Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservaeur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers, n° 453, mars 2023
Le premier stade d’Angers est dû à une initiative privée. Dans ses débuts, le sport est affaire entièrement privée, aux mains des patronages, des sociétés et des clubs qui se créent peu à peu à partir du milieu du XIXe siècle. C’est d’abord le nautisme, la gymnastique et le cyclisme qui en profitent, puis peu après 1900 apparaissent l’athlétisme, la natation et les jeux de ballon, le rugby avec le Racing-Club angevin, puis le football avec Angers-Université-Club.
Le Club Sportif Bessonneau
Bessonneau père et fils – surtout le fils – vont donner un grand développement aux sports. À la tête de la plus importante entreprise d’Angers, la Société anonyme des Filatures, Corderies et Tissages d’Angers, leurs moyens financiers sont presque illimités. En 1912, ils décident de fonder un club sportif, le Club Sportif Bessonneau, appelé par la suite Club Sportif Julien Bessonneau, puis transformé quelques années plus tard en Club Sportif Jean Bouin, suivant les prescriptions de la Fédération française de football qui ne voulait plus de clubs portant des noms d’entreprise dans ses championnats.
Pour en faire partie, il fallait être salarié chez Bessonneau et avoir entre 13 et 21 ans ou être dégagé de ses obligations militaires. L’objectif était de procurer à ses adhérents une distraction saine et utile qui éloigne les jeunes gens de l’alcool et de développer leurs qualités morales et physiques pour, suivant les termes de l’époque, travailler à la « rénovation de la race ». Au programme : culture physique, gymnastique, sports athlétiques, cyclisme, préparation militaire.
La déclaration en préfecture est faite le 26 décembre 1912. La direction administrative est confiée à René Huet, directeur de la corderie, ami de Bessonneau fils, tandis que la direction sportive revient à Rodolphe Trachet, grand professionnel de l’éducation physique, venu de Paris. Il est chargé de former un instructeur général d’éducation physique. Ce sera le contremaître Brégeon, ancien champion de course à pied d’Angers.
Une salle de gymnastique et un stade
Le succès est immédiat. En quelques jours, le club compte 320 inscrits. Tout était déjà prêt, les bâtiments construits. Le dimanche 29 décembre, c’est le grand jour de l’inauguration ! « Le Cri d’Angers », journal chic, ne manque pas d’en faire une relation circonstanciée. « Dès 3 heures, une foule nombreuse, qu’on peut évaluer à deux mille personnes environ, se pressait dans le splendide immeuble de la rue Montaigne, qui est une pure merveille d’installation, tant au point de vue du confort et même du luxe, que de la commodité réclamée pour les exercices athlétiques. »
Si, à l’origine du club, la culture physique l’emporte sur le sport, et spécialement sur les jeux de ballon venus d’outre-Manche, considérés par Rodolphe Trachet comme des déviations ludiques, Bessonneau fils avait tout de même prévu un stade où les jeunes gens pourraient se délasser de leurs exercices musculaires par le jeu et pratiquer des activités de plein air. « Le terrain de sport n’était pas moins nécessaire, indiquent Lennel et Potiron dans leur histoire des établissements Bessonneau, pour la pratique des sports athlétiques et de la course, l’été, comme pour le football en hiver. »
Le stade est installé, aux dimensions réglementaires, beaucoup plus loin de l’usine, rue Saint-Léonard, près de l’institution Mongazon, à l’emplacement de terres horticoles. Il reste au second plan pendant quelques années comme le montre un tableau financier intitulé « Saint-Léonard », daté du 5 novembre 1938 (5 J 96/4), conservé aux Archives patrimoniales. Les premières dépenses, modestes (8 260 francs), remontent à 1913. Des matchs s’y disputent déjà, comme celui du 18 mai 1913 opposant l’équipe du CSB à une équipe anglaise. L’équipe anglaise – maillot blanc, culotte et bas noirs - est victorieuse. Le CSB porte maillot bleu marine à parements or, culotte blanche, bas bleu et or. Une grande fête sportive, la première réunion publique d’athlétisme du CSB sur son terrain de Saint-Léonard, se déroule le 14 septembre de la même année. Les premiers journalistes sportifs notent que l’« organisation fut parfaite et le terrain, quoique non complètement aménagé, est très confortable ».
