Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 268, mai 2003
La foire-exposition actuelle est héritière d’une belle lignée de foires, depuis le XIe siècle, et plus particulièrement de celle du Sacre, au moment de la Fête-Dieu, en juin. Héritière également des grandes expositions quinquennales agricoles, industrielles et artistiques organisées de 1835 à 1906.
L’exposition prévue pour 1915 n’a pas lieu. Après la première guerre mondiale, tout est à faire pour encourager le commerce et, dans ce cadre, le développement du tourisme apparaît primordial, car les Angevins, dès le mois de juin, commencent à déserter leur ville.
C’est ainsi que la foire-exposition naît des délibérations du Syndicat d’initiative de l’Anjou. L’idée est soumise à l’assemblée générale du 23 janvier 1922 par Brunet, également trésorier-adjoint de la Société de fêtes d’Angers : « Il s’agirait de l’organisation à Angers d’une sorte de foire commerciale, tenue dans un local quelconque, par exemple dans les bâtiments servant à la kermesse où seraient exposés pendant une période de huit à dix jours les échantillons de tous les produits naturels, agricoles ou industriels de notre Anjou. En outre, on pourrait organiser sur un point bien placé de la ville une galerie d’exposition permanente, qui serait certainement visitée par de nombreux touristes et constituerait un excellent moyen de propagande pour faire connaître et apprécier toutes nos productions et nos richesses locales».
L’exemple de Lyon et Rennes
On avait sous les yeux la foire de Paris créée en 1900 et surtout la nouvelle foire de Lyon, dont le succès venait de faire école dans les villes voisines de Rennes et de Tours. La création est décidée lors de l’assemblée générale, tenue à l’hôtel de ville le 26 octobre 1923. Le comité d’organisation provisoire est définitivement constitué, sous la direction de Léon Langlois, membre de la Chambre de commerce et d'industrie, commissaire général, assisté du secrétaire général Brunet et de trois commissaires adjoints : Blachère, Fourrier (pour l’agriculture), Couée (commerce), Birgé (industrie). Le docteur Louis Barot, ancien maire, est chargé de la commission coloniale. Angers aura donc sa foire en 1924, exemple que Nantes ne tarde pas à suivre, en 1925.
L’« homme de la foire », Léon Langlois
Il ne s’agit pas de renouveler les anciennes expositions quinquennales, dites « nationales », comme celle de 1906 : de grandes machines, avec palais éphémères somptueux, à dômes et clochetons, village nègre, salle des fêtes… Non, ce sera une foire d’affaires, une bourse de commerce, une exposition des produits angevins. Le but est éminemment pratique, d’abord économique, à l’image du « père » de la manifestation, Léon Langlois. Homme de terrain, propriétaire du magasin de nouveautés « Au Sans Pareil », carrefour Rameau, « sur une carrure massive, il portait une tête forte avec deux yeux ronds qui ne vous lâchaient pas et une moustache brève qui rebiquait aux extrémités. Jamais bousculé quelle que soit la diversité de ses occupations, il avait des idées claires et suffisamment réfléchies pour qu’il soit évident d’avoir à les suivre » (René Rabault, dans Le Courrier de l’Ouest, 19 mai 1979).
Jean-Adrien Mercier
Léon Langlois, son comité et le Syndicat d’initiative mettent tout en branle pour le succès de la manifestation. Une tournée de conférences et de « propagande régionaliste » est organisée dans tout le département avec le concours du docteur Barot et du poète angevin Marc Leclerc. La presse multiplie les articles, les chemins de fer annoncent des tarifs réduits, le Petit Anjou des trains spéciaux… On ouvre pour la première fois des « garages municipaux permanents » (des parkings) pour les automobiles.
Une affiche spéciale est éditée, après lancement d’un concours, doté d’un prix de 1 000 francs. C’est un jeune Angevin d’à peine vingt-cinq ans, dont on entendra reparler, qui le remporte : Jean-Adrien Mercier. Son Angevine, bien campée, offre comme au marché des produits régionaux étalés à ses pieds. « Rien n’y manque : fruits, fleurs, légumes, les cordages, les parapluies et même le flacon de triple-sec voisinant avec les bouteilles de nos vieux vins » (L’Ouest, 20 mars 1924). On la lui reprochera, sa paysanne, avec ses poings sur les hanches…, une représentation peu traditionnelle de la femme… La revue Vendre de mai 1924 la reproduit avec une appréciation positive aux côtés des affiches des foires de Paris, Bruxelles, Vienne (Autriche), Utrecht (Hollande), Zagreb (Croatie) et Valence (Espagne) : « Voici un exemple tout à fait typique de l’affiche basée sur l’idée régionaliste ».
Une ferme électrique
La foire-exposition ouvre du 19 au 30 juin. Elle annexe même à son programme la grande procession du Sacre et les courses d’Éventard ! Rien n’est négligé : excursions touristiques, grandes fêtes de nuit, concerts, illuminations générales, théâtre de plein air.
La foire se tient place du Champ-de-Mars (actuelle place du Général-Leclerc), avec une annexe place La Rochefoucauld pour la section agricole, où les paysans ont l’habitude de venir pour les foires aux bestiaux. L’un des clous de la manifestation est précisément la ferme équipée à l’électricité, due à l’architecte Jamard et servie par les élèves de l’école secondaire d’agriculture du Syndicat agricole de l’Anjou. Un service d’ordre doit même être organisé, tellement il y a foule pour assister à la traite automatique des vaches. Le salon de l’art ménager, première exhibition de ce genre en province ; l’exposition de l’aviation commerciale organisée par Pierre Gasnier du Fresne ; les expositions horticoles, avicoles et apicoles ne remportent pas moins de succès. La foire-exposition sera donc reconduite en 1925. Début d’une longue série.
En 1936, la foire est transférée place La Rochefoucauld. Depuis 1985, elle se tient au parc des expositions.