Le premier stade municipal

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 463, juin 2024

Depuis 1985, Angers est classée au nombre des villes les plus sportives de France. Le sport s’y est enraciné très précocement, dès le XIXe siècle : courses hippiques, nautisme, cyclisme, gymnastique… Les municipalités manifestent leur intérêt. Dès 1885, une section « Sports » est ouverte au budget primitif de 1886. Mais elle est associée aux « Fêtes publiques » : le sport est considéré sous l’angle du spectacle qui dynamise l’économie locale et fait rayonner la ville, avant de l’être au point de vue hygiénique et pour lui-même. Cet état d’esprit privilégie les grandes réunions sportives, comme la Fête fédérale de gymnastique en 1909, au détriment de la création d’équipements qui, pour les élus, relèvent de la sphère privée.

Des prés convertis en terrains de sport

Un grand nombre de clubs sportifs voient le jour entre 1900 et 1920, depuis le Racing-Club angevin (1903), jusqu’au Sporting-Club du Crédit de l’Ouest (1919), devenu le SCO, et à l’Intrépide (1920). Il leur faut des terrains pour jouer et s’entraîner. Chacun crée le sien vaille que vaille, souvent un mauvais pré, humide et mal nivelé. En 1920, on en compte au moins une douzaine, sur toutes les voies de sortie de la ville : chemin de la Meignanne, au Champ des Martyrs, route d’Avrillé, rue Saint-Lazare (le stade du Crédit de l’Ouest), rue de la Chalouère (le stade de la Vaillante à la Grande-Chaussée), route de Paris (deux à trois terrains), route de Nantes, rue Saint-Léonard (stade Bessonneau), au Bourg-la-Croix (stade de Roche-Marotte), rue de Frémur (stade de l’Intrépide), stade du Génie. Excepté les deux principaux terrains –Bessonneau et Crédit de l’Ouest – les aménagements sont très sommaires.

Un premier projet de parc des sports, dressé par la municipalité Barot (1912-1914), est mis en sommeil par la Grande Guerre. Dès l’armistice, les animateurs du mouvement sportif angevin reprennent la question et réclament haut et fort un stade municipal. Victor Dauphin, journaliste sportif et président du comité départemental de l’Union vélocipédique de France, tient la plume dans « Le Petit Courrier ». 

Le 6 octobre 1919, il prêche pour la création d’un Comité angevin des sports, sur le modèle du comité constitué pour la fête sportive que les intempéries n’ont pas permis de donner le jour du retour des régiments le 28 septembre 1919. Tout est dit dans son article : l’idée d’un comité des sports qui jetterait les bases d’une société financière pour construire un vélodrome permanent avec piste d’athlétisme et terrain de football. Le 11 octobre, le journal publie une lettre des établissements Brisset suggérant d’utiliser le don fait en faveur de la fête sportive annulée « comme propagande pour l’établissement d’un stade qui s’impose à Angers ». Et l’article de conclure : « C’est à la Ville qu’il appartient dès aujourd’hui – imitant en cela un très grand nombre d’autres villes – de constituer d’abord un comité des sports auquel elle donnera l’assurance de son concours financier le plus large. »

Pression sur la mairie

Il ne se passe pas de mois sans article dans la presse. La pression sur la mairie est forte. Le 24 novembre, les sportifs se plaignent dans « Le Petit Courrier » d’être obligés d’utiliser la place La Rochefoucauld comme ground. « C’est une situation pitoyable, car aucun bon jeu ne peut être fait sur un terrain dépourvu de gazon et l’on s’expose en outre aux inconvénients les plus graves. » Ils espèrent que la nouvelle municipalité ne restera pas sourde à leurs appels. Victor Dauphin revient à la charge le 29 décembre, en faisant vibrer la fibre patriotique : « Qu’attend-on pour la création de ce stade municipal, rationnellement établi ? ». Il en va de la pratique de la culture physique qui formera une armée de jeunes forts et vaillants, c’est « tout l’avenir de la France ».