Un stade aménagé en 1920
Le stade n’est véritablement aménagé qu’après la guerre, en 1920. Un projet est dessiné par le peintre Paul Audfray en 1918. On apprend, à l’occasion de la réunion d’athlétisme du 2 mai 1920 rue Saint-Léonard, que « malgré les travaux en cours, un emplacement a tout de même été aménagé pour permettre de disputer toutes les épreuves » (« L’Ouest »). Le projet de tribunes, avec au fronton central le monogramme CSB, est daté du 19 mai.
Lennel et Potiron écrivent en 1920 que le stade « comprend maintenant un champ réglementaire de football, autour duquel est tracée une piste de course à pied en cendrée, de 400 m de tour, large de 6 m. Du côté des tribunes, la ligne droite de la piste se prolonge sur toute la longueur du terrain pour y faire disputer les courses de 100 m plat et 110 m haies. Derrière les poteaux de but du champ de football, il existe quatre grands mâts pour le grimper, des sautoirs en longueur et hauteur et un espace est réservé au lancement du poids. Au centre se pratiquent les lancements du disque, du javelot, de la grenade. De vastes tribunes, pouvant contenir plus de deux mille spectateurs, ont été élevées et sont déjà trop petites les jours où se dispute quelque match sensationnel. Il y a aussi un confortable vestiaire, des bureaux, une salle de réception pour les clubs étrangers, une salle de massage, des douches froides et un vaste lavabo. »
L’ensemble s’étend sur 40 420 m2. Tous ces équipements sont réglés en 1921 pour la somme de 1 127 453 francs. Désormais, en dehors des matchs disputés par le club, de grands événements sportifs sont organisés chaque année au stade Bessonneau, principalement des réunions athlétiques comme celle du 15 septembre 1918, avec le concours de la musique américaine, ou celle du 6 juillet 1919. Le 13 juillet 1919, l’arrivée des coureurs cyclistes du Circuit du Val de Loire a lieu au stade. Le 10 août, « un véritable régal sportif » est offert au public, avec le concours des « as » parisiens et des meilleurs régionaux et Angevins. « Les exhibitions de Paoli l’athlète complet furent l’objet du plus grand enthousiasme des spectateurs nombreux qui se pressaient dans les tribunes et sur la pelouse. » (« L’Ouest », 11 août).
1919, c’est aussi l’année de fondation du Sporting Club du Crédit de l’Ouest (SCO, devenu Sporting Club de l’Ouest) par les banquiers Georges et Paul Fortin, à l’incitation de Julien Bessonneau. Le 19 octobre, il joue son premier match sur un terrain route de Nantes, puis s’installe au stade Fortin, avenue René-Gasnier, alors encore appelée rue Saint-Lazare. C’est seulement après la Deuxième Guerre mondiale que le SCO élit domicile au stade Bessonneau pour ses rencontres officielles de football.
Un plan du stade est conservé pour 1924 (Archives patrimoniales, 5 J 32). Il est situé entre le chemin du Colombier, la rue Saint-Léonard et celle de Messine. Le long de la rue Saint-Léonard ne se trouvent que les bureaux, les magasins et une entrée secondaire. L’accès principal se fait du côté de la rue de Messine, par la rue de Tunis. Les tribunes se trouvent sur le côté opposé à la rue Saint-Léonard, vers les terrains de la société du Grand Colombier. Neuf terrains spécialisés – basket et tennis – entourent le terrain de football.
En 1955, le stade est acheté par la Ville d’Angers.
Pour en savoir plus :
LENNEL (F.) POTIRON (J.), Historique des manufactures et usines de la Société [Bessonneau] (1750-1920), Angers, éditions de l'Ouest, 1920, 311 p.
BOUVET (Jacques), Bessonneau – Angers, Angers, Société des études angevines, 2002, 251 p.
BOUVET (Jacques), « Bessonneau in corpore sano. Un exemple de sublimation du sport dans les mentalités patronales de la Belle Époque », dans Annales de Bretagne, 1996, t. 103-2, p. 93-113.