La première femme employée municipale

Chronique historiqe

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 458, novembre 2022

L’administration municipale remonte à 1475. Louis XI a saisi l’apanage du duc d’Anjou, le bon roi René, et pour s’attacher plus habilement les Angevins il octroie à la ville une charte communale en la dotant des privilèges accordés peu auparavant à Tours (1462) et à Bourges (1474). La ville sera gérée par un maire élu pour trois ans, 18 échevins, 36 conseillers, un procureur et un greffier élus à vie. La mairie est dotée de pouvoirs de police, militaires et financiers. Il lui faut un hôtel de ville. Elle élit d’abord domicile à la modeste porte Chapelière, au bas de la rue Baudrière, puis loue l’hôtel de la Godeline, plus vaste, à partir de 1484.

Les agents municipaux sont peu nombreux : en dehors du greffier et du procureur, cités plus haut, on compte à l’origine le receveur des deniers communs, le maître des œuvres (travaux), le maître de l’artillerie, celui des pavages, le trompette juré, les sergents, le chevaucheur, quatre connétables gardiens des portes des remparts et le concierge de l’hôtel de ville.

Les premiers concierges connus sont Jean Girard en 1480, puis Jean Joymier, nommé en janvier 1485. Ce dernier était aussi sergent royal, chargé des voyages nécessités par les différentes affaires de la Ville. En août 1487, on apprend que l’ancien concierge Jean Girard est emprisonné pour avoir conservé les meubles de la Ville qu’il avait en garde… Meubles, artillerie, munitions sont en effet sous sa garde, ainsi que tous objets utiles à l’administration, notamment les brocs et récipients d’étain destinés aux différents présents de vin faits aux hôtes d’Angers, à une époque où les bouteilles de verre sont rares et précieuses. Il doit aussi pourvoir au chauffage de l’hôtel de ville, veiller au bon état des cheminées et acheter bois et fagots en conséquence.

À partir de 1501, la fonction de concierge est exercée par Pierre - appelé quelquefois Jean - Abraham. Il meurt en charge, sans doute au début de l’an 1514. Comme « il est besoign de promptement y pourveoir, adce que les chartres, lectres et autres munimens appartenant a ladicte ville estans en ladicte maison soient en seure garde », sa veuve Jeanne est aussitôt mise en possession de « l’office de concierge », par délibération du 3 février 1514. La première employée de la Ville est nommée « en considération que ledict feu Abraham estoit homme de bien et sa veufve de bonne vie », mais aussi parce qu’ils sont apparentés à plusieurs « gens de bien ».

Les échevins prennent toutefois des garanties : Jeanne devra prêter serment de bien se gouverner dans sa charge, de garder loyalement les meubles, coffres, archives et artillerie de la Ville. Elle doit surtout donner une caution de mille cinq cents livres, somme énorme pour l’époque. Le 17 mars, elle apporte les cautions exigées. Son fils Guérin et son beau-fils Boissegault Lefeuvre, marchand apothicaire, ont accepté de se porter garants de Jeanne et certifient au conseil municipal que ses biens s’élèvent à la somme en question. Le 7 avril, les échevins déclarent que les cautions apportées leur semblent suffisantes, « sauf à les renforcer si requis ».

Quinze mois s’écoulent tout juste que Jeanne Abraham, toujours désignée sous le nom de « la veufve feu Pierre Abraham », est destituée ! On s’est plaint qu’elle ne « faisoit aucune residence en ladicte maison de ville », malgré les biens précieux qui s’y trouvent. Le conseil en avertit son fils et le 6 juillet 1515, elle est remplacée par Michel Hermon, chevaucheur de la Ville. Un peu échaudés, les échevins précisent qu’ils devront, lui, sa femme et son ménage, faire résidence à l’hôtel de ville…