Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 467, décembre 2024
Depuis le Second Empire, le nombre de jardins publics à Angers n’a cessé d’augmenter. Leur gestion est rattachée en 1929 au service de la Voirie, sous la direction d’un conducteur des ponts et chaussées, promu au grade d’ingénieur : Jean-Baptiste Dupic. Lors de son départ à la retraite en 1938, il est remplacé par un jeune ingénieur issu de l’École nationale d’horticulture de Versailles : Arthur Dandalle. C’est un Picard, au caractère affirmé, né le 18 octobre 1899 à Longpré-les-Corps-Saints, dans la Somme. On pourrait dire qu’il a les jardins dans ses veines, car son père est jardinier chef des Palais nationaux à Rambouillet, puis à Trianon. Ce qui lui permet d’être embauché aux jardins de Trianon pendant quelque temps comme apprenti ouvrier en 1914-1915. Malheureusement ses parents décèdent très tôt, le laissant orphelin en 1918. Il est alors engagé volontaire depuis le 16 janvier, au 31e régiment d’infanterie. Après ses études, il est ingénieur horticole à Biard, près de Poitiers.
Un concours exigeant
Arthur Dandalle arrive donc à Angers le 1er mai 1938, recruté à titre provisoire comme conservateur des cimetières. Après huit mois de probation, la Ville songe à le nommer directeur des Jardins, Promenades et Cimetières. Ce ne sera pas une simple formalité ! Pour la première fois, un concours est organisé. Certes, il n’y a qu’un seul candidat, mais les épreuves comme le jury sont de grand calibre… Le jury est présidé par Louis Germain, un Angevin, directeur du Muséum national d’histoire naturelle de Paris. Il est assisté de Duprat, architecte paysagiste à Paris, professeur à l’École nationale d’horticulture et de Fauh, directeur de cette même école. L’examen s’étend sur deux jours, les 19 et 20 décembre 1938. Première épreuve à 9 h : la création d’un verger d’étude et de démonstration. À 14 h, le candidat est invité à identifier des échantillons de végétaux d’ornement utilisés pour la décoration des jardins. Puis il doit préparer une conférence destinée à une société d’horticulture sur la décoration florale des jardins publics par les plantes annuelles, bisannuelles et vivaces. On lui remet ensuite le sujet de l’épreuve pour laquelle il disposera de 18 h de préparation libre : rédiger un projet de square-jardin d’enfants, avec esquisse, rapport verbal appuyé de renseignements écrits et devis descriptif. L’épreuve de mathématiques est fusionnée avec ce projet de jardin. L’impétrant devra établir des profils en long et en travers, exposer sa méthode de calcul pour l’évaluation du cubage des remblais et déblais. À l’issue de ce marathon d’épreuves, il obtient une moyenne de 16,2 et les félicitations du jury « pour la manière brillante dont il a passé les diverses épreuves ». Appréciant son titre d’ingénieur horticole, ses aptitudes personnelles et la valeur de ses travaux antérieurs, celui-ci propose sa nomination au poste de directeur des Jardins, Promenades et Cimetières de la Ville d’Angers. Ce qui est entériné par un arrêté du maire du 29 décembre, qui le rattache, suivant l’organisation des services de la mairie, à la Voirie.
