Premières salles d'exposition

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 448

À Paris, les premières expositions de peinture et de sculpture sont installées dans les palais royaux : Palais Royal en 1673, Louvre depuis 1682. Les expositions des « produits de l’industrie » à partir de 1798 sont hébergées dans des espaces publics, Champ de Mars, Champs-Élysées…, ou au palais du Louvre. C’est là que sont ouvertes au public les premières salles d’exposition permanentes en 1793.

Premières expositions : horticulture et arts

À Angers, le Muséum de l’École centrale de Maine-et-Loire ouvre au public ses salles d’exposition permanente le 5 mai 1801. Il n’est pas alors prévu d’expositions temporaires et il ne s’en tiendra pas au musée avant 1949. Les premières expositions concernent l’horticulture, en plein développement à Angers dans les années 1800-1830 et sont dues à deux sociétés savantes qui viennent de se constituer : la Société d’agriculture, sciences et arts, en 1828 et la Société industrielle, en 1830. Pour leurs manifestations, elles utilisent les salles de réception des bâtiments officiels. Ainsi s’ouvre, organisée par la Société d’agriculture, la première exposition d’horticulture, lors de la Fête-Dieu 1831, dans les salles de l’hôtel de ville. En 1833, l’exposition se tient dans le cloître de la préfecture, mais l’année suivante, la Société souhaite revenir dans la grande salle de l’hôtel de ville, les lieux ayant servi jusque-là n’étant « pas convenables pour la conservation des plantes ». Devant le refus du maire – en dehors de la salle du conseil, la municipalité ne dispose que de cette salle pour ses réunions – l’exposition d’horticulture n’a pas lieu en 1834.

De son côté, la Société industrielle est à l’origine de la première exposition des produits de l’industrie en 1835, sur le modèle de celles de Paris. Elle se tient dans les salles de la préfecture. 141 exposants y prennent part. Autre première la même année : l’exposition de peinture ouverte en novembre à l’hôtel de ville grâce à la Société d’agriculture, sciences et arts. 174 tableaux sont présentés, provenant d’amateurs des trois départements de Maine-et-Loire, Sarthe et Mayenne. « La première impression que l’on éprouve en entrant dans les salles de la mairie, note le « Journal de Maine-et-Loire » du 16 novembre, celle que nous avons surprise sur tous les visages, est sans contredit un mélange d’étonnement et de satisfaction. »

Succès renouvelé en mai 1839 où la même société donne à voir, cette fois dans les salons de la préfecture, une importante exposition de plus de 2 000 objets et tableaux anciens. Le souvenir de cette manifestation exceptionnelle, où l’on pouvait admirer aussi bien des peintures de Raphaël, du Caravage, de Ribera ou de Largillière que des antiquités égyptiennes, a été fixé dans un catalogue publié en 1849 par Victor Godard-Faultrier et illustré par Peter Hawke.

Au jardin fruitier

À partir de 1838, les expositions d’horticulture se déroulent sous des tentes au jardin fruitier, un jardin école et d’expérimentation aménagé dans l’ancien jardin du Muséum par la Société d’agriculture. Désormais, la section horticole des expositions quinquennales industrielles et artistiques se tient à cet endroit avec le concours de la Société industrielle. Ce qui n’exclut pas l’organisation d’autres expositions horticoles ailleurs dans la ville. En avril 1839, la Société industrielle fait événement en exposant fleurs et autres produits de l’horticulture au jardin des Plantes, dans l’ancienne chapelle Saint-Samson. Bien vite toutefois l’édifice retourne à son état de resserre.

Les expositions d’horticulture restent au jardin fruitier et permettent de libérer de l’espace pour les autres sections des expositions quinquennales. En 1858 cependant, les salles de la préfecture se révèlent trop étroites et l’on décide de transférer les expositions au Champ de Mars, face à l’hôtel de ville. Désormais, à chaque manifestation – en 1858 - 1864 – 1877 – 1895 – 1906 - des tentes, des palais éphémères sont élevés. En 1877, le palais de justice inachevé est converti en lieu d’exposition, ce qui évite la construction d’un trop grand nombre de bâtiments provisoires. Les plus « grandioses » voient le jour pour l’exposition de 1906, sous la houlette de Vigé, entrepreneur concessionnaire spécialisé dans ce genre d’événement.

