Premières écoles maternelles

Vivre à Angers n° 465, septembre 2024

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

À partir du XVIIIe siècle, une plus grande importance est accordée à l’enfant. Les petites écoles se développent. À la fin du siècle, le pédagogue suisse Pestalozzi présente le résultat de ses expériences en matière d’éducation. Dans les années 1810, des salles d’asile ou écoles de la première enfance pour les enfants de familles pauvres voient le jour en Suisse, Allemagne, Angleterre et aux États-Unis. Il s’en fonde à Paris en 1825. En 1833, le créateur de la première salle d’asile modèle de Paris, Jean-Denis Cochin, publie son « Manuel des fondateurs et des directeurs des premières écoles de l’enfance connues sous le nom de salles d’asile ».

L’amour du bien

Angers ne reste pas à l’écart de ce mouvement en faveur de la première enfance. « Dès 1831 et 1832, écrit Antoine Farran (adjoint au maire en 1832, puis maire de 1837 à 1843) dans ses mémoires, des hommes recommandables pour leur amour du bien se réunirent à la mairie sous la présidence du maire dont je remplissais les fonctions et s’occupèrent activement de la création d’institutions nécessaires pour venir au secours de cette nombreuse population. Aucune autre ne nous parut plus utile que celle qui aurait pour objet de mettre les enfants pauvres à l’abri de toute espèce d’accident et qui, tout en leur donnant les premières notions d’ordre et de moralité, permît d’employer leur temps d’une manière utile et avantageuse. »

La première association charitable de souscripteurs pour l’établissement de salles d’asile voit le jour le 26 décembre 1832. Parmi les administrateurs figurent Grégoire Bordillon et certains de ses amis républicains : Freslon (futur ministre de l’Instruction publique en 1848), le docteur Lefrançois, Adville (maître de pension, propagateur de l’enseignement mutuel), Contencin (capitaine d’artillerie au château), Leclerc-Guillory (négociant, fondateur de la Caisse d’épargne d’Angers) … La souscription est ouverte chez le notaire Mars-Larivière à Angers et chez l’imprimeur Ernest Le Sourd. En même temps, un comité de dames se réunit autour de l’épouse du préfet Hyacinthe Barthélemy. A son départ en 1834, elle est remplacée par l’épouse du nouveau préfet Gauja. Par la suite, les « Annuaires statistiques de Maine-et-Loire » donnent la composition du comité. 
 

C’est Rey, conseiller à la cour d’appel d’Angers, membre de la Société d’agriculture, « homme d’un esprit élevé, très populaire et très libéral* », qui se fait le porte-parole de l’association auprès de la municipalité. Il envoie quarante prospectus au maire visant la création d’une salle d’asile, ainsi que deux ouvrages sur le système des écoles pour la première enfance, notamment en Angleterre. Le 20 novembre 1832, le conseil municipal en renvoie l’étude à la session budgétaire de 1833. Le 21 février, la commission d’examen ajourne le projet étant donné l’insuffisance des fonds communaux, le rapporteur ayant calculé qu’il faudrait construire en quatre ans dix salles d’asile de 110 élèves, à 6 700 francs de dépense annuelle par salle.

Le conseiller Rey ne se laisse pas décourager et revient à la charge avec de nouvelles propositions. Cette fois, le conseil du 23 mai 1833 se montre plus attentif : « Votre commission qui a senti qu’une pareille institution était avantageuse à la classe ouvrière, n’a pas hésité à donner un avis favorable à la fondation de salles d’asile pour l’enfance dans la ville d’Angers, mais elle a pensé qu’il convenait de faire un essai dans le quartier le plus populeux de la ville. » Mille francs sont votés et la municipalité met à disposition la maison du Saint-Esprit, qu’elle devait primitivement vendre, rue Saint-Nicolas. Les locaux sont très modestes et vétustes, mais c’est un premier pas, à l’origine de l’école maternelle Descartes**. L’asile du Saint-Esprit ouvre en 1833 avec vestibule, salle de classe, caveau, cour et latrines. 

Victoire-Adélaïde Mahieu (1787-1863), originaire du Calvados, en prend la direction, début d’un engagement passionné en faveur de l’éducation des jeunes enfants qui l’érige rapidement en modèle. « Quand on me fit l’honneur, écrit-elle en 1840 (Archives patrimoniales, 1 R 9), de me nommer directrice de la première salle d’asile qui fut établie à Angers, j’acceptai avec empressement. Je n’examinai pas si la tâche qui m’était imposée était au-dessus de mes forces et si la modicité de la somme qui m’était allouée pourrait suffire à mon entretien. Je cédai à mon penchant. J’étais mue par deux motifs bien puissants : la pitié, l’intérêt que m’ont toujours inspiré les enfants des pauvres et l’honneur de concourir à l’accomplissement d’une œuvre si bien d’accord avec mes sentiments et ma vocation. »

L’administration de la salle est dévolue à une commission de douze membres choisis par l’assemblée générale des souscripteurs, présidée par le maire. Un comité de dames est en outre chargé de surveiller tout ce qui concerne la propreté, la santé, la morale et la religion. La première notice sur les salles d’asile paraît dans l’« Annuaire statistique de Maine-et-Loire » de 1835.

