Débuts de la démocratie participative

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 447, juin 2022

Mieux associer les habitants à la vie locale, aux décisions politiques, l’idée de démocratie participative s’est développée depuis la fin des années soixante. On peut en voir les prémices assez loin dans le temps. À Angers, l’affaire de la reconstruction du théâtre, détruit par un incendie dans la nuit du 4 au 5 décembre 1865, soulève les passions. Quel est le meilleur emplacement ? « Nous assistons, écrit Ernest Mourin, futur maire de la ville, depuis quatre mois à un mouvement dont pour ma part je me réjouis fort. Les citoyens si longtemps tenus dans l’ignorance et comme désintéressés de leurs affaires, s’en préoccupent, étudient, échangent leurs appréciations. […]  J’y vois surtout l’heureux symptôme du réveil de cet esprit communal qui, en d’autre temps, a fait de très grandes choses et qui peut être le salut de l’avenir. » (« Quelques notes sur l’emplacement du théâtre » et journal « L’Union de l’Ouest », 7 mai 1866).

Le « selfgovernment »

Quelques mois auparavant, le 16 décembre 1865, le rédacteur en chef du même journal est presque allé jusqu’à employer le terme de « démocratie participative » : « Cette pacifique agitation nous paraît excellente, car, partisans comme nous le sommes du « self government », ou en français, de la participation directe des citoyens au maniement de leurs affaires […], rien n’est plus déplorable à nos yeux que de voir une ville ou un pays […] demeurer indifférents et abdiquer leurs droits, leur volonté et leur initiative sous prétexte qu’il est plus doux de ne rien faire et de dormir. »

Encore fallait-il que les citoyens soient informés des activités et décisions de leur conseil municipal, ce que fait remarquer un lecteur de « L’Union de l’Ouest » du 28 mai 1866 : « Privés de la publicité officielle des délibérations du conseil municipal, nous en sommes réduits à n’apprendre que fort tard le résultat des discussions de nos honorables commettants. Il est regrettable que nous ne soyons pas mis à même d’apprécier la part de chacun dans les diverses solutions qui intéressent la ville […] ». Il faut attendre 1877 pour que les délibérations du conseil soient imprimées et 1904 pour qu’elles puissent être vendues à ceux qui veulent s’informer.

Rencontres de quartier

C’est la municipalité radicale-socialiste du docteur Barot, élue en 1912, qui invente en quelque sorte les rencontres de quartier. Le maire s’efforce de faire de la pédagogie. En avril 1913, invité par le comité des fêtes de la route de Paris, il expose projets et décisions. La presse conservatrice lui reproche ces nouvelles méthodes, que soutient le journal « L’Ouest » (10 avril 1913) : la municipalité « fait tout au grand jour. Chaque fois que l’occasion s’en présente, elle met les électeurs au courant de ses faits et gestes. Elle les initie aux affaires de la ville. Elle recherche leur avis et provoque leurs observations. »

Un « référendum »

Ces initiatives tournent court. Au lendemain de la guerre, quoiqu’empêtrée dans l’affaire de l’emplacement du monument aux morts, la municipalité Bernier n’a pas l’idée de faire appel aux Angevins. La presse prend les devants. Le 19 février 1921, « Le Petit Courrier » publie les trois questions de son concours : « Où placeriez-vous le monument à élever aux Enfants de l’Anjou morts pour la Patrie ?, Combien recevrons-nous de réponses ? Combien de suffrages obtiendra l’emplacement qui aura été le plus souvent désigné ? » Les résultats sont publiés le 10 mars sous le titre : « Notre concours référendum ». 3 195 personnes y ont pris part. L’entrée du jardin du Mail obtient le plus grand nombre de voix (923). Cette initiative paraît n’avoir sur le moment aucune influence, mais cet emplacement est finalement adopté en septembre, sur proposition du maire.

