Chronique historique
par Sylvain Bertoldi, conservateur en chef des Archives d'Angers
Vivre à Angers n° 293, septembre 2005
Le Hutreau, sur la commune de Sainte-Gemmes-sur-Loire, est un exemple des grands domaines nés au contact de la ville. Sa situation est exceptionnelle, sur une crête rocheuse orientée nord-ouest/sud-est, dominant d'un côté Sainte-Gemmes-sur-Loire et de l'autre les quartiers sud d'Angers.
Ce n'était à l'origine qu'une modeste closerie, une petite exploitation sans boeufs de labour, constituée d'un assemblage de terrains dispersés, parfois de médiocre qualité. Les textes les plus anciens la désignent sous le nom éloquent de « la Perrière ». Au XIXe siècle, le toponyme « le Hutreau » s'impose.
De la ferme…
Le premier propriétaire connu est en 1658 Marc Foussier de La Cassinerie, conseiller au présidial, issu d'une famille d'avocats. À la fin du XVIIe siècle, le Hutreau passe à une famille d'anoblis, les Garsanlan, maîtres en la chambre des comptes de Bretagne. En 1780, la veuve d'un grand négociant angevin, Marie Courballay, achète le domaine, qui reste à vocation agricole. En 1690, le rez-de-chaussée de la maison est affecté au closier. Quand les propriétaires viennent à la campagne, ils habitent les deux pièces de l'étage auxquelles on accède par un escalier extérieur à marches d'ardoise, surmonté d'un pigeonnier. Tout de même, les Garsanlan font quelques aménagements et repoussent le closier dans la basse-cour pour disposer de toute la maison. Mais surtout, ils font fructifier les terres, plantent des châtaigniers, tracent une longue allée de lauriers - toutes choses qui subsistent encore dans la propriété actuelle - et plantent des vignes sur les friches.
… à la résidence
Au XIXe siècle, le Hutreau acquiert une fonction résidentielle. De 1816 à 1872, les Grille, puis les Chatelin s’y succèdent. Tous sont négociants en mousseline, blanc et nouveautés. Leurs affaires sont prospères : ils agrandissent le domaine et le régularisent en agrégeant un ensemble de terres autour de la maison. Le 12 octobre 1872, Armand-François-Rupert Laity, ancien sénateur du Second Empire et préfet des Basses-Pyrénées, achète l’ensemble. La presse de l'époque et ses biographes le donnent comme un « ami personnel » de Napoléon III. En 1860, il a été chargé de préparer le rattachement des populations de Savoie à la France, puis commissionné pour prendre possession du duché. Il va donner au Hutreau son aspect définitif.
En moins de deux ans, l'architecte Charles Roques, auteur de l'église de la Madeleine, bâtit le château actuel, dans le style néo-Renaissance. Des communs, une buanderie et une serre sont édifiés peu après. Le parc est replanté dans le goût anglais, mais le tracé des allées du XVIIIe siècle est maintenu. Parce que le domaine manque d'eau sur sa hauteur rocheuse, on va la chercher à plus de vingt mètres de profondeur, grâce à l’un des premiers prototypes d’éolienne d’Auguste Bollée, ingénieur hydraulicien au Mans. La grille d'entrée sur la route de Sainte-Gemmes et la tour de l'éolienne sont au chiffre des propriétaires : le B de Bonet (sa deuxième épouse) et le L de Laity.
Le nouveau château a belle allure. Les pièces de réception, salle à manger, grand et petit salons, jardin d'hiver, sont disposées de part et d'autre d’un vaste vestibule à colonnes et pilastres. Représentons-nous - grâce à l'inventaire après décès d'Armand Laity - le grand salon dans sa splendeur de style Louis XV : cheminée en marbre blanc, pendule et grands candélabres en bronze doré, consoles en bois doré supportant des lampes en porcelaine de Chine et du Japon. Trois canapés, un divan en soie capitonnée, huit fauteuils, quatre chaises occupent le centre de la pièce sur un grand tapis d'Aubusson. Jardinière en bois de rose, casier à musique, tricoteuse se glissent entre les sièges. Aux fenêtres, huit grands rideaux avec galeries et lambrequins découpés.
Un parc ouvert au public
Armand Laity meurt sans enfants en 1889 à Bagnères-de-Bigorre, dans le département dont il fut préfet pendant trois ans. Divers propriétaires se succèdent alors jusqu'à ce qu'en 1932 une société anonyme immobilière, constituée pour l'occasion, achète le domaine et le loue aux ursulines pour y établir un pensionnat. Dix ans plus tard, les cours sont suspendus, le Hutreau réquisitionné par l'armée allemande. Le 8 août 1944, les agents de la Gestapo fuient le Hutreau devant l'avance de l'armée américaine. De 1946 à 1952, une maison familiale de vacances y est installée par le Mouvement populaire des Familles. Pour utiliser le château en dehors de la saison estivale, une maison de repos pour les jeunes travailleurs s'ouvre en 1949.
Nouvel occupant en 1952 : la congrégation espagnole des clarétains y crée un séminaire. Quand elle part pour le Canada en 1971, la Ville d'Angers achète le domaine (février 1972) pour y créer un centre de loisirs et une maison de l'enfance. Depuis, des ateliers d'activités manuelles et artistiques, des jeux d'aventure, un circuit de ruisseaux ont été aménagés. La ferme du Perron, qui fait partie du domaine depuis 1901, propose boissons et collations. Ouvert au public avec entrée par la petite route de la Baumette, le parc de près de neuf hectares est très apprécié.