Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, Conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 432, été 2020
Projet de clubs de loisirs en 1936 ; maison des jeunes sous Vichy ; création de la République des Jeunes en 1944, puis de la Fédération française des maisons des jeunes et de la culture (FFMJC) en 1948 : la jeunesse est au centre des préoccupations des militants et des gouvernements. À partir de 1959, l’essor des MJC est fulgurant : le secrétaire d’État à la Jeunesse et aux Sports du général de Gaulle, Maurice Herzog, les présente aux maires comme un remède face à la montée de la violence urbaine et des « blousons noirs ». Elles étaient 200 en 1958 : elles sont 505 en 1964, près de 1 200 en 1968.
À Angers, les jeunes de moins de 24 ans représentent 30,2 % de la population en 1961, près de 40 % en 1966. L’expansion démographique est forte, la cité est jeune. Pendant quelque temps après la Libération, le Grand-Cercle, sur le boulevard de Saumur (boulevard du Maréchal-Foch), tient lieu de foyer pour les mouvements de jeunes. À partir des années cinquante, des foyers, laïques ou religieux, se créent dans différents quartiers de la ville : foyer des jeunes de la Blancheraie, Bernard-Lecoindre pour le quartier Saint-Joseph, de l’Église réformée, de la paroisse Saint-Paul à Verneau, de Belle-Beille… Ils n’ont pas l’ambition d’une Maison des jeunes et de la culture, les activités dirigées sont moins développées.
Création d’une association angevine des MJC
En octobre 1963, des Angevins se réunissent autour de Masquelier et Hoyet pour fonder une association des Maisons des jeunes et de la culture sur le modèle préconisé par la FFMJC. Les statuts sont publiés au Journal officiel du 20 décembre. Pour concrétiser la « Maison », il faut des locaux. Le 3 juillet 1964, le maire Jean Turc accorde un local provisoire, chemin des Musses, à l’angle de la rue Eblé, d’ailleurs non loin du domicile de Pierre Masquelier. C’est une maison qui doit être démolie, se trouvant sur l’emprise du futur boulevard Charles-Barangé. En attendant, elle peut être utile « au développement des buts sociaux, corporatifs, d’intérêt communal » que poursuit l’association (délibération du conseil municipal, 5 octobre 1964).
La première MJC provisoire ouvre en novembre 1964 et rencontre immédiatement le succès. Comme l’indique la Fédération française des MJC, c’est un « banc d’essai des citoyens », une « République des jeunes ». Elle accueille à la fois des adolescents et des adultes, des étudiants et des travailleurs. Ce sont ces possibilités de contacts qu’apprécient les jeunes. Par rapport aux foyers, la MJC permet à la fois des activités de détente et des activités culturelles multiples. C’est aussi une école de responsabilisation. Et les jeunes usagers ne s’y trompent pas : il vaut mieux deux ou trois maisons qu’une seule très importante. La MJC idéale doit compter moins de 500 usagers.
