Premiers arbres d'alignement

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 451, décembre 2022

6 889 arbres d’alignement sur les boulevards et rues ordinaires en 1901 ; 18 932 en 2022 : l’arbre a accompagné le développement de la ville. Qui dit arbre, dit aussi promenades. À quand remontent-elles ? Les espaces naturels ne manquaient pas à Angers. Les habitants pouvaient aller près du pont des Treilles, en Boisnet, dans les prairies Saint-Serge ou à l’Esvière. Au début du XVIIe siècle, le lieu de promenade ordinaire était le pré d’Allemagne, aux environs du palais de justice actuel et de l’avenue Jeanne-d’Arc.

Un jeu de mail

On ne peut compter au nombre des premières promenades la turcie (digue) de la Saulaie, établie en 1556 le long du canal du port Ayrault, à Saint-Serge. Sa fonction était principalement matérielle : maintenir les terres en place et fournir de l’osier. Cinq ans après la plantation du premier mail à Paris par Sully en 1612, et à l’exemple de « plusieurs bonnes villes de ce royaulme », la mairie d’Angers souhaite procurer un « honneste exercice » à la population et favoriser en même temps la « décoration et l’ornement de cette ville ».

Les échevins décident donc, le 19 août 1616, de « faire un jeu de mail proche cette ville », planté d’ormeaux. Le mail, c’est à l’origine un marteau. Le terme a ensuite désigné un jeu tenant du croquet et du golf, puis l’espace où l’on y joue : une vaste allée d’arbres. À Angers, l’emplacement est trouvé à la prairie d’Allemagne. Étant donné la longueur que l’on veut donner au jeu – il fera 948 pas, soit plus de 615 mètres – le terrain doit être pris à rente de cinq propriétaires différents : l’université (pré d’Allemagne), l’hôpital Saint-Jean, le commandeur de Saint-Blaise, le sieur Verger Baron et le chapelain de la chapelle du Corbin Vert.

Les travaux sont offerts par le riche marchand de draps de soie Charles Gohier, membre des Cinq Corps réunis – l’aristocratie marchande d’Angers – père administrateur de l’hôpital Saint-Jean, consul, bientôt juge et échevin. Le 28 novembre 1616, la Ville passe marché avec lui pour un jeu de mail composé de quatre rangs d’ormes, déterminant trois allées : une allée principale, close de barrières de bois, longée de chaque côté par deux « fausses allées » pour la promenade, celles-ci séparées de la campagne environnante par un fossé bordé d’aubépines et de troènes mêlés. L’ensemble doit faire 60 pieds de largeur, soit près de 20 m : 6,50 m pour l’allée principale, 4,20 m pour chacune des allées secondaires et 2,30 m pour chacun des fossés.

Le jeu doit être livré pour la Toussaint prochaine (1er novembre 1617), mais les plantations pourront être parachevées l’année suivante. Si certains ormeaux dépérissent, Charles Gohier sera tenu de les replanter jusqu’à concurrence de 350 pieds. Mais s’ils sont coupés ou arrachés par malveillance, c’est la mairie qui les fera rétablir à ses frais. Un règlement du jeu est édicté dont le premier article fait défense expresse de couper ni rompre les ormeaux à peine de dix livres d’amende. Le 28 avril 1617, un marché complémentaire est signé avec le marchand Gohier pour qu’il rehausse la barrière en bois le long de l’allée principale.

Inauguration et hôtes illustres

Les travaux sont menés avec célérité puisque, selon les mémoires de Jean Louvet, la première partie de mail se joue en grande pompe le 30 avril 1617, en présence du maréchal de Bois-Dauphin, gouverneur de l’Anjou ; du maire Pierre Ayrault et de Charles Gohier, marchand entrepreneur ; de plusieurs membres de la municipalité et du présidial. La réception des travaux elle-même n’a lieu que le 13 juin. Les échevins reconnaissent que le mail est « en l’estat requis par lesdicts marchez tant par la confection des fossez que quatre rangs de plan d’hormeaux au nombre requis, en la distance de douze piedz requise des uns aux aultres », mais que desdits ormeaux, grand nombre est mort qu’il faut remplacer.

Le 17 octobre 1619, plusieurs hôtes illustres honorent le jeu de leur présence. La reine mère Marie de Médicis s’y promène, accompagnée du cardinal de Guise, de l’évêque de Luçon (futur cardinal de Richelieu) et de plusieurs grands seigneurs de la cour. Le mail est admiré. Jacques Bruneau de Tartifume écrit en 1623 que les allées bordées d’ormes « font deux très beaux berceaux qui en leur longueur font paroistre ce qui est de plus naturellement parfaict et parfaictement naturel qui se puisse voir et considérer en l’opticque ».

Gohier, mécène de la Ville

Pour prix de ses dépenses, Charles Gohier a reçu concession du jeu pendant quatorze ans. Il l’exploite en louant boules et maillets. En 1620, la Ville lui donne également une pièce de terre proche du jeu de mail, car il doit établir une nouvelle « fausse allée » au mail, du côté du pré d’Allemagne, sur commande de la reine mère Marie de Médicis, qui, décidément, s’intéresse de près à son gouvernement angevin. C’est aussi une preuve supplémentaire de son goût pour les promenades plantées d’arbres –le modèle du mail serait d’ailleurs florentin - car on lui doit à Paris le fameux cours La Reine, planté en 1616. Le jeu de mail tombe vite en défaveur, puisque le fermier du jeu Jacques Berthelemy, qui a pris la suite du marchand Gohier, demande réduction de son bail dès 1635. Le Mail devient donc exclusivement une promenade, la plus belle de la ville. Ce n’était pas la seule.

 

Au moment même où la Ville se préoccupe du jeu de Mail, elle décide le 2 septembre 1616 de faire une turcie à la porte Saint-Aubin, c’est-à-dire une sorte de plateforme dominant les fossés. Le but était avant tout pratique : il s’agissait de faire tenir les « terriers et vuidanges » qui tombent dans les fossés ! Marché est passé avec le maçon Jean Gaultier, le 13 février 1617. À l’utile, le maire Nicolas Martineau joint l’agréable, en y faisant planter un mail d’ormeaux, d’où le nom de Mail Martineau. Une très belle place, qui s’étendait jusqu’au niveau de la rue Hanneloup et au-delà, aménagée, plantée en 1618, puis entretenue d’arbres aux frais de… Charles Gohier, véritable mécène de la Ville d’Angers.

De nouvelles promenades

Peu à peu, la municipalité fait planter des promenades tout le long des remparts : en 1623, devant la porte Toussaint ; en 1631, entre les portes Toussaint et Saint-Aubin ; vers 1691 le mail Romain entre les portes Grandet (rue David-d’Angers actuelle) et Saint-Michel ; sur les lices à partir de 1693. Viennent ensuite les mails Robert, en bordure du port Ayrault, vers 1716-1719 ; la promenade du château (du Bout-du-Monde). Des arbres avaient aussi été plantés sur le champ de foire (actuelle place du Général-Leclerc), après son acquisition en 1657. Des plantations sont également réalisées dans la Doutre, sur la turcie des Capucins, à la fin de l’Ancien Régime.

Cette magnifique couronne verte ne s’est pas perdue après 1807, avec la démolition des remparts. Les boulevards ont remplacé turcies et contrescarpes, mais des arbres ont aussitôt été plantés le long des nouvelles voies. Et sur les deux vues en ballon dessinées en 1848, on admire le superbe anneau de verdure qui ceint la ville.