Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 475, décembre 2025
Lors de son discours d’ouverture de la foire aux vins 1926, le docteur Maisonneuve, président de la Fédération des viticulteurs de Maine-et-Loire, n’omet pas de parler d’apiculture… : « Tous les ans, lorsqu’on inaugure la foire aux vins d’Anjou, les portes de la foire au miel s’ouvrent le même jour. » Il souligne que c’est « une industrie un peu nouvelle et un peu jeune », mais qui a déjà pris dans le département une extension considérable. De la « notice de propagande » lancée cette année-là par l’Union des apiculteurs, il retient d’ailleurs une phrase significative, qui lui plaît beaucoup, dit-il, car elle montre la grande utilité du miel : « Pour entretenir la santé, il faut deux choses : se nourrir quand on est bien portant et se guérir quand on est malade. Dans le miel, nous trouvons ces deux éléments ; la nourriture et le remède. Un kilo de miel vaut 3,5 kg de viande ou 12 kg de légumes verts. »
En direct des producteurs
La foire au miel est née en 1921, d’abord liée à la foire Saint-Martin. Elle est annoncée dans la presse du 4 novembre. L’initiative en revient à l’Union des apiculteurs de l’Anjou. Elle doit permettre aux acheteurs en gros ainsi qu’à tous les amateurs de miel de se procurer les produits de la ruche directement auprès des producteurs. L’Anjou paraît une région tout indiquée pour ce genre de foire : « Peu de départements sont, à ce point de vue, aussi privilégiés que le nôtre, écrit le journaliste de « L’Ouest » le 11 novembre 1921. Nous avons, avec nos jardins immenses et si bien parés, avec nos champs si nombreux de plantes médicinales et à graines, de quoi nourrir, et sans dommage aucun pour les cultures, d’innombrables abeilles. »
La première foire est inaugurée ce jour-là salle Chemellier, près de l’hôtel de ville, par les plus hautes personnalités d’Angers : le préfet Emmanuel Borromée, le maire de la ville Victor Bernier, ses adjoints Planchenault et Pottier, l’industriel vinaigrier et conseiller municipal Durbecé. Le bureau de l’Union des apiculteurs au grand complet fait les honneurs de la huitaine de stands : l’abbé Rousselot, curé de Sorges, président ; la comtesse de Lozé et Eugène Proust, vice-présidents ; Verdon-Richard, secrétaire général et Cochin, trésorier. Deux types de produits sont présentés : ceux qui sont récoltés et élaborés par les abeilles, miel, pollen, cire et ceux qui sont fabriqués par les apiculteurs eux-mêmes : gâteaux, pains d’épices, bonbons, hydromel, liqueurs au miel. Le compte rendu de l’inauguration note particulièrement « un miel au chocolat, possédant les propriétés adoucissantes et rafraîchissantes qui en font un aliment aussi agréable que délicat ».
Le premier concours apicole
La deuxième foire au miel, en novembre 1922, se tient de nouveau salle Chemellier, dont elle remplit cette fois tout le rez-de-chaussée et une partie des galeries du premier étage. C’est que les apiculteurs y exposent aussi différents modèles de ruches, des rayons de miel tels qu’ils sont dans les ruches et leurs instruments de travail. Un concours apicole – le premier en Anjou – accompagne la manifestation, subventionnée par le ministère de l’Agriculture. Les élèves des écoles qui ont reçu des leçons d’apiculture peuvent y participer. Les catégories de prix sont nombreuses : miel, cire, cirage et lait de cire, propolis, hydromel, oenomel (boisson fermentée au miel), liqueurs, vinaigre de miel, pâtisseries, confitures au miel… et tous les instruments apicoles. Des nouveautés sont présentées par leurs inventeurs. Le melloscope – pour mesurer la couleur des miels – du directeur du rucher d’Ornay à Châtillon-sur-Indre reçoit le premier prix. Le deuxième va à la coutellerie Loret-Fleurance (rue des Poêliers, magasin toujours existant) pour un couteau de poche. Le stand Fleurance est particulièrement riche en matériel.
Deux foires au miel par an
Ces succès font qu’en 1924 la foire se dédouble : elle se tient désormais en janvier et en novembre, concurremment avec les deux plus grandes foires d’Angers. Les journaux y signalent la présence d’un apiculteur qui fera du chemin, Jean Mary, établi depuis 1921 à Saint-André-de-la-Marche : « Nous retrouvons cette année le stand de Jean Mary […], déjà bien connu dans notre région pour vendre des produits de première qualité. Il nous présente à son stand toute la variété de ses fabrications : miel et cire pure, pain d’épices, pastilles et gâteaux assortis au miel, ainsi que l’hydromel Royal Florès » (« Le Petit Courrier », 11 février 1934). Les Mary commencent la production de gelée royale en 1952. Aujourd’hui le réseau des boutiques « Famille Mary » couvre toute la France.
La foire au miel poursuit sa carrière salle Chemellier jusqu’en 1937, puis change de lieu à plusieurs reprises : place Lorraine (1938-?), boulevard du Maréchal-Foch (placette Saint-Aubin, 1995-2013 ?), place Saint-Éloi (2014-2015), place Sainte-Croix à partir de 2016. Dès 1952, les problèmes de pollution sont évoqués. Jean Mary entretient le directeur départemental des services agricoles des soucis que cause aux apiculteurs la modernisation de l’agriculture : « Les insecticides tuent les abeilles, tandis que l’usage des silos pour fourrages verts et la fauche rapide des prairies par les moyens mécaniques privent les butineuses d’une nourriture abondante. »
À la foire de 1997, ils sont encore sept apiculteurs bretons et ligériens. Désormais, ils ne sont plus que deux. Les nouveaux canaux de distribution auront-ils raison de la manifestation ?