Un contexte peu favorable
Dès avant sa nomination, quoiqu’affecté seulement aux cimetières, il avait dû redessiner les plans du square du musée Saint-Jean et rédiger le programme de travaux du service des Jardins. Après sa nomination, son premier important dossier concerne la reprise du projet de création d’un fleuriste municipal. Pour le fleurissement de ses parterres, Angers ne possède que quelques mauvaises serres au jardin des Plantes. Si la Ville veut « détourner à son avantage une partie du grand mouvement touristique qui se manifeste en France », comme l’indique Dandalle à la 4e commission du conseil municipal le 25 janvier 1939, il faut adopter une autre organisation. Et de citer quelques chiffres comparatifs : Rennes, 28 ha de jardins, 19 km d’avenues, 4 600 arbres, 59 agents. Angers, 23 ha, 25 km d’avenues, 8 200 arbres, 23 agents… Encore le parc Saint-Nicolas, en dehors du parc de la Garenne, n’est-il pas compris dans les surfaces. On voit donc que Rennes, pour le même volume de travail, possède un effectif de jardiniers deux fois et demi plus élevé. Conclusion d’un adjoint au maire : « Nous sommes actuellement une des villes de France qui font le moins pour leurs jardins. »
Arthur Dandalle n’aura de cesse d’y remédier, pour inscrire Angers parmi les villes les plus fleuries de France. Il n’aura de cesse aussi de conquérir son indépendance par rapport à la Voirie. Longtemps, on l’a considéré comme un « jardinier » que l’on ne consultait qu’après exécution des projets. Il a dû se battre continuellement pour faire entendre sa voix. Un paysagiste municipal à Angers, ce n’était pas ordinaire. À telle enseigne que l’aménagement des parcs de l’étang Saint-Nicolas avait été confié au paysagiste parisien René-Édouard André. Jusqu’au décès de celui-ci en 1942, Dandalle n’a pas eu son mot à dire : André travaillait avec l’ingénieur en chef directeur de la Voirie.
Avoir un service à part entière
Dans un rapport à ce dernier du 28 mai 1941, il demande donc la séparation effective des services des Jardins et de la Voirie. Décidée en 1939, elle n’était toujours pas réalisée. Mais dans un contre-rapport du 31 mai, l’ingénieur en chef de la Voirie réussit à convaincre le maire d’éviter un « émiettement exagéré des services : le fonctionnement des bureaux, du parc de matériel, du magasin et des ateliers, l’exécution dans le parc Saint-Nicolas en cours d’aménagement d’importants travaux de génie civil, l’importance des plantations sur la voie publique, les acquisitions de terrains et enfin l’emploi des chômeurs nécessitaient le rattachement au service de la Voirie municipale du service des Parcs et Jardins ». Nouvelle attaque de Dandalle en 1942. Il réussit à convaincre l’adjoint délégué à la voirie. Riposte de son chef direct à la Voirie : l’inspecteur Le Tessier, auquel est rattaché le service des Jardins, voit d’un mauvais œil une réduction de ses attributions. Il pointe lui aussi les inconvénients de l’éparpillement des diverses subdivisions de la Voirie, rappelle la décision du maire du 31 mai 1941 et ajoute perfidement à l’adresse de Dandalle : « L’organisation actuelle serait parfaitement efficace si chacun, dans l’exécution de son service, agissait avec loyauté et faisait preuve de l’esprit d’équipe et de discipline préconisé par le gouvernement du Maréchal. »
Un nouveau protocole d’organisation est mis en place le 26 juin 1942. Il définit clairement les attributions de chacun, toutefois hélas, les notes de l’ingénieur horticole doivent toujours être visées par l’inspecteur de la Voirie avant d’être transmises à l’ingénieur en chef… Ainsi le 18 mars 1942, Dandalle indique qu’il est désirable de procéder à la plantation du boulevard longeant le cimetière allemand. Son rapport est ainsi annoté par l’inspecteur : « En ce qui concerne le boulevard nord-ouest ouvert en partie pour desservir le nouveau cimetière militaire allemand, il est souhaitable que la plantation des trottoirs, larges de 7 m, soit effectuée dès cette année, ainsi que le propose l’ingénieur horticole municipal. »
Initiatives risquées pendant la guerre
En 1942 en effet, le directeur des Jardins avait été chargé de la lourde responsabilité de l’aménagement du cimetière militaire allemand, face à l’entrée du parc de la Garenne. Le Kreiskommandant n’avait laissé pour ce travail qu’un délai de deux mois… Dandalle s’occupe du cimetière allemand certes, mais en même temps d’aider à l’ouverture de jardins familiaux pour les familles de prisonniers français sur les excédents de terrain inutilisés par le cimetière. Pour obtenir l’autorisation de les cultiver, il fait ainsi le siège des autorités allemandes. D’autres actions étaient plus risquées. Alors qu’en février 1942 débutent à Belle-Beille les exécutions de résistants, pour que les familles puissent à la fin de la guerre retrouver avec certitude les tombes de leurs disparus, il prend la courageuse initiative d’exhumer les victimes enterrées au cimetière de l’Est. De nuit, les cercueils sont ouverts et des photographies prises.
