La première ZUP, Monplaisir

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 359, janvier 2012

Pour résorber la crise du logement, l’État crée en 1958 les ZUP, « zones à urbaniser par priorité ». Il ne s’agit plus seulement de construire des logements en masse, mais de prévoir en même temps les équipements publics correspondants.
Ce que résume fort bien la délibération du conseil municipal d’Angers du 25 janvier 1960 : la ZUP « a l’avantage d’assurer une unité d’action, tant pour les travaux d’infrastructure que pour la composition architecturale. Elle permettra, sur le plan financier, l’élaboration d’un plan de financement unique. Du point de vue social, elle tendra à doter les ensembles d’habitations de tous les équipements d’intérêt collectif nécessaires à la fonction et à l’ambiance urbaine ».

Crise du logement

L’ouverture du premier quartier suburbain à Belle-Beille et la création de Verneau à partir de 1953 ne résolvent pas le problème du logement à Angers. La carence est profonde : le nombre n’y est pas, la qualité non plus. Et la ville connaît un accroissement démographique sans précédent. Entre 1946 et 1968, elle gagne 34 045 habitants, soit 36 % de sa population de 1940 !

« Baby-boom » d’après-guerre et décentralisation industrielle concourent à cette spectaculaire extension. En 1954, une première zone industrielle est aménagée à l’est de la ville, à la Croix-Blanche, tandis que l’on en prévoit une seconde à Saint-Serge, une troisième à Écouflant et une quatrième par extension de la première sur la commune de Saint-Barthélemy. Il fallait loger les ouvriers des nouvelles usines. On comprend que les terrains situés entre ces zones ne pouvaient rester à l’état de terres agricoles ! « L’aménagement de la zone industrielle Est de la ville, actuellement en cours, indique une délibération du 22 mai 1956, sera ultérieurement complété par la création d’une nouvelle zone industrielle au nord du quartier Saint-Serge, l’ensemble des terrains compris entre ces deux secteurs sera donc appelé dans un proche avenir à devenir un important quartier d’habitation pour la main-d’œuvre locale. »

Point d’ancrage : la route de Briollay

Le premier acte du futur quartier de Monplaisir débute entre les chemins du Doyenné et de Nozay et la route de Briollay, avec la construction d’un premier ensemble en 1957, dont le plan est établi par l’architecte Yves Rolland. Un an après le décret lançant officiellement les ZUP (31 décembre 1958), Angers obtient l’accord du ministère pour la création d’une « zone à urbaniser par priorité » (7 décembre 1959). Le quartier de Briollay est retenu le 25 janvier 1960 - grâce à la proximité des zones industrielles - de préférence aux importantes réserves foncières du sud de l’agglomération. Il s’agit aussi « d’éviter la destruction d’importants établissements agricoles dont la suppression aurait de graves répercussions dans la conjoncture économique locale » (délibération du 29 avril 1960).

La première ZUP sera donc la « ZUP Nord de Briollay ». Le même architecte est chargé des plans de la zone, progressivement étendue jusqu’au Vaugareau, au chemin de Monplaisir et à la voie de chemin de fer (29 avril 1960). Le 18 décembre 1961, la limite nord est portée du chemin de Monplaisir à celui d’Éventard. La limite est se trouve par la suite également repoussée, de la voie ferrée jusqu’à la route de Paris.

Le plan-masse des 83 hectares de la ZUP est adopté le 29 janvier 1962 : 2 650 logements sont prévus, en majorité de l’habitat collectif regroupé en un noyau central qui comporte le centre administratif et commercial, église, maison de jeunes, foyer de personnes âgées, stade, salle omnisports. Deux groupes scolaires, un collège d’enseignement secondaire et un second d’enseignement technique doivent accueillir la jeune population du quartier.

