angers a acquis une certaine réputation, encore renforcée sous Ulger, maître-école vers 1107, avant d’être élevé à la dignité épiscopale en 1125. Les clercs formés à Angers sont promis à une brillante carrière ecclésiastique : Geoffroi Babion (maître-école vers 1103-1106) est devenu archevêque de Bordeaux ; Baudri, abbé de Bourgueil, puis évêque de Dol-de-Bretagne ; Renaud de Martigné, évêque d’Angers, puis archevêque de Reims. Robert d’Arbrissel ; Abélard ; Aubin, écolâtre de Lincoln ; de nombreux clercs anglais ; Matthieu, conseiller du pape Alexandre III, puis cardinal, ont fréquenté l’école d’Angers.

L’enseignement du droit

À partir du XIIIe siècle se développent des écoles de droit rayonnant dans tout l’ouest de la France, à la faveur de la bulle d’Honorius III interdisant l’enseignement du droit civil à Paris (1219) et de la grève parisienne de 1229 qui amènent nombre de professeurs et d’étudiants à Reims, Orléans et à Angers, si l’on en croit le chroniqueur anglais Matthieu Paris : « Entre les Anglois célèbres qu’elle perdoit, furent maître Alain de Bécoles, Nicolas de Freneham, Jean Blond, Raoul de Medeinston, Guillaume de Durham et plusieurs autres qu’il serait trop long de rapporter et dont la plus grande partie choisit la capitale de l’Anjou pour y enseigner toutes sortes de sciences » (Chronique, d’après Pierre Rangeard, Histoire de l’université d’Angers, publiée par Albert Lemarchand, Angers, 1877, p. 133).

L’enseignement angevin au XIIIe siècle ne se borne pas au droit. Les arts libéraux (Trivium : grammaire, rhétorique, dialectique et Quadrivium : arithmétique, géométrie, astronomie, musique) sont professés depuis au moins 1244 au collège de la Porte-de-Fer, au pied de la Cité, sous le contrôle, comme pour le droit et les premiers éléments d’un enseignement de la théologie et de la médecine, du maître-école du chapitre cathédral, délégué de l’évêque, qui devient un véritable régent, chef des études.

Reconnue officiellement au XIVe siècle

Au XIVe siècle, cet ensemble diversifié d’enseignements prend peu à peu la forme d’une universitas (corporation), regroupant maîtres et étudiants. La première reconnaissance officielle d’un studium generale, terme juridique désignant une université, apparaît en 1337 dans une lettre de l’évêque d’Angers Foulques de Mathefelon, même si ce dernier n’a pas la capacité d’ériger à ce rang les écoles d’Angers. Après un long conflit avec le maître-école, docteurs et étudiants obtiennent enfin en 1364 du roi de France Charles V, à la demande de son frère le duc d’Anjou Louis Ier, la concession officielle de privilèges, calqués sur ceux de l’université d’Orléans. L’année précédente, la papauté elle-même avait concédé un premier privilège pontifical. Par la suite, Charles V, puis Charles VI, confirment les privilèges du studium à six reprises, en utilisant de façon régulière dans leurs actes l’expression d’Universitas doctorum, magistrorum et scolarium… in studio ville nostre Andegavensis studentium (l’université des docteurs, maîtres et écoles… étudiant en l’étude de notre ville d’Angers), puis tout simplement d’Universitas Andegavensis (université d’Angers).

L’université – puisqu’on la reconnaît désormais sous ce titre – reçoit du maître-école Pierre Bertrand ses premiers statuts en juillet 1373. Les « nations » d’étudiants – associations d’entraide mutuelle -  et leurs procureurs apparaissent alors. Après une nouvelle lutte contre le maître-école, les étudiants obtiennent en 1398 le transfert de ses pouvoirs à un recteur, élu par ses pairs pour administrer l’université et user de son sceau. Ces nouveaux statuts consacrent la fin de l’école cathédrale. L’université devient pleinement une corporation autonome, sous la forme médiévale traditionnelle d’un communauté jurée : chaque niveau – étudiants, candidats aux grades, régents, recteur, procureurs des nations, officiers – doit prêter serment lors de son entrée en fonction. Les nations sont au nombre de six, suivant l’ordre de préséance indiqué dans les statuts : Anjou, Bretagne, Maine, Normandie, Aquitaine, France.

Au XVe siècle, l’université est en pleine vitalité. En 1403, elle compte quelque 712 étudiants. Réduite au départ à la faculté de droit, l’université devient un studium generale complet en 1432 avec la bulle pontificale d’Eugène IV créant trois nouvelles facultés - théologie, médecine et arts – confirmées par lettres patentes de Charles VII en 1433. Leurs statuts sont promulgués respectivement en 1464, 1484 et 1494. Une bibliothèque est fondée par le legs du premier recteur élu en 1398, Alain de La Rue, après son décès en 1424. Elle est destinée à assurer la transmission des savoirs, l’oralité étant la base de l’enseignement. En 1477, l’université se dote de ses propres bâtiments, les Grandes Écoles (à l’emplacement actuel du Grand Théâtre), à proximité de la collégiale Saint-Pierre où les facultés se réunissent dans la chapelle Saint-Luc. Les cours de droit et de médecine y sont dispensés. Ceux de théologie sont donnés dans le cloître de la cathédrale. Quant à la faculté des arts, elle tient ses réunions près de la collégiale Saint-Martin. Elle est constituée par différents collèges : Porte-de-Fer, Fromagerie (rue Lionnaise), Bueil (rue de la Roë), Fougères (rue Saint-Julien).