On ne s’étonne donc pas qu’il doive, début janvier 1944, quitter Angers pour se soustraire aux conséquences de ses actions. Il va chercher refuge à Marseille, où les services municipaux recherchaient depuis plusieurs mois un technicien qualifié en agriculture et horticulture. Le préfet délégué à l’administration de la ville de Marseille écrit au maire d’Angers, le 21 décembre 1943, pour le prévenir du recrutement qu’il vient de faire : « Je ne veux pas manquer de vous communiquer cette décision, persuadé que vous comprendrez les raisons qui ont amené M. Dandalle à nous offrir ses services et suis certain que vous lui en tiendrez d’autant moins rigueur que M. Dandalle vous a, je crois, donné entière satisfaction pendant tout le temps de sa collaboration avec votre administration. » L’ingénieur sollicite sa mise en congé sans solde pour un an. La municipalité d’Angers ouvre un concours pour le remplacer. Celui-ci fait long feu, faute de candidats capables, du fait aussi d’exigences trop élevées de la part de la Ville et d’un salaire à l’inverse.
À Marseille
Arthur Dandalle en est presque réduit à diriger son service de loin. Il donne instructions et conseils au secrétaire général Maurice et au maire, comme on peut le savoir par un abondant courrier conservé entre le 28 janvier et le 17 avril 1944. Il justifie sa gestion budgétaire, car il lançait de nombreux travaux dont le financement était en partie rejeté sur l’année suivante. « C’est dans l’intérêt de ce service que j’ai agi, soit en constituant des réserves (pépinières), soit en entretenant des tombes, soit en faisant des cultures légumières, toutes initiatives qui n’auraient jamais été tentées, souligne-t-il dans une lettre du 19 mars 1944, de la part de certains fonctionnaires que je connais bien s’ils avaient été à ma place. » Il s’inquiète de la gestion du personnel du service : le responsable provisoire est un bon praticien, écrit-il, mais « il a le défaut d’être sans ordre et sans méthode et je crains fort que tout l’effort que j’avais produit pour remettre les choses en bon ordre ne soit vain et qu’en peu de temps la pagaille refleurisse, comme au temps de la guerre [sans doute en 1940] après mes dix mois d’absence où tout était à recommencer » (lettre du 24 février 1944). Il rappelle ce qui est à faire pour le fleuriste municipal, qui lui tient à cœur, comme sa collection de palmiers à l’orangerie du jardin des Plantes. Il s’irrite de la mort du cygne du jardin, « de faim, paraît-il », alors qu’avant son départ il avait provisionné 350 kg d’orge répartis suivant les quatre jardins, Garenne, Roc-Épine, château, Plantes. Il ne veut pas non plus que les cultures légumières qu’il avait entreprises soient perdues et les donne au secrétariat général de la mairie. Le 6 avril, il parle de champs à cultiver, route de Nantes et aux Grandes-Pannes. « Ah ! Dommage que je ne sois pas là, je réveillerais tout cela, et il y aurait encore des patates pour beaucoup de monde. […] Et votre nouveau « dictateur » ? [Émile Lucas, nommé maire après le départ de Victor Bernier, exigé par les Allemands] Dommage que je ne sois plus là, nous en aurions fait des patates et des faillots avec ce maire-là. »
De retour à Angers
Dans ces conditions, Dandalle ne reste pas à Marseille, dont l’état d’esprit ne lui convient pas : « Ici, il fait un temps splendide, dit-il dans sa carte postale du 6 avril 1944. Tenue d’été depuis bientôt quinze jours. C’est le rêve mais… il pousse beaucoup de toiles d’araignées et de champignons vénéneux en bord de mer ! ». La paix revenue, le 27 octobre 1945, il demande à réintégrer son service à Angers, ce qui lui est accordé. Le 13 mars 1946, il est reclassé dans l’échelle des chefs de section, passant de la 4e classe à la 3e. Il reprend son travail activement, de même que ses réclamations, car pendant son absence l’inspecteur de la Voirie Le Tessier a repris de l’ascendant sur son service. En juillet 1946 et janvier 1947, Dandalle écrit directement au maire pour faire modifier le protocole de 1942. Il revendique en effet l’initiative de tous les travaux relevant de sa compétence et en particulier ceux de l’aménagement de l’étang Saint-Nicolas, insiste sur le fait qu’en 1946 l’État a créé un diplôme officiel de paysagiste et qu’il a été admis à en porter le titre. Il n’y a alors en France que 34 diplômés et il souligne qu’il est le seul directeur de jardins de ville en France à porter ce titre. De plus, il a été officiellement sollicité pour enseigner à la section du paysage et de l’art des jardins.
