Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 459, décembre 2023
Après les sombres années quarante, où le noir était la couleur dominante…, la lumière commence à jaillir de partout dans les années cinquante. On renforce l’éclairage urbain en développant l’utilisation des néons ; on commence à éclairer les monuments. La route lumineuse d’Angers à Saumur est inaugurée en 1952.
La rue Lenepveu, pionnière
C’est aussi l’année où le très actif comité des commerçants de la rue Lenepveu a l’idée d’illuminer sa rue pour Noël. Une nouveauté onéreuse qui va rester de longues années à la charge des commerces, la municipalité ne souhaitant pas participer au financement. Mais les commerçants sont motivés. « Créer l’ambiance est en effet un artifice nécessaire pour le négoce. » (« Ouest-France », 19 décembre 1955). La rue Lenepveu est l’une des plus passantes. Les vitrines sont attrayantes. Son comité est très à la page, mené par le pharmacien Pierre Branchereau (au n° 1) ; Henri André (vêtements au n° 17) vice-président ; Maurice Pierre (tissus, confection au n° 26) secrétaire et surtout Paul Manon (coiffeur-parfumeur au n° 22 bis), le dévoué trésorier. Quatre mille ampoules éclairent la rue « a giorno ». Les motifs décoratifs des guirlandes sont renouvelés tous les deux ans : roses et demi-soleils ; grappes de raisin, inspirées de la fête des vins ; profil du peintre Lenepveu, du côté de la place du Ralliement, que d’aucuns ont pris pour Don Quichotte… ; étoiles ; anneaux inspirés des Jeux olympiques ; cloches ; couronnes… Le décor se clôt place du Pilori, parfois réuni en faisceaux pour former comme une tonnelle de lumière.
Un tunnel de lumière rue d’Alsace
L’exemple de la rue Lenepveu se propage aux principales rues du centre-ville si bien que pour Noël 1955, la presse s’autorise à parler de « féerie lumineuse » et même de « ville lumière ». La rue d’Alsace se distingue, là aussi grâce à un comité de commerçants particulièrement dynamique, avec Joubert (porcelaines et cristaux), Alzieu (photographie) et Mittler-Charrier (optique médicale). Sans compter Robert Durand, propriétaire du garage la Station Bleue, boulevard du Maréchal-Foch, qui met des locaux à disposition du comité, notamment pour le cocktail d’inauguration des lumières de la rue d’Alsace, le 21 décembre 1955 : « Rien de semblable n’avait été jusque-là réalisé, se félicite le comité. Ce véritable tunnel formé de milliers d’ampoules multicolores jouant avec les clignotants des enseignes des magasins aux luxueux étalages constitue une merveille de bon goût. »
Des couleurs, peu de blanc
D’autres voies participent à la fête : rues de la Roë, Plantagenêt, Voltaire, Saint-Aubin, rue des Lices et même des artères plus modestes, comme les rues Parcheminerie et Pocquet-de-Livonnière. En 1956, les rues Bressigny, Baudrière, du Haras et la place de la Gare entrent dans la danse. Au début des années soixante, les illuminations gagnent les quartiers dits « périphériques » : la Doutre, la Chalouère et la Brisepotière, l’avenue René-Gasnier, le centre commercial de Lorette… La mode est aux guirlandes multicolores : les jaune, rouge, vert, bleu dominent. Rares sont les décors blancs, comme celui de la rue d’Alsace en 1956. Encore est-il enjolivé de motifs dorés.
Chaque rue s’illumine d’abord individuellement, puis, au bout de quelques années, le système devient commun et toutes s’allument et s’éteignent à la seconde. Impossible alors de choisir des horaires personnalisés. On se calque donc sur ceux des grandes rues commerçantes : Lenepveu, Alsace, Lices. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, l’amplitude est plus large que celle d’aujourd’hui. Les guirlandes s’allument pour la fête du 11 novembre et pour la foire Saint-Martin. Elles ne s’éteignent qu’au 15 janvier.
La Ville s’occupe des sapins
Si la Ville ne participe pas à ces festivités, elle s’occupe de plus en plus à décorer les différents quartiers : Félicitations, écrit le journaliste du « Courrier de l’Ouest » le 24 décembre 1966, aux services des Parcs et Jardins et de la Voirie qui disséminent un peu partout en ville d’immenses sapins tout brillants d’ampoules électriques rouges, bleues, vertes, jaunes, blanches, comme places du Général-Leclerc, André-Leroy, Sainte-Thérèse, des Justices… Les édiles souhaitent aussi rendre attractif le principal boulevard d’Angers, le boulevard du Maréchal-Foch. Les maquettes en bois des deux tours Saint-Aubin de la Quinzaine commerciale feraient l’affaire, illuminées par des « réflecteurs ». Comme il est impossible de tendre des guirlandes tout le long du boulevard, sur lequel les fils sont déjà trop nombreux, on songe en 1956 à placer sur les façades des commerces des motifs lumineux.
Innover sans cesse
En 1966, 20 000 ampoules sont nécessaires pour les illuminations. Tout est mis en place par l’électricien angevin André Rahard et son équipe spécialisée, une entreprise située rue Georges-Crousil à Angers. Elle est aussi chargée des éclairages du festival d’art dramatique d’Angers, des Floralies de Martigné-Briand et de la route lumineuse d’Angers à Saumur.
Le coût des illuminations représente une charge importante. Aussi certaines années sont-elles moins lumineuses que d’autres, comme en 1963. Les commerçants doivent innover sans cesse : fond musical sonore pour la rue Voltaire en 1956, organisation par tous les comités d’un grand concours « Les rues de la lumière » en 1962, ouverture en nocturne pour la rue des Lices l’année suivante, sans compter les nombreuses opérations commerciales étalées tout au long de l’année, pour renouveler la trésorerie…