Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 439
La promenade du Bout-du-Monde ? Elle porte bien son nom, attesté depuis 1669 : un mail en impasse, 25 mètres au-dessus de la Maine ! D’un côté, la Cité ; de l’autre, le château. Pour gagner le fleuve, le détour est important… Aussi a-t-on depuis longtemps essayé d’aménager un accès direct de la promenade au quai. Un petit escalier creusé dans la falaise de schiste est peut-être aménagé dès la fin du XIVe siècle. Un deuxième escalier, privé, a été ouvert à partir de l’ancienne maison du peintre Guillaume Bodinier, actuel foyer Saint-Aubin, rue Donadieu-de-Puycharic. Il subsiste aujourd’hui.
L’escalier imaginé en 1834
Le premier projet sérieux de liaison entre le Bout-du-Monde et la Maine date de 1834. En même temps qu’il achève de tracer le nouveau boulevard du Château (actuel boulevard du Général-de-Gaulle), l’architecte-voyer de la Ville, Bienfaisant Thierry, dégage les abords du château. Il prévoit de faire déboucher la promenade du Bout-du-Monde par une large voie sur les boulevards. De l’autre côté, un escalier, appuyé du côté de la Cité, doit donner accès par six longues volées de marches à la rue du Port-Ligny. Ce plan est approuvé par le préfet le 7 août 1835, mais seul le boulevard du Château est réalisé.
Lors de la construction du quai Ligny, les ingénieurs des Ponts et Chaussées proposent en 1837 de ne pas construire sur le quai depuis la promenade du Bout-du-Monde jusqu’à la Basse-Chaîne, afin de « former une place entre le pied du château et la chaussée du quai, disposition qui permettrait de découvrir totalement le château dont l’aspect est masqué désagréablement par les bâtiments mesquins qui le touchent et de construire, si on s’y déterminait un jour, un escalier pour monter à la promenade du château et faire communiquer directement la Cité avec le bord de la rivière ». Proposition repoussée pour des raisons financières par le conseil municipal.
Mais l’affaire de l’escalier reste dans les têtes. Le 18 mai 1839, lors du vote d’un crédit pour réparations urgentes au mur de soutènement de la promenade du Bout-du-Monde, un conseiller demande la création d’une commission pour étudier un projet d’escalier. Le maire Antoine Farran répond qu’il n’est pas besoin de commission : l’administration s’occupera de sa proposition. Laquelle tombe dans les oubliettes
Le souffle de 1911
Soixante-douze ans s’écoulent… Le château préoccupe les Angevins et les autorités municipales. Tous voient que le ministère de la Guerre, propriétaire des lieux, ne fait que médiocre entretien. Jacques-Ambroise Monprofit a de l’ambition pour sa ville. Avec la naissance du tourisme, il envisage, suivant l’exemple de Nantes, la possibilité d’une cession du château à la Ville. On pourrait y faire, écrit-il au sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts, « un musée presque sans égal ».
Chargé de visiter le château et de dresser un projet de restauration, Gilles Rohard, conducteur de travaux au service Architecture, remet son rapport le 14 décembre 1911. Quatorze intéressants croquis aquarellés l’illustrent. C’est là que réapparaît la question du Bout-du-Monde.
« L’accès au château par le Bout-du-Monde, écrit-il, compléterait le projet de la façon la plus heureuse ». Il soumet deux études. La première est assez ordinaire : un escalier en fer, avec paliers de repos. Sa préférence va au deuxième projet : des rampes boisées, pour masquer le vide, garnies de rochers factices qu’on revêtirait de lierre et de mousse. De cette façon, on aurait l’impression de pittoresques allées de jardin, comme à Château-Gontier. La pente des lacets n’excéderait pas 0,05 m. Ils aboutiraient à un square établi au pied des remparts et conduiraient jusqu’au boulevard du Château. Point le plus novateur : la démolition du quartier Ligny. C’est le premier à la proposer : « Le château serait ainsi dégagé et conserverait l’aspect imposant que lui enlèvent les immeubles construits à sa base. »
Jacques-Ambroise Monprofit fait publier projet et croquis. Début 1912, la Ville prend en location les fossés du château pour y tracer des jardins. En mai, Barot, le nouveau maire, remet en question le projet d’achat du château. Quant à la « rampe en lacets aménagée en square » entre la promenade du Bout-du-Monde et le Port-Ligny, elle est en 1913 classée dans les « travaux utiles à effectuer, mais sans caractère d’urgence ». Survient la guerre.
L’idée d’une liaison verticale n’est pas morte
L’édification d’un d’escalier resurgit lors du dépouillement des résultats du concours lancé par la Ville pour l’aménagement de la montée Saint-Maurice, en 1942. Comme il est acquis que des jardins remplaceront les maisons de la rue du Port-Ligny, même si les immeubles du quai proprement dit sont maintenus, il semble intéressant d’avoir une liaison entre le Bout-du-Monde et ces jardins. Il ne s’agit toutefois plus d’une rampe paysagère très élaborée, mais d’un simple escalier en pente raide, accroché aux aspérités du rocher, avec différents paliers intermédiaires. « Nous créerons ainsi, indiquent les architectes-urbanistes Abadie et Delacourt, une circulation verticale qui ne manquera pas d’intérêt. » Ce concours reste lettre morte, les projets n’ayant pas satisfait la mairie et l’époque ne s’y prêtant pas.
Du temps s’écoule encore. L’idée d’avant-hier est reprise le 6 mai 1998 dans un article du « Courrier de l’Ouest » consacré à l’avenir d’Angers :
« Bout-du-Monde. Bien que débouchant sur un magnifique panorama, la promenade demeure sans issue. Une impasse dont on pourrait sortir dans le cadre de la création et de la restauration d’un accès à partir du quai Ligny, par l’escalier visible du pied du château […] où de simples travaux de restauration permettraient de rétablir cette voie et d’ouvrir publiquement des douves susceptibles d’accueillir des spectacles. »
L’opération serait sans doute moins simple que sur le papier. Peut-être trouvera-t-on une idée viable à la faveur du réaménagement des espaces qui entourent le château, dont l’étude a été lancée cette année.