Le 24 janvier 1920, le journaliste envoie une lettre circulaire à toutes les sociétés sportives et à la presse angevine : faute de terrains suffisants, écrit-il, le développement du sport ne peut prendre son plein essor. « À Angers, on semble, dans la municipalité, sinon se désintéresser, du moins ne pas attacher à cette question toute l’importance qu’elle mérite. » C’est pourquoi il invite à une réunion générale le 30 janvier, au Café de France, place du Ralliement, pour constituer un comité angevin des sports. « Ce n’est que par le groupement que nous pourrons faire entendre notre voix. » L’affaire échoue cependant, du fait d’un « personnage [il ne le nomme pas] qui avait pris ses directives à l’hôtel de ville et qui réussit dans son rôle de disjoncteur ».

Avancées et reculs

Mars 1920 voit cependant une avancée : la fusion des anciens clubs cyclistes ennemis, l’Auto-Véloce-Club et le Moto-Vélo-Doutre, sous le nom de Moto-Véloce-Club angevin, présidé par Louis Cointreau. Son objectif ? La création d’un vaste parc des sports où serait construit un vélodrome, sur un terrain aussi rapproché que possible du terminus des tramways. Le conseil municipal semble plus intéressé, le 29 mars, mais d’abord peu au fait de la question, quand on voit le maire Victor Bernier parler d’édifier un stade au château… Plus réaliste, le docteur Barot propose un terrain près de la route de Paris. Le maire propose alors d’utiliser les prairies Saint-Serge, dans le prolongement de l’usine électrique. Un crédit est inscrit, « pour mémoire », en vue de la réalisation d’un stade municipal.

Les discussions sont plus sérieuses lors d’une réunion des commissions du 26 octobre 1920. « Il semble à présent hors de doute, écrit le journal « L’Ouest », qu’une majorité existe à l’assemblée municipale qui soit d’accord en principe pour que notre ville soit dotée du terrain de sports qui lui manque et que déjà nombre d’autres villes possèdent. » Après la guerre, le but est toujours de « pousser à la régénération de la race par la culture physique et les sports ». Le projet qui a la faveur des sportifs comprend une piste cycliste en ciment armé de 333 mètres, une piste pour l’athlétisme à l’intérieur, un terrain de football pour scolaires, un autre pour l’entraînement, des tennis et une piscine. Cependant, de l’échange de vues en commission, rien de bien précis ne sort. Nouvelle réunion le 14 décembre à l’hôtel de ville. « Le projet de stade municipal, affirme le maire devant les nombreux responsables sportifs qu’il a invités, est un de ceux dont la réalisation préoccupe le plus l’administration municipale, qui lui est tout acquise. » De cette réunion, il résulte trois commissions : l’une pour envisager la réalisation d’un stade provisoire sur la place La Rochefoucauld ; la deuxième pour étudier les terrains susceptibles d’accueillir un stade définitif et la troisième chargée de travailler à définir une société civile financière qui serait le bailleur de fonds de la Ville. « Un important travail de début a été fait hier. La réalisation du stade municipal est entrée dans une bonne voie », conclut Victor Dauphin, optimiste. 

Le 28 janvier 1921, le conseil municipal prend la décision d’étudier un projet de stade définitif route de Paris, le provisoire étant trop dispendieux. Le 3 avril, lors du VIIIe Tour d’Angers à pied, Victor Bernier frappe les esprits, donnant rendez-vous dans le futur stade municipal aux concurrents du Tour 1922 ! C’est que le 24 mars les élus de la commission des sports ont admis le principe de l’acquisition d’un terrain route de Paris, évalué à 300 000 francs. Mais le conseil du 28 avril décide d’attendre que la société civile soit organisée et établisse un plan précis.

Un comité des sports

Parallèlement, le 6 mai 1921, un comité angevin des sports est enfin constitué suivant l’exemple anglais, avec deux organes : un comité général comprenant les délégués de chacune des sociétés affiliées et un bureau exécutif élu par ces délégués. L’affaire ne va pas sans mal, car les délégués de chaque sport veulent tous avoir leur place au bureau ! Cette naissance difficile portait en germe son arrêt de mort. Le comité devait être un comité d’initiative, de défense et d’organisation, avec pour but premier l’obtention d’un stade omnisports et l’inscription au budget municipal d’une subvention globale importante qu’il répartirait suivant les besoins des clubs. Le comité commence par organiser un défilé sportif pour les fêtes du 14 juillet. C’est une réussite. Puis il entend établir un calendrier des « fêtes angevines » - le calendrier sportif étant confondu avec elles – commun à tous les groupements, y compris non sportifs. Qui trop embrasse... Avec le projet d’équipement omnisports, le comité voit si grand dans ses plans que les sommes qu’il pouvait réunir se sont trouvées inversement proportionnelles à son ambition.