La salle d’asile Saint-Michel

C’est aussi en 1835 que l’allocation de mille francs inscrite au budget de la Ville est doublée, la fondation d’une deuxième salle étant envisagée. Après la Doutre, c’est le populeux faubourg Saint-Michel qui est retenu. L’association des souscripteurs fondateurs des salles d’asile d’Angers achète en juin 1835 un terrain à l’angle de la rue de Bouillou (actuelle rue Bardoul) et du passage qui conduit aux buttes des carrières abandonnées. L’adjudication des travaux ne tarde pas et l’asile Saint-Michel peut ouvrir en août 1836. Les bâtiments sont cette fois spécialement conçus pour leur destination. La salle de classe, très vaste – plus de 150 m2 – peut accueillir au moins 250 enfants. Elle est éclairée par 14 fenêtres élevées de 4,30 m au-dessus du sol. Le préau couvert mesure 8 m sur 15,20 m. Il y a cour, jardin, salle pour former les moniteurs, laverie, calorifère, logement pour la directrice. On comprend que Victoire Mahieu en demande la direction et c’est elle qui fait l’ouverture. 

Prise en charge par la Ville

La création des salles d’asile est un succès éducatif, mais pas financier. L’accueil des enfants est gratuit et les souscripteurs ne sont pas assez nombreux pour éviter un déficit de fonctionnement. Aussi l’association offre-t-elle le 12 février 1837 de faire remise de son œuvre à la Ville, à charge par elle d’acquitter le déficit de 4 677,59 francs et de ne jamais changer la destination de ses établissements. La Ville accepte la donation, formalisée le 9 août 1838 et autorisée par ordonnance royale le 1er juin 1839. Ce qui nous vaut un inventaire précis du matériel de fonctionnement des deux salles. À Saint-Michel, la grande classe comporte une estrade de 12 marches de 7 m de long, 6 rangs de bancs de 66 m de long au total, 2 autres bancs formant 8 stalles, 2 placards pour conserver les ardoises, un grand tableau noir, un boulier compteur, 6 tableaux noirs aux murs, une pendule, une collection de figures géométriques, un orgue à 3 cylindres, des séries de gravures, 20 tableaux de lecture. Au nombre des livres figurent une bible, le manuel de Cochin, une histoire de France, le journal « L’Ami de l’enfance » (de Cochin), le Buffon de l’enfance, histoire sainte, catéchisme, des contes et 60 petits alphabets. Pour la gymnastique, on remarque un appareil composé de deux poteaux, traverses, crochets, deux perches en châtaignier, deux cordes neuves nouées et une échelle boulonnée et ferrée. Contre un mur, un entourage de tringles sert à soutenir une tente de toile.

Enseignement religieux et pédagogie nouvelle

L’enseignement a été réglementé à plusieurs reprises : par ordonnance royale du 22 décembre 1837, renouvelée par un règlement général du 22 mars 1855. Un règlement particulier est adopté à Angers le 4 mai 1857. Chants, exercices d’imitation, catéchisme, enseignement de l’Ancien et du Nouveau Testament, calcul verbal, exercices moraux, explication des poids et mesures, exercices de dessin linéaire alternaient au cours d’une journée qui commençait à 10 h et s’achevait à 17 h. Mais les enfants étaient accueillis à partir de 7 h en été, de 8 h en hiver et pouvaient rester, en récréation, puis en travail manuel jusqu’à 18 h en hiver et 19 h en été. L’apprentissage de la lecture était en principe assez limité. On utilisait des pupitres à lettres mobiles pour composer des mots. Pour l’écriture, il s’agissait d’imiter des lettres sur ardoise. Les salles d’asile ont répandu l’enseignement par l’image, promu celui du chant, les travaux manuels (surtout textile à Angers), les exercices corporels et jeux variés.

Consécration pour Mlle Mahieu, le 30 septembre 1857, le ministère de l’Instruction publique et des Cultes confère à l’asile Saint-Michel le titre de salle d’asile modèle : « La décision rendue par Son Excellence, en même temps qu’elle témoigne de l’opinion avantageuse que l’administration a de la direction donnée à cet établissement, me paraît un hommage rendu à sa bonne installation matérielle. C’est en effet le premier en France, depuis la promulgation des nouveaux décrets [du 22 mars 1855] qui obtienne le titre de salle d’asile modèle. » Le coût annuel de fonctionnement de la salle d’asile revenait à 2 130 francs, traitement de la directrice, de son adjointe et de la gouvernante compris. 

Quatre salles d’asile

Les salles d’asile étaient alors au nombre de quatre. Aux deux premières s’étaient ajoutées la salle d’asile Saint-Joseph (qui a donné son nom à la rue) en 1840 et en 1848 la salle Saint-Maurice, en plein centre-ville, rue de la Croix-Blanche. L’asile Saint-Michel est reconstruit en 1852-1853 sur les plans d’Ernest Dainville, les premiers bâtiments ayant dû céder la place à l’édification de l’entrée de la prison ; l’asile du Saint-Esprit est rebâti par le même architecte en 1862. C’est encore lui qui donne les plans de l’école de la rue Parcheminerie, en 1869. Désormais on ne parle plus de salle d’asile, mais d’école maternelle. De cette école, grâce à sa directrice Mme Cazeaux, on vient de retrouver un rarissime album*** de photographies mettant les enfants en situation tout au long des différentes activités de la journée. Des photographies datées d’avril 1906.

*D’après un témoignage des années 1880, lorsqu’il fut question de débaptiser la rue de l’Asile-Saint-Joseph pour éviter une confusion avec la rue Saint-Joseph (correspondance municipale, série D).

**La rue du Saint-Esprit est dénommée rue Descartes le 11 mars 1893.

***Acheté par les Archives patrimoniales en mai 2024.