 

À l’automne 1962, les travaux de voirie sont enclenchés. Retardées par le rigoureux hiver, les opérations de construction ne débutent que le 12 avril 1963, avec la coulée de la première cellule en béton d’un appartement. L’Office public municipal d’HLM est chargé de la première tranche de 644 logements. Tout va dès lors très vite grâce à l’utilisation de méthodes de construction nouvelles : le gros œuvre est réalisé par coulage de « nids d’abeilles », gigantesque jeu de construction pour adultes qui permet d’atteindre la cadence de près de deux logements par jour. Les 90 premiers sont livrés en décembre 1963. 30 nouvelles familles reçoivent les clefs de leur appartement fin janvier 1964. La cité ne compte alors que quatre grands immeubles, en partie inachevés, entre les futurs boulevards du Maréchal-Lyautey et du Maréchal-Galliéni.

La seconde tranche – de 541 logements - est mise en route en juin 1964, avec la Société immobilière de Nozay formée par la Caisse des dépôts et consignations. Les premières voies sont dénommées le 2 novembre 1964 : boulevards Auguste-Allonneau, Robert-Schuman, Henri-Dunant, du Maréchal-Galliéni, du Maréchal-Lyautey et de Monplaisir. Alors que l’Office d’HLM achève la première tranche de logements, les premières maisons individuelles en accession à la propriété sont livrées à l’été 1965. Celles-ci – environ 25 % des logements de la ZUP - sont situées au nord et au sud du noyau d’habitat collectif qui forme le cœur du quartier et concentre les habitants les moins aisés, urbanisme d’où découlera une forte ségrégation sociale.

 

Le 1er septembre 1965, Le Courrier de l’Ouest titre un peu vite « La ZUP Nord s’achève ». Les autres sociétés de construction d’HLM, le Val de Loire, le Toit angevin, la Soclova doivent prendre le relais de l’Office municipal. Mais l’année 1965 marque une grande étape dans la vie du quartier, avec l’ouverture du premier marché, le 6 octobre, sur le parking du boulevard du Maréchal-Lyautey et rue Paul-Valéry. La veille, une délégation de Haarlem a été associée à l’inauguration de la place centrale – place de l’Europe – et des rues d’Osnabrück et de Haarlem : hommage rendu au tout récent jumelage avec ces deux villes.

Critiques

La création du nouveau quartier ne se fait pas sans difficulté. Les exploitants agricoles vivent mal leur éviction. Certains membres du conseil municipal sont effrayés par les charges financières prévisibles. Le nombre trop élevé d’équipements, « très supérieur quantitativement à ce qui est normalement appliqué ou réalisé dans un ensemble de cet importance », est critiqué : ces bâtiments publics, selon Jean Sauvage, correspondent à un ensemble de 10 000 logements. Le mode de construction provoque des débats à l’Office d’HLM et dans le public. L’emploi unique du béton, à l’exclusion du plâtre, fait craindre un chômage important chez les plâtriers et soulève la question de l’insonorisation des appartements. Pour y remédier, un matelas isolant en granulés de liège est placé sous les revêtements de toutes les pièces carrelées. Mme Huet-Poisson affirme de son côté qu’il sera impossible d’accrocher des tableaux aux murs de béton.

Les immeubles sont mis en location bien avant que la voirie ne soit achevée, de sorte que les habitants se plaignent d’avoir à enfiler des bottes pour sortir de chez eux… La boue fait partie de l’univers du quartier pendant plus de cinq ans. Le téléphone tarde aussi à venir : en mars 1966, il n’y en a toujours pas dans la ZUP qui compte pourtant près de 3 400 résidents. Ils approchent les 12 000 à la fin de 1968. En dehors des bâtiments scolaires ouverts très rapidement – écoles primaires à partir de 1964, collège d’enseignement secondaire en 1965, technique en 1966 - les équipements promis n’arrivent qu’à partir de 1968. Le centre commercial de 19 magasins, place de l’Europe, est inauguré le 3 janvier 1968 ; la maison des jeunes et de la culture livrée en février ; le foyer des personnes âgées (La Corbeille d’argent), la mairie-annexe, le centre social de la Caisse d’allocations familiales avec halte-garderie en 1970 ; le foyer des jeunes travailleurs en 1971 ; le centre de soins en 1973, la crèche en 1976.