Le vélo-stade, réalisation privée

Un groupe de passionnés du Moto-Véloce-Club angevin sauve une partie du projet, non sans difficultés, les Angevins ne voulant pas adhérer à la société avant d’être assurés du succès de l’entreprise par son complet achèvement… Si bien qu’une ville de 85 000 habitants se trouve avoir beaucoup de mal à fournir les 100 000 francs demandés, alors qu’une ville quatre fois plus petite, Saumur, réunit sans peine 300 000 francs pour le même objet. Quoi qu’il en soit, la société foncière angevine, créée avec 325 participants, permet quand même la naissance du vélo-stade, ou vélodrome, rue Montesquieu, inauguré le 10 septembre 1922 grâce à la persévérance de trois hommes : Ludovic Derouin, Hyacinthe Brunet et Louis Cointreau. Au centre de l’anneau cycliste en ciment, une pelouse peut accueillir des manifestations d’athlétisme. Cette création, axée principalement sur le cyclisme, ne résout que très partiellement les problèmes liés à l’absence d’un stade municipal bien équipé. Toutefois, les réclamations cessent, ce qui permet aux municipalités successives d’oublier ce projet pendant quelques années.

Injonctions gouvernementales

La question du stade reprend du point de vue du sport scolaire avec les prescriptions édictées par la circulaire ministérielle du 15 avril 1929. Le gouvernement a établi un programme d’éducation physique prévoyant que les écoles auront à disposition un terrain de jeux pour les leçons d’éducation physique, la course, les sauts, le lancer, les jeux de ballon… Le 24 janvier 1930, le préfet demande d’urgence à la Ville des propositions concrètes, étant entendu que le ministère subventionnera les projets à hauteur de 50 %. Le conseil municipal en débat le 21 février 1930. L’emplacement retenu pour le stade, au lieu-dit Notre-Dame-du-Lac, ne plaît pas. Il est trop éloigné de la ville. La place La Rochefoucauld est de nouveau évoquée. Tout le monde désirerait y voir le stade, mais c’est impossible. On pense aussi à des terrains en bordure de la Maine, ce qui est plus visionnaire, mais du côté de Saint-Serge. Le coût du remblayage est dissuasif. Du bout des lèvres, pour éviter de se prononcer clairement, les élus choisissent un terrain qu’ils situent de façon vague, sur les rives de l’étang Saint-Nicolas.

Il faut pourtant être plus clair, d’où un débat encore plus long le 9 mai. Le conseil n’est toujours pas favorable au choix d’un terrain à Notre-Dame-du-Lac et bien plus, il met même en doute l’utilité de créer un stade. Il préfère aménager des terrains de jeux sur un certain nombre de places de la ville. Les enfants des écoles seront donc pourvus, tandis que les sociétés sportives possèdent déjà des terrains. Qui ira au stade ? Pourquoi dépenser 800 000 francs pour cet équipement ? Le maire Eugène Proust indique sans ambages que « ce projet de stade n’est pas d’initiative municipale, c’est le préfet qui nous a dit : « Le ministre a 300 millions à dépenser. Nous nous sommes débrouillés pour faire plaisir à M. le préfet ». Et pour toucher la subvention, l’assemblée vote en faveur de la création d’un stade route de Nantes., sans plus de précision.

