Les débuts du sport féminin à Angers

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 464, été 2024


Le sport intéresse d’abord les hommes. Dans la seconde moitié du XIXe siècle se développent l’équitation, les sports nautiques, la natation, le cyclisme, l’aviation, l’automobilisme, le tennis, les jeux de ballon… Ce sont surtout des loisirs d’une classe aisée disposant de temps et d’argent. Le cyclisme démocratise la pratique sportive et il n’est pas étonnant d’y rencontrer pour la première fois des femmes.

D’abord dans le cyclisme

La grande fête vélocipédique annuelle du Véloce-Club au jardin du Mail prévoit pour la première fois en 1885 deux courses, tricycles et bicycles, « spécialement réservées aux dames ». Voilà qui promet un intérêt tout particulier, note « Le Petit Courrier » du 4 juillet. Seulement voilà, les esprits ne sont pas prêts. C’est une « innovation digne du domaine du barnum », cingle la revue pourtant parisienne « Le Sport vélocipédique » ; une « exhibition de cocottes » de nature à déconsidérer la vélocipédie toute entière, affirme le champion angevin Fernand Charron. Le maire Alexis Maillé s’emploie à interdire les deux courses tandis que le commissaire central de police fait caviarder les affiches…

Dix ans plus tard, l’état d’esprit a évolué. Cette fois la course de dames a bien lieu. C’est une attraction de la fête vélocipédique du 16 septembre 1895, organisée par la commission des fêtes de l’exposition nationale d’Angers. Il n’y a que quatre partantes, mais dans ses félicitations le député-maire Guignard réserve un mot spécial aux « dames qui ont bien voulu prêter leur concours ». Elles sont six le soir, lors de la course costumée aux lanternes vénitiennes.

Un club éphémère

La mention de femmes dans des activités sportives reste exceptionnelle. Il faut attendre 1908 pour voir un premier club féminin se former : le Sportswomen, rattaché au Racing Club angevin, qui inaugure son entraînement au basket-ball le 25 octobre. Peu habitué à ce nouveau sport, « Le Petit Courrier » du 6 décembre, qui parle du Sportswomen, appelle le jeu « Bosquet Ball ». Mais apparemment c’est la dernière mention du club qui disparaît sans laisser de trace.

Après la guerre, il en va autrement. À l’imitation de Femina Sport – club parisien créé en 1912 avec le soutien financier de l’Angevin Julien Bessonneau – et d’Academia - autre société fondée dans la capitale en 1916 – un club angevin voit le jour en 1921. L’assemblée générale constitutive se déroule au Grand-Cercle du boulevard le 14 avril. Selon Victor Dauphin, le grand journaliste sportif de l’Anjou, l’idée en revient à E. Filiâtre, ancien champion de France de cross-country, président de la Ligue d’athlétisme de l’Atlantique et à Louis Pichereau, président du comité régional de l’Atlantique de la Fédération française de natation.

Naissance de Stella-Sports

Un comité provisoire de femmes (et d’hommes) y souscrit, où l’on trouve des noms connus : Mmes Bois, Canonne, Cailleau, Filiâtre, Peyret, Cesbron, Cornec, Derouin, Evers…, Mlles Dominé (directrice du collège de jeunes filles), Sarthou, Quinon, Chaput, Cesbron, MM. Duru, Joubert, Moreau, Bouvet, Jaham-Desrivaux, Victor Dauphin, Durbecé… Une initiative « enfin couronnée de succès », écrit V. Dauphin dans son compte rendu. Filiâtre l’a souligné dans son discours d’ouverture : « Si, à Angers, on prétend avec une outrancière conviction que rien n’est possible, il se trouve que tout est à faire et le résultat obtenu en est la preuve. » Il remercie toutes les personnes qui ont concouru à la « mise en train difficile » et particulièrement le banquier Paul Fortin qui a mis à la disposition du club son beau terrain de la rue Saint-Lazare, le stade du Crédit de l’Ouest. Par un vote à main levée, l’assemblée choisit le nom du club parmi les trois proposés : Stella-Academia-Femina. Ce sera Stella-Sports. La composition du conseil d’administration, encore provisoire, est donnée par « Le Petit Courrier » du 7 mai. Un conseil entièrement féminin, présidé par Mlle Dominé, à l’exception du poste de secrétaire, attribué à Louis Pichereau et des fonctions de directeur sportif qui reviennent à E. Filiâtre.

Pourquoi créer une société sportive féminine ? Les objectifs sont explicites. « Les femmes françaises doivent devenir encore plus aptes à leur rôle capital, assure E. Filiâtre : celui de mère. » Dans une lettre ouverte sur les sports féminins, parue dans le journal « L’Ouest » du 14 juin 1922, le docteur Louis Barot, fidèle soutien de Stella-Sports, assure que « de la valeur physique de la femme dépend le sort de la race de demain et le sort de la patrie… Il nous faut des femmes fortes physiquement et organiquement, parce qu’il nous faut des femmes fortes moralement et que l’un suit l’autre… ». La guerre et ses conséquences sont bien présentes.

