Le premier festival

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 437, mars 2021

Le théâtre a toujours été apprécié en Anjou. Au Moyen-Âge, les étudiants de l’université organisent des « jeux » de Pentecôte. Le « Jeu de Robin et de Marion » d'Adam de La Halle est par exemple donné en 1392. Au XVe siècle, le roi René, qui aime prodigieusement les spectacles, fait représenter plusieurs mystères, sur la place des Halles d’Angers. La tradition des représentations de plein air est reprise par le festival d’Angers, l’un des plus anciens de France, après les festivals d’Orange (1869), d’Avignon (1947) et d’Aix-en-Provence (1948). À Angers, le nouveau préfet du département, Jean Morin, arrivé en juillet 1949, veut faire sortir définitivement l’Anjou de la période sombre des années de guerre. Il crée un comité du tourisme et lance l’idée de grandes fêtes de Printemps, dont le point d’orgue serait une « Fête de nuit » au château de Brissac, les travaux de restauration du château d’Angers n’étant pas achevés.

Avec la compagnie du Masque au Genêt

Pour cette fête fixée au 9 juin 1950, il fait appel à l’Angevin René Rabault et à sa compagnie du Masque au Genêt qui montent « Roméo et Juliette » de Shakespeare, un spectacle que les lieux ont suggéré à Jean Morin. Devant le succès, les festivités de 1951 sont annoncées par le préfet à grand renfort de presse à Paris. Elles se déroulent cette fois au château d’Angers, toujours sous la direction de René Rabault : deux courtes pièces de Molière, jouées par la compagnie du Masque au Genêt, introduisent « Jeanne au bûcher », oratorio de Claudel et Honegger donné en seconde représentation mondiale. Comme en 1950, le spectacle théâtral forme l’apothéose des fêtes de Printemps.

 

Le festival d’Angers

Après ces deux années d’essai, René Rabault est à nouveau sollicité pour 1952. Mais il ne souhaite pas poursuivre l’aventure, afin de ne pas laisser de côté sa compagnie. La direction artistique de la manifestation est donc confiée à Marcel Herrand, directeur du théâtre des Mathurins à Paris et acteur bien connu au cinéma. Elle est désormais entièrement consacrée au théâtre et baptisée « Festival d’art dramatique d’Angers ». Inspiré par le superbe cadre qu’offre le château, Herrand met à l’affiche « Le Roi Jean » de Shakespeare : un rôle incarné par Jean Marchat, accompagné de Maria Casarès, Michel Auclair et Roger Pigault. La critique est unanime : « Sur la carte de France, à partir d’aujourd’hui, Angers s’inscrit pour nous tous comme une nouvelle Cité du Théâtre : nous ne l’oublierons pas » (Morvan Lebesque, critique dramatique de « Carrefour »). Marcel Herrand décède à la veille du IIe festival, le 11 juin 1953. Albert Camus, venu pour mettre en scène « La Dévotion à la Croix » de Calderon, dont il avait rédigé la version française, prend cette année-là la relève de la direction artistique et donne au festival ses lettres de noblesse. En 1954, Marcel Herrand est remplacé par Jean Marchat, sociétaire de la Comédie-Française.

 

Les pièces jouées sont extraites du grand répertoire - Shakespeare, Corneille, Molière, Racine, Dumas, Hugo, Anouilh, Claudel, Montherlant… - ou plus populaires – « Le Bossu » de Paul Féval. Le festival conservera toujours ce double caractère. Les plus grands acteurs et metteurs en scène se succèdent : Albert Camus (à Angers de nouveau en 1957), Serge Reggiani, Jacques Charon, Robert Hirsch, Jean Le Poulain, Jean-Laurent Cochet, Michel Aumont, Jean Marais, Jean Weber, Françoise Seigner, Micheline Boudet, Hélène Perdrière, Suzanne Flon, Rosy Varte, Danielle Darrieux, Pierre Arditi, Michel Bouquet, Michel Galabru… Angers reçoit aussi de célèbres spectateurs : Ingrid Bergman, Roberto Rossellini, le comte de Paris, Antoine Pinay, Marcel Achard…

 

À partir de 1955, pour attirer l’attention sur les châteaux angevins, le festival se décentralise : Montgeoffroy, le Plessis-Bourré, le Plessis-Macé, Baugé, Serrant, Pignerolle, Saumur accueillent tour à tour l’un des spectacles. En 1974, le festival d’Angers devient festival d’Anjou et s’adjoint tout un programme de manifestations artistiques, d’expositions, de stages de tapisserie à l’abbaye du Ronceray. Après quelques péripéties de financement et un recentrage sur l’art dramatique au début des années quatre-vingts, le festival poursuit sa tradition de spectacles variés et de qualité, donnés à chaque saison dans trois ou quatre sites de charme.