Devant tant de bonne volonté, rien ne se passe. Le 29 octobre, Auguste Allonneau demande que la question du stade soit reprise : « Nous ne pouvons pas laisser nos enfants d’âge scolaire dans une situation indécente par rapport aux enfants des autres villes. Le rapport présenté par l’administration municipale n’a pas été accepté par la commission départementale. »

Enfin une solution

Quelques mois plus tard, une solution est enfin trouvée. Angers va avoir son stade municipal ! Il s’agit tout simplement d’acheter le terrain de l’Intrépide, rue de Frémur, lieu-dit Champ du Clos, en face du monastère de la Visitation. Il avait été ouvert le 10 avril 1921 et aménagé peu à peu grâce aux bénévoles du club omnisports fondé en juillet 1920 par l’abbé Chéné, vicaire à Saint-Laud sur une propriété appartenant aux religieuses de la Visitation. De belles manifestations s’y étaient déroulées, à commencer par les championnats d’athlétisme de l’Union gymnastique et sportive de l’Anjou. Mais ce qui plaît particulièrement à la municipalité, c’est l’excellente situation du terrain, sur la ligne de tramway Place Ney – Génie, à 100 mètres de la station Frémur : « Il n’est pas possible d’en trouver un autre qui, à semblable proximité de la ville, puisse convenir à cet usage. », indique la délibération du 24 juillet 1931 qui en décide l’acquisition. 

L’accord sur le prix – 335 000 francs, une aubaine, par rapport aux précédents projets – et sur la superficie – 3 hectares - se fait à l’été 1931 avec la Société immobilière de l’Image, propriétaire du terrain depuis 1895. Dans les conditions de vente figure la construction d’un mur de clôture de 2,50 m de hauteur sur tout le pourtour du terrain. On veut le mettre à disposition des écoles dès octobre, mais l’achat ne se concrétise que le 8 juin 1932. D’autre part, l’Intrépide en conserve la location jusqu’au 31 octobre de cette même année. Quelques péripéties émaillent cette acquisition. On oublie d’inscrire la fin du paiement au budget primitif de 1934. Et en 1937, on s’aperçoit que l’on a également oublié de demander la subvention de 25 % à l’État !

Aménagements réalisés au compte-goutte

L’aménagement du terrain traîne en longueur, car la municipalité Proust pensait acheter le stade Bessonneau et ne voyait pas l’utilité de faire des dépenses pour celui de la rue de Frémur… Les quelques équipements existants – des baraquements et des « entourages constitués par des poteaux en ciment » - étaient insuffisants pour un usage intensif par les écoles et les divers groupements qui demandaient à s’y entraîner. Il fallait aussi créer une entrée sur la rue de Frémur. Les vendeurs s’étaient réservé le terrain en bordure de la rue, à l’exception d’une portion de 17 m de largeur comprenant la maison de la Chesnaie, pour permettre cet accès.

En 1936 encore rien n’était fait : un crédit est sollicité pour l’édification de bâtiments légers permettant de s’habiller et de se déshabiller à l’abri, demande déjà faite il y a trois ans… L’aménagement minimal est achevé fin 1937 avec la construction de vestiaires et de douches. Il n’y avait jusqu’alors que trois douches, pour des équipes comptant 11 à 13 joueurs. 

Un article d’Yves Donor, dans « Le Petit Courrier » du 27 février 1938 fait parler le stade : « Je n’ai pas de grande entrée, de portes dignes de ce nom, mais une petite entrée avec des parterres quand même. La pluie est ma plus mortelle ennemie. Encore me suis-je fait opérer l’an dernier [le terrain a été drainé], ce qui me permet de la mieux supporter qu’auparavant. […] La saison passée, je fus gratifié de vestiaires neufs, dotés de douches. J’ai également bénéficié de petits buts qui font parfaitement l’affaire de toute la « bambinerie » du quartier. Un terrain de basket entièrement goudronné a été réalisé. Mais les allées de jeu ne sont pas tracées et on ne peut encore l’utiliser. » Que manque-t-il au stade demande le journaliste ? « Je voudrais d’abord être chez moi, et pour ceci un mur de clôture est nécessaire. Il sera sans doute fait dans le courant de l’année. Mon rêve serait de posséder des tribunes. »

Les aménagements se poursuivent dans les années suivantes. Trois terrains de basket sont tracés. Mais la grande entrée par la rue de Frémur n’est pas percée. L’accès se fait par la rue des Chaffauds. La création du premier stade municipal, ancien stade de l’Intrépide devenu le stade de Frémur, relève presque, on le voit, de l’épopée. Les débuts sont difficiles.