Disciplines pratiquées

Alors quels sports féminins pratiquer ? Des jeux « astucieusement choisis et adaptés aux femmes », écrit le docteur Barot : la culture physique en tout premier lieu, les danses rythmiques (réglées par le grand maître à danser Letournel) où la grâce féminine trouvera à s’exprimer, l’athlétisme, le tennis, la natation, les jeux de ballon, le tir à l’arc, le hockey… Dans les jeux de ballon, l’hazena surtout – handball –est privilégié, moins difficile que le football. Les coups de tête, de pied, de genou, tous les mouvements brutaux en sont exclus. Victor Dauphin encourage particulièrement la pratique du hockey, « un de ces exercices sportifs qui demande de la vitesse, de l’entrain, de l’adresse et beaucoup plus d’intelligence que l’on croit. Il convient parfaitement à la femme parce qu’il n’exige pas d’efforts exagérés pour elle » (« Le Petit Courrier : La femme et le sport », 1er mars 1926). Chaque activité a sa tenue que les jeunes sportives peuvent se procurer chez Robert Bouvet, à Athlétic-Sport, rue du Mail : maillot blanc, foulard et culotte noires pour le ballon ; maillot et courte jupe plissée blancs pour le hockey ; tunique blanche pour les danses et sur le tout, une étoile noire sur le blanc ou blanche sur le noir portant un S brodé. L’étoile symbolise l’espoir de voir la jeune association grandir. 

Qui s’inscrit à Stella-Sports ? Une poignée de jeunes filles seulement. En juin 1922, elles ne sont encore que quarante. Le docteur Barot leur demande de se mettre en campagne pour faire des émules : « Osez, mesdemoiselles… Les citoyens angevins et les mères de famille sont tous avec vous…, mais les unes et les autres ne savent pas que vous existez… ». Le club ne touche d’ailleurs que la classe aisée. Les journaux parlent « d’auditoire sélect » lors de l’assemblée constitutive, « d’élégante assistance » lors de la première réunion d’entraînement au stade du Crédit de l’Ouest, le 1er mai 1921. Les cotisations, d’ailleurs réduites en septembre 1922, sont réparties suivant les trois sections de la société : Minimes (13-16 ans), 12 francs par an ; Juniors (16-19 ans), 18 francs par an ; Seniors (au-dessus de 19 ans), 24 francs par an. À quoi s’ajoute un droit d’entrée fixé à 6 francs pour la première catégorie, à 10 francs pour les deux autres.

Concurrence des sociétés catholiques

Quand l’Église a pris conscience de l’influence qu’elle pouvait exercer sur les jeunes filles par les activités sportives, se sont développées des sociétés catholiques de caractère plus populaire, à cotisation faible et disciplines proposées peu onéreuses. Le mouvement est assez tardif. La première société – les Ursulaires - a vu le jour en juillet 1938 seulement, suivie par les Abeilles du Ronceray en juin 1939, puis par la Relève. Toutes trois se sont affiliées au Rayon sportif féminin diocésain de l’Anjou, créé en 1938. 
 

Avant la Seconde Guerre mondiale, le sport féminin reste peu développé, qu’il soit catholique ou laïque. Malgré de nombreux appels dans la presse, invitant toutes les jeunes filles des écoles, bureaux, magasins ou ateliers à « venir le dimanche matin se rendre compte de ce que sont les sports féminins, judicieusement appliqués et la culture physique rationnelle », Stella-Sports ne réussit guère à augmenter ses effectifs. À la fin des années trente, en 1938, une deuxième société se crée : Femina-Club, présidée par Mlle Cambell, première femme chirurgien-dentiste à Angers et future résistante. Les activités qu’elle propose sont classiques : course à pied, hockey, basket, natation et gymnastique. 

On ne la retrouve plus après la guerre, mais une autre société laïque pratique la gymnastique féminine : Angers-Gymnique. Quant à Stella-Sports, elle existe encore en 1947, puis se fond dans le Club Sportif Jean-Bouin (CSJB). Du côté des sociétés catholiques, le Rayon sportif féminin regroupe six sociétés en octobre 1951 : les Abeilles de la Doutre, les Gazelles (Saint-Antoine), les Lutins (Saint-Serge), les Libellules (Sainte-Thérèse), Marguerite-d’Anjou (cathédrale) et la Relève. Quelques mois auparavant, la liste présentait une variante : pas de Gazelles mais les Ailes angevines. En 1958, le Rayon sportif féminin peut présenter 2 000 jeunes filles lors de son grand festival gymnique au stade Bessonneau.