L’Arceau sort du chapeau
Les projets de l’association rencontrent une oreille attentive de la part d’une municipalité soucieuse de la formation et du bien-être de la jeunesse angevine. La maison du chemin des Musses est remplacée à l’automne 1966 par une autre demeure, plus vaste, rue de Frémur (actuelle rue du Maréchal-Juin). Mais une seule MJC, c’est trop peu. Celle de Frémur sera réservée au sud de la ville, où se développe un nouveau quartier très étendu, la Roseraie. Pour les quartiers situés à l’est, le président de l’association obtient la splendide propriété de l’Arceau, achetée par la Ville en 1957. Dès le début, il a su convaincre le maire, qui présente le 16 décembre 1963 aux élus de son conseil, surpris, un projet tout ficelé de MJC à l’Arceau. Un conseiller observe que le dossier est passé en commission des finances sans avoir été inscrit à l’ordre du jour. Un deuxième se plaint que les différentes commissions municipales ont étudié un projet d’auberge de jeunesse et qu’au lieu de cela, il est présenté un projet de MJC pour lequel l’architecte n’a eu que cinq jours d’étude ! Ce qui fait craindre une estimation financière un peu faible par rapport à la dépense définitive. Jean Sauvage est mécontent que tout se soit passé avant que le conseil ait été informé. Le projet n’est pas venu à l’ordre du jour de la commission d’architecture du 20 novembre. « Il paraît même que le directeur est trouvé depuis quelque temps. »
Le maire doit se justifier. Il met en avant « la possibilité, très rapidement, de faire admettre cette opération qui s’avère d’un très grand intérêt, car il y a des problèmes de jeunes sur Angers et plus spécialement sur l’est d’Angers qui nécessitent un équipement de ce genre ». Ce qui fâche surtout les élus, c’est qu’un « foyer de jeunes principal » était inscrit au plan triennal et qu’en présence de ce nouveau projet, il ne verra pas le jour avant un certain nombre d’années. Le projet de l’Arceau est trop cher et la dépense mal définie. Il vaudrait mieux avoir dix projets moins importants, mais répartis un peu partout dans la ville. À quoi le maire répond : « C’est un démarrage que je crois indispensable. » Le projet est finalement voté, mais sous le libellé « Maison de jeunes » sans l’adjectif « principale » et limité à une dépense de 200 000 francs sur une estimation de 301 887 francs.
Un équipement complet
Les travaux se déroulent sur trois ans, de 1964 à 1967, mais la MJC ouvre dès octobre 1965, au milieu du chantier. À plusieurs reprises, des demandes de crédits supplémentaires arrivent devant le conseil municipal, pour la toiture, la charpente et les planchers, la clôture et l’aménagement du parc, à tel point qu’un conseiller, Roger Mattéi, demande une visite de ces « coûteuses installations ». Certainement plus coûteuses que celles de la MJC de Frémur, où, suivant les principes des maisons des jeunes, les travaux ont été effectués – du moins ceux d’aménagement et de décoration - par les utilisateurs eux-mêmes.
Malgré ces aléas, la MJC de l’Arceau, dans son château, reste la première d’Angers à bénéficier d’un équipement complet. Elle devient d’ailleurs le siège social de l’association des MJC angevines. Comme l’indique l’avant-projet présenté au conseil municipal du 16 décembre 1963, le rez-de-chaussée abrite « direction, hall d’accueil pouvant servir de salle d’exposition, affichage, grande salle de jeux calmes (échecs, dames, cartes, cinéma à l’occasion). En communication directe : salle de TV, foyer, salle commune, atelier de travaux manuels (fer, bois, modèles réduits), atelier polyvalent (poterie, vannerie, reliure..., petit laboratoire photo) ». Au premier étage se trouvent un « foyer féminin, salle d’activités féminines (coupe, couture...), salle de lecture, bibliothèque, discothèque, salle de cours, de réunion »... Le bâtiment secondaire, derrière le château, est « réservé aux activités bruyantes », judo, sports de combat, ping-pong, danse et spectacles. Les utilisateurs peuvent bénéficier des équipements voisins du stade de l’Arceau.
Première maison des jeunes, mais non dernière. La municipalité complète son programme, puisqu’on l’avait accusée de favoriser les quartiers de l’est, en utilisant à la fois l’outil des MJC et celui des foyers. Une nouvelle MJC est construite à Monplaisir, près de la salle omnisports, en 1967-1968. Un programme de foyers de jeunes est étudié. Celui de Verneau, inauguré le 30 mars 1968, est le plus abouti. Trois s’inscrivent dans l’opération lancée en 1967 par le ministère de la Jeunesse et des Sports, « Mille Clubs de Jeunes » : à Belle-Beille, rue du Docteur-Guichard, au Grand-Pigeon. Celui de Belle-Beille devient une MJC en 1972. C’est aujourd’hui le Centre Jacques-Tati.