Une compétence indiscutée
Dans sa lettre au maire du 24 février 1947, l’ingénieur en chef directeur de la Voirie municipale se fait tout miel et convient très volontiers qu’il faut accorder à Dandalle les responsabilités qu’il demande, étant donné sa « compétence indiscutée ». Mais, tout en assurant au maire qu’il a toujours entretenu les meilleures relations du monde avec le directeur des Jardins et utilisera au mieux ses compétences, il estime qu’il n’y a pas lieu pour l’instant de modifier le protocole de 1942… Sur ce point, l’ingénieur horticole n’a jamais obtenu satisfaction. Dans une lettre du 30 mars 1953 au sujet de ses mauvaises relations avec Le Tessier, il en résume lucidement les raisons : « Intérêt d’argent (fonds communs), ténacité à conserver l’exclusivité et le privilège ancien de questions confiées à des compétences très discutables. »
Les travaux de l’après-guerre donnent du relief au directeur des Jardins. Plus son expérience grandit, plus les difficultés s’aplanissent. Quelles sont ses réalisations ? La reprise de l’aménagement des divers parcs le long des rives de l’étang Saint-Nicolas, suivant un plan d’ensemble sérieusement étudié ; la replantation du boulevard du Maréchal-Foch élargi et restructuré ; l’achèvement du fleuriste municipal et la création d’une importante roseraie ; une pépinière municipale ; le fleurissement de la ville par des jardinières encerclant les mâts d’éclairage ; le plan d’ensemble du monument à la mémoire des fusillés de Belle-Beille ; un jardin de collection au jardin des Plantes ; la prise en charge de l’Arboretum… D’autres projets ne voient pas le jour : un aquarium dans l’ancienne église Saint-Samson, le théâtre de plein air au jardin des Beaux-Arts, de 2 700 places assises…
Médailles et décorations
Cette fois, on n’oublie plus le « jardinier ». Il est secrétaire de la Société nationale d’horticulture de France, vice-président de la Société des paysagistes français, président d’honneur du groupement Centre-Loire de l’Association des ingénieurs horticoles. Les honneurs ne lui sont pas ménagés. En 1954, il est nommé commandeur du Mérite agricole, grade peu décerné, une cinquantaine seulement est attribuée chaque année. Neuf ans plus tard, il reçoit la Légion d’honneur des mains de Jean Foyer : « Vous cherchez à embellir votre région pour que ses habitants s’y trouvent toujours plus heureux. » A. Dandalle répond en rappelant le rôle important du paysagiste dans le cadre de la civilisation moderne. D’autres distinctions l’honorent, en particulier la croix des combattants volontaires de la Résistance et la médaille de la Reconnaissance française. Ses nombreuses participations aux floralies et expositions internationales ont été souvent saluées : La Haye (1949), Gand (1950), exposition itinérante sur l’art des jardins (1951), Turin (1954).
Il est admis à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er novembre 1964, mais participe à l’exposition internationale d’horticulture d’Angers des 6-12 novembre, au Marché d’intérêt national, dont il est commissaire général. Dans les années 1960-1970, il figure toujours comme « paysagiste ingénieur horticole » dans les annuaires téléphoniques. A. Dandalle décède à Angers le 31 octobre 1980, inhumé au cimetière de l’Est dont il s’était beaucoup occupé. Ce fut un grand serviteur de la Ville.