René Gasnier, pionnier de l'aviation en Anjou

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 323, juin 2008

Le 9 octobre 1890, pour la première fois, un plus lourd que l’air décolle : l’Éole, de Clément Ader, à Armainvilliers. En 1903, le 17 décembre, les frères Wright réussissent le premier vol dirigé, en Caroline du Nord, puis Santos-Dumont, le 13 septembre 1906, près de Paris. Suivent Farman, Delagrange, Caudron, Blériot… et René Gasnier.

Né le 24 mars 1874 à Quimperlé où son père était magistrat, René Gasnier est très tôt attiré par tous les sports mécaniques. Déjà, il n’a qu’un désir : s’élever dans les airs. Il commence par sillonner l’Anjou sur un tricycle à vapeur, fait le tour du monde sur un trois-mâts… De la mer, il en vient à l’air, se trouve parmi les fondateurs de l’Aéro-Club de France, achète un ballon en 1904, est breveté pilote aéronaute en mai 1905.

 

La Manche en ballon

Dès lors, entre 1905 et 1907, René Gasnier participe à de nombreuses courses, se classant presque toujours parmi les lauréats. En avril 1907, il franchit la Manche en ballon, dans le sens Angleterre-France, exploit éclipsé par la traversée de Blériot en avion deux ans plus tard. En octobre 1907, il termine septième de la prestigieuse course américaine de ballons, la coupe Gordon-Benett. Fasciné par le modernisme américain, il livre le récit de son voyage dans un livre à succès, « Villes américaines ».

Pour contribuer au développement de l’aérostation, quelques amis se regroupent le 1er mai 1907 et fondent le premier aéro-club de province, l’Aéro-Club angevin, transformé le 2 janvier 1908, sur proposition de L. Cointreau, en Aéro-Club de l’Ouest. Maurice de Farcy en est le président, Maurice Giffard le vice-président. La présidence d’honneur est offerte à René Gasnier.

Mais déjà ce dernier ne pense plus « ballon » : il construit son premier aéroplane. Sans avoir la formation d’un ingénieur - on ne sait rien de précis sur ses études - c’est un homme de planche à dessin qui sait traduire ses épures dans le bois et l’acier. Pas une pièce qui ne soit vérifiée par lui et ajustée de ses mains : il est lui-même son meilleur ouvrier et son pilote d’essai.

Faucher les marguerites…

Le 7 juillet 1908, « Le Patriote de l’Ouest » annonce que René Gasnier vient de terminer son aéroplane et donne quelques renseignements techniques sur l’appareil : biplan en forme de V, de 10 m d’envergure ; poids de 400 kg ; moteur Antoinette de 50 CV. Le journal conclut :

« M. René Gasnier, qui, très connu dans les milieux aéronautiques parisiens, est un favorisé de la fortune, travaille […] dans le plus grand secret à son nouvel aéroplane dont il a fait au moins quarante modèles en petit, avant d’arriver à celui qu’il essaiera très prochainement. »

Les premières expériences débutent le 4 août dans la Grand Prée de la Haie-Longue, près de Rochefort-sur-Loire. Au sixième essai, le 9 septembre, le miracle arrive :

« J’allai me placer, raconte son frère Pierre (1), à deux cents mètres du point de départ et me couchai sur l’herbe pour bien vérifier si les roues allaient quitter le sol. […] Nous sommes angoissés […]. Je vois l’appareil se soulever par petits bonds, puis s’élever aisément à deux ou trois mètres environ en passant devant moi. J’en éprouve une telle joie que je saute en l’air en levant les bras. »

Victoire !

Chaque vol apporte ses mises au point. Au neuvième essai, le 17 septembre, l’appareil s’élève jusqu’à cinq à huit mètres de hauteur, selon les témoins, mais est subitement précipité au sol par la rupture d’un fil d’acier du croisillonnage. Le lendemain, le reporter du « Patriote de l’Ouest » titre : « L’aviation en Anjou. Victoire ! L’aéroplane de René Gasnier est réduit en miettes, mais notre concitoyen peut se classer désormais parmi les meilleurs aviateurs français. » Le pilote s’en tire avec de légères contusions. Il reconstruit aussitôt son appareil avec diverses améliorations. C’est le René-Gasnier n° III qui est exposé au musée régional de l’Air. Mais a-t-il volé sur cet avion ? L’automne venant, la Grand Prée est menacée par les inondations et René Gasnier songe à se faire le propagateur de l’aéronautique par d’autres moyens : conférences, formation de pilotes militaires à Pau, réunions aéronautiques.

 

Avec l’industriel Julien Bessonneau fils, il se multiplie pour organiser le premier meeting aérien de l’Anjou, du 3 au 6 juin 1910. La journée fait date. C’est la première course de ville à ville (Angers-Saumur). Les 16 et 17 juin 1912, nouvelle manifestation d’importance : le circuit d’Anjou, Angers-Saumur-Cholet-Angers, Grand prix de l’Aéro-Club de France. Malgré des nuages qui font « songer à la chevauchée des Walkyries », suivant l’expression de l’écrivain Colette, envoyée spéciale du journal « Le Matin », Roland Garros remporte le Grand Prix.

Avant de décéder à l’âge de 39 ans, le 3 octobre 1913, René Gasnier tient encore à venir signer lui-même - le 9 septembre - l’acte de cession du terrain qu’il donne à la ville pour construire une station d’atterrissage : le premier terrain d’aviation de l’Anjou, à Avrillé. Le 1er janvier 1913, il avait reçu la croix de chevalier de la Légion d’honneur, pour avoir « puissamment contribué […] au développement de la locomotion aérienne ».

(1) "La part de l'Anjou dans l'histoire de la conquête de l'air", dans Mémoires de l'Académie d'Angers, 1961, p. 60.