Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 281, juillet 2004
À la Palette d’Or, 74 rue du Mail, aux mains de la même famille de 1820 à 1975, fournissait spécialement « les arts, la voiture et le bâtiment ».
L’histoire commence en 1820. Charles Peltier, filateur à Château-Gontier, plus inspiré par la peinture que par le textile, fonde à Angers, rue Saint-Laud, une maison de peinture, vitrerie et fabrique de colorants. Deux ans plus tard, il ouvre un magasin de détail. Son fils Charles, artiste peintre à Saint-Laurent-des-Mortiers, peu intéressé par le commerce, finit par le céder à Moreau, en 1861, non sans avoir initié son fils Charles - troisième du nom - aux secrets du métier. Après cinq années de tour de France, celui-ci ouvre un atelier de peinture à Tiercé. Sa grande spécialité est l’héraldique.
Spécialistes en brosserie
Mais Angers l’attire. Charles III rachète en 1873 la maison Moreau, alors 9 rue des Forges (41 rue de la Roë depuis 1881) et lui donne l’enseigne À la Palette d’Or qu’il avait à Tiercé. L’ajout de la brosserie, des fournitures pour artistes et de la parfumerie lui permet de faire de sa droguerie l’une des plus importantes de la région, avec le concours actif de son épouse Héloïse Léon. Les Peltier ne vendent que de la brosserie haut de gamme en poil de soie de sanglier de Russie, plus résistant que le crin.
Le succès fait abandonner la rue de la Roë en 1893 pour un vaste immeuble, 74 rue du Mail, avec jardin sur la rue et dépendances sur la cour des Cordeliers. Un magasin moderne, largement éclairé, est bâti dans le jardin. Les tablettes du magasin sont peintes en vert à base d’arsenic, pour éviter que mites et poissons d’argent n’abîment les soies des pinceaux. Dans l’arrière-boutique, trois grands casiers sont réservés à l’ocre rouge, jaune et au blanc de Meudon. Les multiples tiroirs contiennent colorants en poudre et bois divers pour teinture et entretien. La maison reçoit les matières premières en conteneurs appelés touries et fabrique elle-même ses produits. Une pièce est réservée à la coupe du verre, branche importante de l’activité des Peltier, fournisseurs de nombreux horticulteurs et maraîchers angevins. Tout irait bien si Charles Peltier n’était tombé sur un madrier de l’échafaudage élevé pour les travaux, accident qui abrège sa vie dès 1900.
Maintenue grâce aux femmes
Fort heureusement, sa veuve est capable de reprendre la droguerie, en association avec son fils, Charles-Arthur, déjà établi à Château-Gontier sous la même enseigne À la Palette d’Or. Le 1er janvier 1908, elle lui cède son établissement. À nouvelle génération, nouvelles améliorations : le téléphone, l’électricité, l’automobile. La broyeuse mécanique remplace les mortiers à couleurs. La guerre de 1914-1918 ne désorganise rien. L’épouse de Charles-Arthur, Augustine Bretonnière, s’entend parfaitement au commerce et le fait tourner avec du personnel entièrement féminin.
Chose rare à l’époque, leur fille née en 1904, prénommée Charlotte pour conserver la tradition familiale, fait des études poussées qui la conduisent jusqu’en Angleterre, puis à l’Université catholique où, seule fille de sa promotion, elle est élue major à l’École supérieure de commerce et de chimie. Elle étudie aussi la peinture à l’école régionale des beaux-arts d’Angers, sous la direction de Livache et de Berjole.
Originaire des Vosges
Ses parents l’initient en même temps aux affaires. Lors d’un voyage à Paris, elle rencontre son futur mari, Pierre Lanne, d’une famille de filateurs à Senones (Vosges). Ils se marient en 1928. Pour la deuxième fois chez les Peltier, le tissage est uni aux couleurs ! Les Lanne prennent les rênes du magasin dès 1930. L’installation électrique est refaite par Pierre Lanne lui-même. Il achète une broyeuse électrique, rendue nécessaire par sa nombreuse clientèle de forains, de châtelains et d’entreprises ; développe une section de produits pour l’agriculture et la viticulture. Fait prisonnier en 1940, Pierre Lanne ne rentre qu’en 1942, avec une santé délabrée. C’est donc une nouvelle fois grâce aux femmes que l’activité se poursuit.
Après 1945, la droguerie s'oriente davantage vers les beaux-arts pour faire face aux changements commerciaux. Beaucoup de peintres de la région viennent y chercher conseil. Certains y exposent leurs oeuvres. Maurice Lanne, le fils, devient naturellement apprenti au magasin, connaît très bien formules chimiques et produits. Reçu au CAP de « droguiste, marchand de couleurs », il travaille quelque temps au magasin, mais voyant la rentabilité du commerce baisser, se réoriente vers l'électronique. Après quarante-cinq ans d'activité, ses parents ferment la droguerie le 31 décembre 1975. Les locaux sont loués à la serrurerie Guérin-Denis. C'est ensuite jusqu'en 2020 le magasin de hi-fi Ambiance concert.
Ce texte a été écrit d'après l'histoire familiale rédigée par Maurice Lanne, que je remercie tout particulièrement.
Texte revu le 17 novembre 2021.