Participer

Peu à peu, la démocratie participative va faire son chemin. Lors des élections municipales de 1953, la liste d’action municipale, sociale et familiale de Jean Sauvage propose, par la voix de Prosper David, de créer des commissions extra-municipales, composées de personnes compétentes, non élues, qui continuent à défendre les intérêts de la cité après les élections. Même si la liste n’est pas victorieuse, c’est un jalon. En septembre 1970, dans une interview à « Inter Magazine », le maire Jean Turc affirme son désir de voir la population « participer » à l’avenir de sa ville. Le « mot de participation a été utilisé pour désigner tout et rien, dit-il dans une délibération du 22 décembre 1969. C’est pourtant lui qui traduit l’aspiration profonde de nos concitoyens. »

Les réalisations de la municipalité Turc en ce domaine sont détaillées dans une note*, réponse à une enquête menée par le Conseil de l’Europe en 1974-1975 sur « la déconcentration intra-municipale et l’organisation de la participation du citoyen à la vie publique locale ». Les expériences les plus intéressantes associent, au sein d’organismes spécifiques, des élus, des techniciens, des représentants de l’administration et des usagers. Trois lieux de concertation sont spécialement cités : l’Office municipal des sports, créé en 1966 ; l’Association de recherche pour l’animation sociale et culturelle de la ville d’Angers (ARASCA), constituée par délibération du 22 décembre 1969 et l’Agence d’urbanisme de la région angevine (AURA), développée à partir de 1970. D’autres exemples sont donnés, comme la participation directe des usagers à l’administration des centres de loisirs et des crèches familiales, la concertation entre la Société d’équipement de Maine-et-Loire et les habitants d’un quartier, la réalisation d’un équipement intégré autour du nouveau collège de la Roseraie, la création de centres de soins dans les quartiers…

Du concret

« Ces quelques exemples, poursuit la note, n’épuisent pas la liste qui pourrait être établie. Ils tendent seulement à confirmer l’existence à Angers d’un certain nombre de réponses originales à la question de la participation du citoyen aux affaires de la cité. » Il est souligné en conclusion que « la participation souhaitée demande à s’appliquer, dans une première phase au moins, à des sujets précis et si possible concrets. C’est ce qui peut expliquer le demi-échec et l’abandon des premières tentatives en la matière, il y a quelque dix ans, sous forme de commissions extra-municipales (de la jeunesse, de l’urbanisme). Mais sans doute ont-elles préfiguré les formes actuelles et ponctuelles d’association des Angevins à la gestion et au développement de leur ville. »

Vingt-cinq ans plus tard, lorsque l’État entend approfondir la démocratie locale par la loi Vaillant du 27 février 2002 dite « démocratie de proximité », les Angevins connaissent la voie : comité d’usagers du CCAS, participation au cahier des charges initial des opérations de renouvellement urbain, rencontres de quartier, commissions cadre de vie dans les quartiers, comités locaux du contrat de ville...

Conseils de quartier

La loi Vaillant formalise les conseils consultatifs de quartier et les rend obligatoires pour les villes de plus de 80 000 habitants. Ils pourront formuler avis sur les projets municipaux et propositions pour améliorer la vie dans le quartier. Dix « CCQ » sont installés à Angers entre avril 2003 et mai 2004. Nouvelle formule en 2011, avec des « conseils de quartier », dont l’assemblée annuelle est ouverte à tous les habitants ; en 2015 où les nouveaux conseils ne comportent plus de représentant de la municipalité ; en 2018, avec des conseils citoyens pour six quartiers prioritaires. Depuis 2021, Angers compte toujours dix conseils de quartier, mais les conseils citoyens des quartiers prioritaires sont fusionnés en un seul pour plus d’efficacité. Nouveauté importante : chaque conseil pourra inscrire à l’ordre du jour du conseil municipal, une fois par an, un sujet lié à la vie du quartier. Ainsi s’améliore et progresse la démocratie participative.

*Archives patrimoniales Angers, série D, correspondance municipale.