Le quartier est désenclavé par de grandes voies d’accès. Jusqu’en 1969, la route de Briollay constitue la seule grande voie d’accès à la ZUP Nord, ce qui pose quelques problèmes aux ouvriers qui se rendent par exemple à l’usine Thomson. À partir de juillet 1969, la ZUP est irriguée par la nouvelle ligne de voies qui conduit de la route de Paris à la future voie sur berges, par les boulevards de Monplaisir, du Doyenné et Gaston-Ramon. L’opération de désenclavement est complétée par un double dispositif au sud : mise en service du pont Dunant sur la voie ferrée en 1971, reliant le boulevard Henri-Dunant à la route de Paris et en 1972 du prolongement du boulevard Auguste-Allonneau jusqu’à la même voie. Les infrastructures sportives achèvent l’équipement du quartier : stade mis en chantier en 1970, salle omnisports en 1973-1974, piscine ouverte le 22 avril 1974.

 

Monplaisir s’impose

Comment dénommer cette ville nouvelle dans la ville ? Ce n’est pas un sujet de préoccupation. « ZUP Nord de Briollay » entre dans l’usage commun sans que l’on y réfléchisse plus que M. Jourdain faisant de la prose. Et puis, le 17 novembre 1967, la conseillère municipale Marie-Françoise Huet-Poisson fait la bonne suggestion : « … à propos du boulevard de Monplaisir, ne serait-il pas possible de se servir de ce nom pour baptiser la ZUP Nord ? N’est-ce pas plus agréable de dire ZUP de Monplaisir plutôt que ZUP Nord ? » Jean Turc est conquis : « Ce serait charmant. Vous avez raison : ZUP de Monplaisir. Personnellement, je souscris à cette proposition. » Il va plus loin : « Il faudrait essayer de faire disparaître le mot ZUP. C’est un quartier. Quartier de Monplaisir serait bien. […] C’est une suggestion dont j’ai pris bonne note ». Le Courrier de l’Ouest du 28 décembre 1968 note : « … les habitants de la ZUP Nord – que l’on appelle déjà de façon plus poétique « quartier de Monplaisir », bien que l’appellation ne soit pas encore officielle… ». Il n’y aura pas de dénomination officielle, mais, peu à peu, l’usage s’impose.

« La naissance d’un nouveau quartier dans une ville est une opération longue et difficile », souligne le maire Jean Turc, lors de l’inauguration du centre social. Il faut considérer ces quartiers « comme des petites villes afin de les rendre plus humaines dans un esprit de solidarité ». En 1974, l’opération semble réussie aux yeux du journaliste du Courrier de l’Ouest, L. Georges : « Monplaisir apporte la preuve de cette humanisation des grands ensembles, humanisation obtenue par la diversité des constructions et la variété des équipements, souci qui a toujours animé ceux qui ont œuvré à sa réalisation. » (article du 30 mars 1974). Une réussite due en bonne partie à l’investissement des habitants dans la vie de leur quartier, grâce à de nombreuses associations, réunies au sein d’un comité de quartier très entreprenant, créé à la fin de l’année 1968.

Et dans l’histoire d’Angers, le quartier a d’emblée une grande importance. Jean Monnier – futur maire d’Angers - à la direction du foyer des travailleurs et Gérard Pilet - son futur adjoint à la culture - animateur du quartier, y forgent leur expérience publique. Quant au problème du logement, Monplaisir seul n’était pas destiné à le régler. Dès le 29 avril 1960, une convention est signée avec la Sodemel pour l’étude d’implantation d’une deuxième ZUP.


Exposition virtuelle : Monplaisir, ville nouvelle (1963-1975) -  Conférence du 28 janvier 2016 au Relais Mairie de Monplaisir