La Bibliothèque municipale : sous le signe du chiffre huit

Chronique historique

par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers

Vivre à Angers n° 325, septembre 2008

2008 : la Bibliothèque municipale est en fête ! Fondée en 1798, elle ouvre sa première véritable salle de lecture en 1848 et s’installe dans un bâtiment fonctionnel, spécifiquement conçu pour ses missions de lecture publique et de conservation, en 1978.

L’idée d’ouvrir une bibliothèque au public naît au sein de l’université, en 1376 et 1422, puis de l’Académie d’Angers en 1692, avec le soutien du conseil de ville. Mais aucune de ces réalisations ne se maintient sur la longue durée, et le projet de 1692 n’aboutit pas.

Avec les confiscations révolutionnaires de 1789-1792 réapparaît l’idée de former une bibliothèque publique à partir des bibliothèques des communautés religieuses et des émigrés, regroupées en « dépôts littéraires » dans les abbayes Toussaint et Saint-Serge, puis à la collégiale Saint-Martin. C’est ce que demande en vain la municipalité le 3 janvier 1791, puis le 13 mai, indiquant qu’elle a choisi l’ancienne église Saint-Julien pour l’établir. Il faut attendre la création des écoles centrales - ancêtres des lycées - qui doivent chacune être dotées d’une bibliothèque publique, pour qu’Angers obtienne la sienne, ouverte à l’ancien évêché le 30 mars 1798.

Le retour de l’évêque en 1802 provoque la fermeture de la bibliothèque en septembre 1803 et son transfert dans les locaux de l’ancienne école centrale, au logis Barrault, où elle n’ouvre que le 22 novembre 1805. Depuis la fermeture des écoles centrales et le décret du 28 janvier 1803, la bibliothèque est devenue municipale. Mais voici que l’évêque Mgr Montault souhaite cette fois récupérer le logis Barrault, ancien grand séminaire… C’est en 1828 seulement que l’installation de la bibliothèque au logis Barrault est définitivement confirmée. Une installation bien malcommode : la salle de lecture, placée au-dessus de la chapelle Saint-Éloi, est desservie par le passage qui enjambe la rue du Musée… Les livres sont entassés dans des galetas et corridors où ils se perdent…

Toussaint Grille (1803-1837), puis son neveu François (1838-1848) mènent sans perdre haleine une longue bataille pour aboutir à la construction, au logis Barrault, de la première véritable salle de lecture. La correspondance de François Grille en témoigne  :

27 novembre 1838, lettre au maire :

« Le matériel de notre affaire est déplorable. Nos cours, nos escaliers, nos corridors, nos tables, tout est misérable, encombré, désespérant. […] On y étouffe en été, on y gèle en hiver. Il n’y a ni air, ni jour… »


17 août 1841, au maire :

« Toutes les villes de la Loire, Orléans, Blois, Tours, Nantes, ont de très belles bibliothèques. Le Mans, Alençon, Rennes, Avranches, Laval ont fait de grandes dépenses […]. La seule ville d’Angers, qui fut la reine des études, restera-t-elle en arrière et tombera-t-elle au-dessous de sa gloire et de sa mission ? »


23 août 1841, au marquis de Fortia  :

« Nous sommes dans des galetas misérables. En ce temps d’industrie, on ne s’intéresse ni à la pensée, ni aux livres qui la recèlent […]. Les autorités sont occupées de quais, de ponts, d’abattoirs, et de poissonneries, mais les bibliothèques sont toujours assez belles et leur sanctuaire poudreux n’est visité que par des fidèles ».


10 janvier 1843, au maire :

« L’état de la bibliothèque est intolérable. […] Les murs sont lézardés, les planchers pourris, les fenêtres en désordre. […] je le dis avec une profonde douleur, mais si l’on ne donne aux livres un nouveau local, le dépôt précieux des sciences et arts d’Angers sera anéanti avant peu d’années ».

Enfin, les nouveaux aménagements sont inaugurés le 5 décembre 1848, au premier étage de l’aile sud-ouest du logis Barrault : une galerie de 37 m de longueur sur 7,50 m de largeur et 6,60 m de hauteur, entièrement tapissée de livres sur trois niveaux, face aux fenêtres, desservis par deux galeries de circulation. 22 000 ouvrages y prennent place. Malgré tout, de multiples autres salles sont nécessaires pour les quelque 18 000 autres livres des collections. Très vite le logis Barrault se révèle inadapté et, faute de place, la bibliothèque est conduite à refuser en 1911 les 30 000 volumes de la bibliothèque du grand séminaire, confisqués après la loi de séparation de l’Église et de l’État. En 1946, une pièce trop chargée s’effondre dans le musée avec ses 12 000 livres.

La modernisation de la bibliothèque est entreprise à partir de 1965, un réseau d’annexes développé à partir de 1969. L’année suivante, le conseil municipal décide la construction d’un nouveau bâtiment pour la bibliothèque centrale, entre l’abbaye Toussaint et le jardin des Beaux-Arts. Il pourra enfin accueillir tous les équipements destinés à favoriser la lecture et la culture publique : « salle d’accueil, discothèque, cinémathèque, salle de lecture pour enfants… ». Le chantier est ouvert en janvier 1975, la nouvelle bibliothèque inaugurée le 18 avril 1978 : 300 000 ouvrages sur 6 400 m2. Un bâtiment très réussi signé Philippe Mornet, en symbiose avec le jardin des Beaux-Arts. Le livre à portée de tous !