Le premier héros de BD angevin

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 440

La bande dessinée est aujourd’hui le neuvième art et, depuis 1999, Angers lui consacre un festival. Bien avant, de 1946 à 1968, la ville et le département ont eu leur propre héros de BD : Monsieur Mouche. Un héros issu de la presse régionale où ont été créés un certain nombre de personnages de papier. Aucun n’a obtenu un si grand succès.

Le 1er août 1946, « Ouest-France » lance Lariflette. Le 2, « Le Courrier de l’Ouest » présente Monsieur Mouche. Son père est né en Bourbonnais, au Mayet-de-Montagne et a fait ses études à l’école des beaux-arts de Clermont-Ferrand. Il est à Paris quand il envoie un dessin au « Courrier de l’Ouest ». Le dessin plaît. Il est signé « Rab », son nom de guerre dans la Résistance, initiales de Robert Armand Baillet, alors qu’il s’appelle en réalité Armand Robert Godet. Pourquoi Baillet ? Une simple invention. Le dessinateur et son épouse s’installent à Angers, définitivement en 1951.

Un héros bien sympathique

Rab anime déjà deux bandes dessinées dans le quotidien régional angevin : « Simplet », depuis le 13 juillet 1946 et « Bab et Bibo » pour les enfants, le jeudi. « Les aventures de Monsieur Mouche » paraissent de façon irrégulière, parfois tous les jours, parfois tous les deux, trois ou quatre jours. Elles mettent en scène un petit bonhomme rond, chauve, vêtu d’une jaquette et d’un chapeau melon, caractérisé surtout par sa minuscule taille, à l’origine de toutes sortes de gags. Les BD sont soit muettes, soit à bulles. On peut estimer qu’il en est paru environ 2 500. Le succès est tel que la série ne s’arrête qu’en 1963, pour reprendre quelque temps en 1968, du 14 septembre au 4 décembre.

 

La popularité du héros lui vaut d’être, de 1959 à 1966, le sujet principal du supplément offert aux enfants tous les jeudis et intitulé : « Le Courrier des jeunes », avec pour sous-titre, « Le Journal du club des amis de M. Mouche ». Le club est créé pour les moins de quinze ans en 1959. Le 8 octobre, il compte déjà cinq mille adhérents, 47 500 début juin 1960 ! Comme le père Noël, Monsieur Mouche reçoit un courrier de ministre. Grâce à lui, « Le Courrier de l’Ouest » devient le journal le plus lu de la région angevine. Rab a la plume facile. Il invente d’autres aventures, mettant en scène Poupou, un bébé qui fait des bêtises ; Valentin le joyeux lapin ; Les Compagnons du Badaboum.

« Produits dérivés »

Plusieurs albums paraissent, cinq au moins, entre 1946 et 1958 : « Les Aventures de Monsieur Mouche » (fin 1946), « Mouche continue » (1947), « Mouche exagère ! », « Mouche et le Trésor » (1950), « Mouche dans la lune » (1958). Des jeux sont édités. « Jeu de Mouche », sur le modèle du jeu de l’oie, jeux de cartes, albums à colorier ou pour apprendre à dessiner (« Je fais des bonshommes, l’album du professeur Mouche », publié en 1952). On en fait des marionnettes, des jouets. En 1947, la société Inov, route de Nantes, crée un M. Mouche suivi de son petit chien, sur roulettes. La renommée du personnage s’étend en dehors de la région et même à l’étranger, grâce à Graphic Service, l’agence de presse créée et dirigée par Mme Godet pour diffuser l’œuvre de son mari. Monsieur Mouche est ainsi vendu aux journaux « L’Aube », « La Charente libre », « Le Maine libre », « La Liberté de l’Est », « Les Dernières Nouvelles du Haut-Rhin », « Nord-Éclair », à des quotidiens de Belgique, d’Algérie et de Tunisie…

 

La mascotte du « Courrier de l’Ouest »

Mais ce qui porte le succès au paroxysme, à une véritable « Mouche mania », c’est le passage du personnage de papier à la réalité. L’incarnation du héros par René Guinoiseau, cultivateur angevin de petite taille, qui se grime pour lui ressembler, a été une idée de génie, très tôt mise en œuvre. Il est déjà présent à la foire-exposition de juin 1947 et les Archives patrimoniales d’Angers conservent une de ses photographies, prise à Chemillé, le 2 septembre 1948. Dès lors, il est de toutes les kermesses, de toutes les foires. Il sillonne tout le département, déplace les foules. C’est la mascotte du « Courrier de l’Ouest ». Célestin Coupé, inspecteur des ventes du journal, est son impresario ; Francis Bédas, l’animateur de ses célèbres jeux.

Bien après l’arrêt de la bande dessinée, la longévité du personnage est remarquable. On le retrouve encore présent à la foire-exposition de 1976, au concours de dessins d’enfants de la rue des Lices, en juin de la même année. Quand René Guinoiseau décède en décembre 1989, les souvenirs sont tout de même un peu brouillés. On croit alors (article du « Courrier de l’Ouest », 23 décembre 1989) que c’est le personnage réel qui a suscité la création du héros de bande dessinée. Renversement de l’histoire.