Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 450
Mise à jour : 2 décembre 2022
1921 : le Maine-et-Loire compte déjà 2 877 voitures automobiles. La circulation dans les rues d’Angers devient difficile. « Comment résoudre le problème ? » titre le journal « L’Ouest » en septembre 1924. Trois mesures sont proposées : un sens unique pour les rues étroites, la règlementation du stationnement et la création de « garages municipaux permanents ». Ces « parcs » sont envisagés sur toutes les places.
Un premier garage couvert
Des entreprises privées mettent en œuvre une autre solution, promise à un bel avenir : des parcs automobiles couverts, que l’on n’appelle pas encore parkings en silo. Le premier est dû à Dran, patron du Grand-Hôtel, place du Ralliement, qui crée dès 1897 dans les anciens locaux du chauffagiste Bouvier, 4 rue Saint-Maurille, où il transfère ses remises et écuries, un garage spécial pour automobiles et vélocipèdes, doté d’un atelier de réparation, aux mains d’un professionnel de la mécanique.
Une innovation reprise par le garage Gesbert, 28 boulevard de Saumur (du Maréchal-Foch) vers 1910, puis par le grand garage Malinge et Guillet du 23 rue Paul-Bert, la plus importante affaire automobile de l’Ouest, qui ouvre en 1922 un garage annexe rue Jean-Bodin, avec des box pour les voitures. Ces parkings restent toutefois modestes et ne peuvent guère abriter qu’une cinquantaine de véhicules. En 1925, on prêtait à l’agence Citroën, également située boulevard de Saumur, au n° 48, l’intention de faire bâtir un grand garage pouvant abriter plusieurs centaines de voitures. Mais c’est un marchand de biens, Gripon – on le qualifierait aujourd’hui de promoteur immobilier – qui conçoit un vaste garage couplé avec une station-service, situé… 5 boulevard du Maréchal-Foch, décidément le boulevard de l’automobile des années folles !
Le Grand Garage d’Anjou
Il fait appel à l’entrepreneur Auguste Durand, qui construit alors la Maison bleue, juste en face… Les travaux commencent en juin 1928. L’hôtel particulier du docteur Souvestre est conservé, inclus dans le garage, entre station-service et hall d’exposition bâtis sur l’ancienne cour et parking pour 250 voitures à l’arrière, à la place du jardin, ouvrant sur la rue Hanneloup. Un an plus tard, le promoteur se retire de l’affaire, rachetée par A. Durand.
L’établissement ouvre au début de juillet 1929, à l’enseigne du Grand Garage d’Anjou. Sa belle façade Art déco n’arbore pas encore en grandes lettres la marque Renault. C’est Talbot qui est d’abord retenu. Un atelier de réparations courantes est installé rue Hanneloup. Les employés se donnent à fond sous la houlette de Durand père, puis de son fils Robert. « Petit à petit, le garage parti de rien a pris un essor de plus en plus grand », rappelle le contremaître Marcel Étourneau, au vingtième anniversaire de l’entreprise. « En pensée, je revois le démarrage. Combien nous avons travaillé, avec quel enthousiasme et quelle joie !! Nous n’avons pas compté notre peine et en sommes bien récompensés. Comment aurions-nous pu faire autrement avec un tel patron. » (Archives patrimoniales, 1 J 3929).
Juin 1930, selon les mots de Robert Durand lui-même, « sonne le départ d’une importante extension de l’affaire » : Renault remplace Talbot. Un second atelier pour l’entretien automobile est ouvert au 59 rue Saint-Léonard. L’année 1935 n’est pas moins importante, avec le rachat de l’ex-garage Malinge et Guillet, agence Renault, qui devient l’annexe réparation-vente des voitures d’occasion, tandis que station-service, vente des voitures neuves et parking restent sur le boulevard.
Le garage ne peut se maintenir pendant la guerre. Le gouvernement polonais en occupe une partie en 1939. L’armée allemande a tôt fait de le réquisitionner en 1940, à l’exception du magasin d’exposition transformé en Maison du prisonnier. Les Américains l’occupent quinze jours à la Libération, puis les locaux sont mis à disposition d’entreprises sinistrées - Lucas-Underberg, Brisset-Moncany - et de la direction régionale des services agricoles.
La Station Bleue
Des jours meilleurs arrivent… avec la transformation du Grand Garage d’Anjou en Station Bleue, qui doit être la station-service d’entretien automobile la plus moderne et la plus sélecte de l’Ouest. Les travaux sont activement menés entre juillet 1951 et avril 1952, mais l’ouverture officielle peut avoir lieu dès le 14 février. Le garage ne compte plus que 200 places, sans doute plus spacieuses. Un document provenant des archives de la station indique même seulement 150 places, dont 85 avec box. Comme avant guerre, elle est ouverte jour et nuit. L’entretien automobile est soigné, avec 3 postes de lavage simple sous pression, un autre de « lavage-shampoing Chemico », 4 de graissage.
Une nouvelle étape est franchie en 1954-1955. L’ancien hôtel particulier, entièrement « rhabillé », est surélevé d’un étage, de même que le parking à l’arrière. Désormais, 300 places sont offertes au stationnement, sur trois niveaux. Un nouveau hall complète l’installation, pour accueillir manifestations et expositions variées. Une horloge lumineuse est mise en place sur la façade. « Dominant ces Champs-Élysées angevins, rapporte « Le Courrier de l’Ouest » du 26 décembre 1955, elle rendra les plus grands services au public. »
Le Central Parking
La Station Bleue fait une nouvelle mue en 1962, devenant le Central Parking, ce qui met l’accent sur cette fonction. Dans le même temps, les appareils d’entretien se font de plus en plus perfectionnés. En septembre 1962, le garage met à disposition, pour la première fois dans l’Ouest, un appareil automatique de lavage sous pression des châssis de voitures. 15 jets à 18 kg de pression ne laissent plus de place pour les boues anciennes ! Toujours dans l’innovation, l’établissement devient en 1964 concessionnaire DAF, des voitures « nerveuses, rapides, 100 % automatiques ».
Tout change et les situations les mieux établies sont remises en cause par les difficultés économiques des années 1970. Robert Durand met donc un terme au Central Parking le 31 décembre 1975. Les lieux sont libérés en mai 1976, rachetés par la Caisse d’Épargne pour y bâtir son nouveau siège, ouvert au public le 22 octobre 1980.