Projets de palais des beaux-arts

Quand la Société des amis des arts est créée en 1889, le besoin de salles d’exposition moins provisoires se fait sentir. Pour atteindre son but de « décentralisation artistique » et de développement des arts en Anjou, la société organise des expositions annuelles d’artistes vivants, classés en deux sections, beaux-arts et arts industriels. Il lui faut pour cela disposer d’une salle attitrée. Elle loue d’abord un bâtiment place Lorraine, à la grande baie thermale, bâti pour un photographe. Contrainte de déménager, elle retrouve avec difficulté des galeries d’exposition rue Cordelle, dans l’ancien marché couvert ouvrant sur la rue Lenepveu (1899-1904). Des locaux insuffisants et dépourvus de charme que la société veut au plus vite quitter.

Diverses combinaisons sont imaginées pour doter Angers de salles d’exposition. En 1897, l’architecte Adrien Dubos conçoit un vaste palais des beaux-arts, une « sorte d’athénée », pour loger non seulement la Société des amis des arts, mais toutes les branches des arts que cultive la ville, dont le théâtre. Il devait être construit au jardin fruitier, dans le prolongement du musée des Beaux-Arts. Trois ans auparavant, l’architecte Auguste Beignet avait imaginé reloger l’école des beaux-arts dans l’ancienne cour d’appel, place des Halles (actuels bâtiments du Muséum et de la Direction des Ressources humaines de la Ville, place Louis-Imbach). Il reprend son projet en 1903 : la Société des amis des arts y aurait un vaste hall d’exposition dans la cour intérieure couverte d’une verrière.

Au même moment, Émile Gilles-Deperrière, président des Amis des arts, fait part d’une autre idée. Il projette d’installer sa société à côté de l’hôtel de la Godeline, dans un bâtiment nouveau construit à côté de l’ancien, dévolu pour sa part à l’école de musique. Le nouveau bâtiment abriterait un magasin au niveau du sol de la cour et une grande salle au-dessus, dite salle David-d’Angers, pouvant servir de salle d’exposition et de théâtre.

La salle Chemellier

Finalement les Amis des arts trouvent un arrangement avec la Ville qui leur loue une partie de l’hôtel de Chemellier, près de la mairie. La société fera couvrir la cour centrale d’une verrière, établira une nouvelle galerie au-dessus des remises des sapeurs-pompiers, utilisera la galerie existante, ainsi que les deux salons du premier étage. Comme elle s’engage à prendre à sa charge tous les frais et qu’elle laissera, à l’expiration de sa concession, toutes ses nouvelles installations à la Ville, le conseil municipal adopte très libéralement ces dispositions le 28 avril 1904. L’installation devait être provisoire, en attendant la construction du bâtiment envisagé près de la Godeline. La cohabitation obligée avec le service des sapeurs-pompiers ne plaisait pas beaucoup.

Le premier salon des Amis des arts ouvre le 26 janvier 1905 et c’est un succès. La cour de l’hôtel de Chemellier est adoptée. Elle est vite appelée « salle Chemellier ». Ce qui devait être provisoire se poursuit en une longue succession de salons annuels de peinture et de sculpture, à l’exception de l’interruption des années 1940-1950, jusqu’à la fin des années 1960. À cette époque, Angers se cherche toujours des salles d’exposition. Elle en trouve au Centre de congrès, inauguré en 1983 ; au parc des Haras, en 1984. De son côté, la foire-exposition, héritière des expositions du XIXe siècle, quitte en 1985 la place La Rochefoucauld où elle a élu domicile depuis 1936, pour s’installer au tout nouveau Parc des expositions. Quant à la salle Chemellier, elle a continué sa carrière de salle d’exposition – très fréquentée - jusqu’à ce qu’elle soit, en 2014, transformée en bureaux pour le Centre communal d’action sociale, désormais locataire de l’hôtel entier.