Jacques Allain, l'homme qui faisait rire

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 341, février 2010

Jacques Allain (1838-1907), premier comique du théâtre d’Angers, monologuiste, chanteur, était aussi artiste peintre, chargé des décors. Connu de tous il y a plus d’un siècle, son souvenir vit encore dans sa famille et au 37 rue Blaise-Pascal.

Cette évocation est le fruit de trois heureuses rencontres : avec Sylvie Verrecchia en 1995 à l’occasion des recherches qu’elle menait sur son trisaïeul ; avec Michel Abellard propriétaire du 37 rue Blaise-Pascal, qui découvrit en août 1995, dans la cage d’escalier de cette maison bâtie pour l’artiste en 1898, un superbe décor fleuri ; avec Danièle Defude enfin, qui m’a apporté en janvier 2010 les maquettes de décors réalisés par son trisaïeul et les archives photographiques familiales constituées par Henri, fils de l’artiste. Ces documents ont permis d’identifier aux Archives municipales des projets de décors restés jusque-là anonymes.

« M. Allain est, sans conteste, écrivait un chroniqueur au début du XXe siècle, le doyen de notre troupe théâtrale. Il y a même si longtemps qu’il est parmi nous, que c’est plus qu’un doyen, c’est un père : on l’appelle le père Allain. Dans le cours de sa laborieuse carrière, il a joué un peu partout. Mais c’est à Angers surtout qu’il en a passé la majeure partie, prodiguant chaque année, au public, les trésors d’une verve inépuisable. Dans toute l’acception du terme, le père Allain est l’homme qui fait rire. Il sait, pour cela, trouver des mots insoupçonnés. Quand, pendant deux ou trois ans, il fut éloigné de notre scène, on sentait qu’il y manquait quelque chose et quelqu’un. »

Jacques Allain, né à Angers le 4 mai 1838, place Sainte-Croix, à l’hôtel de Thévalle, voit le jour bien loin du milieu des artistes : son père est perruquier, son grand-père marinier de Loire. Mais, tout gamin, il se donne déjà en spectacle, précédant la musique militaire lors d’un défilé. Apprenti chez un peintre en bâtiment, ses dons reconnus, il passe à la peinture artistique. Mais le métier d’acteur l’attire également et dès l’âge de seize ans, il voyage dans divers théâtres de France, de Lille à Lyon et à Nantes où, en 1859 probablement, il fait la connaissance de la famille Leroux, propriétaire d’un théâtre de marionnettes, surnommé « Riquiqui ». Il en épouse l’une des filles, Clotilde, née en 1839 à Angers, lors d’une tournée du théâtre Leroux, alors ambulant. Le gendre devient l’une des chevilles ouvrières de « Riquiqui » - rebaptisé Théâtre des Variétés en 1866 - à la fois comme acteur comique, chanteur et décorateur.

Léon Brunschvicg rappelle dans ses Souvenirs d’un vieux Nantais que « Jacques Allain avait une fort jolie voix de ténor et chantait gentiment la chansonnette : pour endosser, le soir venu, le pourpoint galant des jeunes premiers, il n’oublia jamais qu’il savait aussi manier les pinceaux et c’est lui qui brossait tous les décors. Le rideau des entractes, qui représentait le passage Pommeraye, une des curiosités de Nantes à l’époque, était signé Allain. »

 

Le Théâtre des Variétés prospère si bien qu’une salle superbe est inaugurée en 1878, moyennant 192 000 francs de dépense... Des emprunts trop nombreux et une mauvaise gestion conduisent cependant à une faillite rapide, en 1882. La famille se disperse. Jacques Allain et son épouse se retrouvent acteurs au théâtre d’Angers à partir de la saison 1882-1883. Jacques, qui savait tout faire, exerce les fonctions de peintre décorateur et occupe des emplois variés de comédien : premier rôle pour la comédie et le drame, grime (rôle d’un vieillard ridé et ridicule) pour l’opérette, laruette (père âgé, imbécile et crédule) pour l’opéra et même des rôles de femmes âgées (duègnes) dans le registre comique.

Doué d’une énergie propre à remplir plusieurs vies, on le retrouve partout sollicité et partout prêtant son concours : à René Rabault (le père, 1884-1969) pour lui enseigner son art, à l’Alcazar de la rue Saint-Laud dont il peint le rideau de scène en 1892, à la Fête des Fleurs de la Doutre en 1894 avec le décor du portique de l’entrée principale, aux fêtes de quartier, aux kermesses de bienfaisance organisées par les commerçants comme en 1893 où il présente son musée historique, à la Cigale, aux cinq à sept de la Société des Amis des Arts et dans bien d’autres sociétés angevines, pour les arbres de Noël, l’anniversaire du journal Le Petit Courrier, pour les sinistrés de la Martinique en 1902 (éruption de la montage Pelée)… Il se déplace aussi en Anjou, dans les départements voisins et partout, à peine a-t-il ouvert la bouche, que le public rit à perdre haleine. Il doit bisser ses monologues et ses chansons comiques : Le Cavalier arabe, L’Incomparable Mirobo, Lambouf, Le Père Pince-Tout, Pauvres Hommes...

Serait-on aujourd’hui pris de rire comme autrefois ? Les modes passent, l’humour 2010 n’est pas celui de 1900, lorsque la France a connu la plus grande « épidémie de rire de son histoire », mais la mine joviale de Jacques Allain nous suggère que... oui.

Un grand merci à Sylvie Verrecchia, Danièle Defude et Michel Abellard pour leur contribution à cet article.