Cinq générations d'horloges communales

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 255, mars 2002

La technique de construction des horloges mécaniques se développe aux XIIIe et XIVe siècles. Au siècle suivant, peu de grandes villes étaient dépourvues d’horloges publiques. À Paris, la première horloge publique est construite pour Charles V au Palais royal, par l’horloger allemand Henri de Vic, vers 1370. À Angers, l’horloge publique apparaît en 1384, due au talent de Pierre Merlin, « maistre horlogeur du roi Charles VI ». Faute de bâtiment municipal, l’horloge est placée sur un contrefort d’angle du transept nord de la cathédrale. Sa lanterne en charpente, abritant une cloche achetée au prieur de Lesvière, s’appuyait sur le pignon de la grande salle du palais épiscopal.

Des cloches bien à soi...

Elle devait être assez rudimentaire, pour qu’en 1450 les habitants demandent au chapitre cathédral de contribuer à l’installation d’une horloge dans l’une des tours de la cathédrale. Un refus leur est opposé. Avec la naissance du pouvoir municipal en 1475, le désir d’avoir des cloches bien à soi n’en est que plus vif, mais l’hôtel de ville manque encore. C’est pourquoi l’initiative d’installer un nouveau « beffroi » sur l’une des tours de la prison, près de la place des Halles (actuelle place Louis-Imbach), cœur de la ville, revient aux officiers des administrations royales d’Angers. La municipalité y contribue d’abord modestement en 1496, mais l’année suivante décide d’y mettre le prix, « en consideracion que quant messieurs de ladicte ville auront une maison de ville et lieu propice a mectre ladicte aurologe, qu’ilz la pourront prendre et la y mectre comme a eulx appartenans ». Le projet traîne quelque peu en longueur. C’est seulement en 1505 qu’un certain Lambert Demot réalise la « fonte de l’aurologe ». Il reçoit le métal nécessaire, dix livres pour son salaire et une maison située à la porte Saint-Aubin.

Premier beffroi municipal

Mais voici qu’en 1527-1532 la municipalité fait construire un bel hôtel de ville place des Halles (Muséum actuel), doté d’une tour à son extrémité (à l’emplacement de l’actuelle rue Jules-Guitton). L’occasion est propice pour la création d’un beffroi, à l’image des beffrois du Nord incarnant les libertés municipales, d’autant plus que l’horloge de la ville « assise sur l’esglise d’Angiers » est trop loin pour être entendue. Quant à celle de la prison, les prisonniers y montent souvent et dégradent mouvement et contrepoids. On décide donc, le 27 novembre 1534, de transporter celle-ci sur la tour de l’hôtel de ville, rehaussée pour la circonstance de trois à quatre mètres et couronnée d’une lanterne en charpente. Quelque trente années plus tard disparaît la première horloge de ville, celle du palais épiscopal.

L’horloge est régulièrement entretenue et modernisée jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. En 1823, la mairie quitte le bâtiment de la place des Halles, dévolu aux cours de justice, pour s’installer dans l’ancien collège d’Anjou, face au nouveau boulevard. Elle emporte horloge et cloches. Le beffroi, devenu ruineux, ne lui survit pas. Le nouvel hôtel de ville en est dépourvu : aussi le maire propose-t-il dès 1821 d’y installer l’ancienne horloge. Le projet s’éternise… pendant quarante-six ans. Toute la difficulté provenait, apparemment, du poids trop important des cloches anciennes qui ne pouvaient être replacées sur le nouveau bâtiment sans travaux de restauration considérables. Et l’on ne se résolvait pas à acheter une nouvelle pendule.

Du trompe-l'oeil

Les travaux de gros œuvre de l’hôtel de ville enfin achevés en 1854, le « placement de l’horloge » revient à l’ordre du jour. Divers plans sont tracés, mais on trouve plus commode de faire peindre un faux cadran en trompe-l’œil sur la façade, en attendant ! Le journal « L’Union de l’Ouest » rapporte l’anecdote de cet Anglais qui vint régler sa montre sur le cadran peint, marquant irrévocablement midi et un quart… Enfin les arguments d’un Angevin mécontent semblent porter : « Je ne crois pas, écrit-il au maire le 7 janvier 1867, qu’il existe dans toute l’étendue de l’Empire une ville, même de dix mille âmes, aussi pauvre en horloges publiques que notre belle cité ». Piqué au vif, le conseil municipal du 19 février suivant vote 3 720 francs pour l’installation d’une pendule : « L’administration a reçu de nombreuses demandes… ». Contrat est passé avec l’horloger de la rue Bressigny, Delalande, pour fourniture d’une horloge à quarts se remontant tous les jours, avec cadran en glace transparente éclairé au gaz et quatre cloches. Elle est posée à l’été 1867 dans un petit beffroi de pierre.

Nouvelles générations d'horloges

Ce modeste campanile, sorte de borne de cheminée, construction « grotesque qui fait sourire les étrangers » selon le service d’Architecture, chagrinait édiles municipaux et Angevins. On aurait bien voulu le remplacer par un beffroi mieux en rapport avec l’importance des fonctions municipales, mais il aurait fallu renouveler entièrement l’hôtel de ville lui-même. Très dégradé, le campanile n’est réédifié – presque à l’identique - qu’en 1928 et pourvu d’une pendule électrique Brillié. L’ancienne horloge est reprise pour 2 450 francs. Ce n’est donc pas celle actuellement exposée galerie des Ursules.

La rénovation entière de l’hôtel de ville en 1980 provoque la suppression de l’horloge, au regret général, de sorte qu’en 1983, le nouvel hôtel de ville est doté d’une pendule, non prévue à l’origine, signée Bodet, de Trémentines : la cinquième génération d’horloges communales.